Maxence Caron, Heidegger – Pensée de l’être et origine de la subjectivité, Préface de Jean-François Marquet, Cerf, « La Nuit surveillée », 2005.

 

Alors que le nom de Heidegger sert de repoussoir à toute pensée ou étude sereine de son œuvre, cet imposant pavé risque de faire un flop dans la mare médiatique ! Il faut donc d’emblée saluer le courage d’un éditeur qui sait braver le climat délétère entourant cette pensée et reconnaître le travail d’un jeune chercheur mû par autre chose que le simple désir de répéter des thèses connues ou de faire concert avec les opinions ambiantes violemment non pensantes. Paradoxe que de vouloir lire tout Heidegger à partir d’un seul fil conducteur : celui de la subjectivité ! Chacun sait que le penseur de Fribourg voua dès ses premiers écrits la notion de subjectivité aux gémonies d’une métaphysique à « détruire » ou « déconstruire ». C’est cependant la question du soi (différente de celle du moi qui la recouvre, voire l’oblitère) qui, selon l’auteur, permet de reconstituer la cohérence de la pensée heideggérienne et, à travers elle, de relire à nouveaux frais toute la tradition qui prit le nom de philosophie. Vaste et difficile entreprise ! qui se heurte d’emblée aux vulgates simplifiantes toujours prêtes à conclure en fonction d’a priori non questionnés. « Etre soi, c’est tout à la fois être rapport à l’être et être rapport à soi, c’est pouvoir poser la question de l’être de son propre moi. » L’être, le temps, le sujet entretiennent des rapports complexes, voire inextricables, dont toute la métaphysique depuis Platon, au moins, aura été le « champ de bataille ». L’œuvre de Heidegger aura sillonné et labouré ce champ en tout sens. Le gigantesque ouvrage de Maxence Caron, dont il faudrait plusieurs dizaines de pages pour pouvoir honnêtement rendre compte, est très certainement la meilleure « introduction » à ce chantier qui aura depuis au moins 1927 (date de parution d’Etre et temps) marqué de façon indélébile l’époque (que l’on songe à Sartre, Merleau-Ponty, Ricœur, Levinas, Marion, Derrida, Axelos, Marcuse ettant d’autres). La thèse de Heidegger – Pensée de l’être et origine de la subjectivité est, certes, discutable – et c’est là une de ses qualités éminentes – mais personne ne pourra lui refuser son sérieux, l’ampleur et la précision de ses vues, les qualités de son écriture et de ses références (les poètes sont convoqués, de Hugo, Baudelaire, Mallarmé à Char, en passant par Desnos, Joë Bousquet, Claudel, Supervielle, Michaux…). Lecture interne, d’historien de la philosophie, certainement, mais aussi travail authentique de philosophe. Nul, aujourd’hui, en France, ne devrait pouvoir parler de Heidegger sans être passé par cette thèse et sans être capable d’en discuter avec le sérieux requis les attendus. Il est toujours possible de rêver.

 

Enseignants et chercheurs

Ouvrage essentiel pour le public concerné

Bulletin critique du livre en français, n° 672, Juillet-août 2005 / Philosophie. Psychologie.