Maxence Caron – « Agir contre l’imbécillité »

Directsoir : L’oeuvre de Philippe Muray jouit-il aujourd’hui d’une renommée méritée ?

Maxence Caron : Pour répondre à votre question, il me semble qu’il la faut retourner : le public mérite-t-il l’œuvre de Muray ? Une œuvre qui se porte de la sorte contre les blets fruits d’une époque morte ne mobilise-t-elle pas d’emblée le lecteur qui la plupart du temps est celui-là même dont l’auteur décrit les ridicules ? En ce sens, les textes de Muray sont tout autant dirigés contre son lecteur que tendus vers lui dans l’espoir de lui dessiller le regard. En grand lecteur de Balzac, Muray dresse les bases d’une nouvelle Comédie humaine en qui chacun peut reconnaître à la fois la paille dans l’œil d’autrui mais plus encore sa sienne et propre poutre. La renommée de l’œuvre est d’autant plus méritée que le public la mérite comme on mérite une correction afin de se donner les moyens de mériter une récompense.

Quels sont les concepts de base de sa pensée ?

MC : Même si elle possède quelques célèbres notions, comme celle de l’homo festivus, cette pensée, ainsi que chez Nietzsche ou Pascal, ne procède pas fondamentalement par concepts, car pour répondre à l’infâme elle est d’abord créatrice de style : elle oppose la musique du verbe au démembrement du monde. Mêler élégance et lucidité pour rappeler en creux ce qui est essentiel, en dénonçant l’indéfini accroissement du ridicule qui s’enfle en autonomie de satisfaction : telle est la manière thérapeutique d’un propos qui entend penser après l’histoire.

Son tempérament polémique peut-il convenir à une lecture par Luchini ?

MC : Les abois de F. Luchini ne sont généralement pas ceux de la meute. Il y a dans le tempérament de cet acteur, que l’on constate partagé entre l’insipide d’une réalité à laquelle il se confronte et l’idéal poétique vers lequel le porte son cœur, une disposition à aimer agir contre l’imbécillité pandémique avec l’arme du verbe des écrivains qu’il admire. Il semble donc assez naturel que le génie de Muray ne lui ait pas échappé ; et du don pour le lire naîtra certainement une des fort rares belles choses encore possibles dans ce que Desproges appelait « ce merveilleux métier de l’art et du spectacle ».

Maxence Caron, écrivain, philosophe, musicien, auteur de plusieurs ouvrages dont La Vérité captive (Ed. du Cerf). Il co-dirige actuellement, à paraître prochainement, un collectif sur Philippe Muray.