Maxence Caron en chercheur d’or, par Joël Prieur

Je vous entretenais la semaine dernière de Lucien Rebatet, critique de cinéma. Honnête critique. Maxence Caron, malgré ou à cause de sa jeunesse, est plus qu’un critique : un chercheur d’or.

Encore faut-il préciser qu’il ne se contente pas de trouver des pépites dans les grands fleuves de la pensée humaine, dans les grandes œuvres que le génie a produit pour sortir l’homme de sa finitude. Critique unique en son genre, qui serait celui de l’alchimiste plus que celui du scoliaste, sa lecture  opère elle-même la transmutation attendue. Il fait de l’or, même avec du plomb, du moment que le plomb n’est pas le plombage des caries et des carences de la non-pensée, mais le lest honnête, le ballast du navire, ce qui lui a permis de  tracer sur l’onde mouvante de la condition humaine un sillage durable. Maxence Caron exige la traçabilité (l’authenticité) du génie. Il se charge du reste.

Le croiriez-vous ? Son dernier livre s’appelle Pages, tout simplement. Il ne s’agit pas, comme je l’avais craint initialement, d’une sorte de pot pourri des meilleurs articles tombés du stylo d’un critique qui serait par hypothèse omniscient, s’intéressant à tout pour n’en rien dire en définitive. Ces Pages qui se présentent comme volontairement éclatées, abordant aussi bien la littérature, la philosophie ou la musique, toujours avec la même puissance, ne sont éparpillées qu’en apparence et dans une sorte de coquetterie, qui est d’ailleurs plus d’un auteur que d’un critique. En réalité, toutes coquetteries remballées, qu’il nous parle de Heidegger ou de Rimbaud, de Beethoven ou de Joseph de Maistre, Maxence Caron nous entretient toujours, et avec quel feu, de la présence du transcendant dans l’immanent, de la fulgurance de l’absolu dans les mises en ordre, dans les mises en notes, dans les mises en mots qu’utilise l’esprit humain pour déployer les virtualités intelligibles qu’il recèle. La vérité est captive de l’œuvre, mais cette captivité permet au critique de la délivrer.

Je ne sais où donner de la tête pour vous donner envie de cette prose peu ordinaire. On peut se rendre d’abord dans les textes où Maxence Caron nous ouvre, en français, les portes de la philosophie allemande. Le chapitre 19 sur les Métamorphoses de l’identité vous fera rentrer presque sans mal dans la pensée de Hegel, à la recherche d’une identité absolue qui est bien sûr au-delà (ou plutôt en-deçà) du procès que nous montre le Maître de Berlin avec tant d’éloquence. Voici Paul Valéry et son Cimetière marin : est-ce donc le cimetière des plaisirs, une ode à l’universelle nécessité et à la mort que ce Cimetière marin ? Beaucoup le pensent. Caron balaie d’un revers de main ces lectures classiques de Valéry. « Lecture triviale, écrit-il au singulier en confondant dans un même mépris les cuistres et les universitaires, et l’on ne voit pas pourquoi Valéry se serait donné tant de mal à dire de si belle et sophistiquée manière de telles banalités ». Les pépites ne sont pas dans le pépiement commun de la critique !  Il y a « un sens inconnu du Cimetière marin ». Que va faire dire Caron à Valéry, me demandais-je curieux. Eh bien ! C’est toute sa force de critique. Il ne lui fait… rien dire. Il ne cherche pas à lui faire dire des choses. Il trouve dans ce poème, non pas des mots, mais avant les mots, la musique intérieure qui les fait naître ensemble. « Valéry commence son poème par le son, le rythme d’une musique intérieure sans contenu, il traverse le contenu et les figures d’émotion de l’âme, puis retrouve cette musique par-delà le déchaînement des angoisses, atteignant au calme de cette fine pointe musicale, au silence pareille, retrouvant le cœur inconnu et si présent si proche, qu’est le cœur vivant en l’âme, au plus profond de et que l’âme ». On peut dire que c’est la clairvoyance sans parole – l’expérience artistique – du critique qui permet au poète… d’être comme poète, non pas seulement dans les rimes du poème mais, en quelque sorte, au cœur de la Poésie elle-même, c’est-à-dire dans l’absolu de sa geste poétique.

Que retenir de telles lectures ? Que le sens est au-delà des mots dans la musique qui les fait naître… dans la scène primitive qui les met en ordre avant même que le poète ne s’en saisisse ou que le philosophe ne les triture pour leur faire exprimer tout leur suc.

Je ne saurais rien dire des critiques musicales dont l’objet m’échappe le plus souvent, mais je voudrais aussi souligner quelques éreintement réjouissants d’auteurs « à la mode ». Les quelques pages consacrées à Jean Luc Marion et à « ses indécences de caporal en permission » sont bien réjouissantes !

Joël Prieur

Maxence Caron, Pages – Le sens, la musique et les mots, éd. Séguier 2009, 428 pp. 35 euros.

Pour une mise en forme philosophique des principes de lecture utilisés par l’auteur voir Maxence Caron, La Vérité captive, éd. du Cerf, 1100 pp. 2009, 63 euros.