Mettre à la portée d’un large public les trésors de la culture catholique, il était temps qu’on y pense ! En créant chez Via Romana la collection « L’absolu », Maxence Caron, philosophe d’une vérité toujours plus libre, donne de l’air à nos esprits.


Monde et vie : Maxence Caron, vous créez une nouvelle collection aux éditions Via Romana que vous intitulez « L’absolu ». Quelle est la spécificité de cette collection ?

MC : Malgré le bel effort soutenu par quelques-uns, l’édition française est devenue un cimetière : on ne compte plus le nombre de grands titres ou de grands auteurs que l’on a enterrés, voire incinérés. La faute n’en revient pas aux éditeurs, mais à cette crise générale de goût et de civilisation où les gens ne lisent plus rien qui vaille. Sur ce phénomène je ne me fais guère d’illusions et je ne pars point en croisade, mais à mon humble niveau, je fonde grâce à Via Romana une collection littéraire dédiée à des textes classiques mais quasiment introuvables, dont le contenu montre la relation que la littérature et la philosophie entretiennent l’une avec l’autre et, nativement, avec l’essentiel.

Vous avez intitulé votre collection « L’absolu ». Qu’entendez-vous par là ?

MC : « Absolu » s’entend en plusieurs sens, et je renvoie le lecteur à l’étymologie latine ; j’en indiquerai toutefois deux principaux. « Absolu » s’entend d’abord au sens de l’Ultime, le Principe logé au cœur de tout homme, et animant en secret la dynamique de son désir ; qu’elle en fasse ou non l’aveu, qu’elle en ait ou non conscience, l’écriture se nourrit d’une inquiétude qui est la recherche plus ou moins sourde, donc plus ou moins décelable, mais jamais invisible, de l’Absolu : que l’on songe à Lautréamont qui impressionnait tant Bloy, ou à la dimension chrétienne de tous ceux que le Verlaine converti appelait « les poètes maudits », que l’on songe aussi à ce texte que Balzac met au principe de La Comédie humaine et donc de la littérature, La Recherche de l’Absolu, cet Absolu se tenant en creux, dira cet autre roman balzacien, Louis Lambert, dans la description du péché où se vautre la société des hommes.

Vous voulez dire que, juste ou pécheur, personne n’échappe à l’Absolu ? Votre titre est universel…

MC : Je voudrais être plus précis… « Absolu » se dit aussi au sens de délié ou de libre, et il s’agit là tout simplement de prendre en considération la fondamentale dimension du cœur catholique, sa dimension oubliée, celle de la liberté véritable, qui va jusqu’à la liberté de pouvoir se dire meilleur catholique à mesure que l’on sait être irrévérencieux et inhabituel. Il y a liberté d’être à la fois traditionnel et non bourgeois, c’est-à-dire d’être un homme de renaissance n’ayant que faire de toutes ces naphtalines que le faible d’esprit, qui est le contraire d’un pauvre en esprit, enfonce dans les cervelles afin de les soumettre à sa loi de médiocrité. Le catholicisme loge en ce domaine d’humilité qu’est la beauté, que Dieu donne pour qu’initiés à la présence de sa surabondance, nous sachions attendre la puissance de son initiative. Sans faire de l’esthétisme une idole, le catholique véritable se nourrit de l’art et de la beauté, car Dieu en a rendu capable l’humain afin de mieux suggérer Sa divine Transcendance.

Que publierez-vous dans « L’absolu » ?

MC : La vocation de cette collection sise chez un éditeur catholique et dirigée par un écrivain catholique est, en un mot, de publier, sans acception de confessions, ce que la littérature a d’essentiel et qui est aujourd’hui difficile à retrouver, car un catholique véritable doit voir le visage de Dieu dans cette beauté que le génie d’un écrivain pouvant n’être pas confessant découvre sans l’inventer, témoignant ainsi, où que l’homme en soit, de la précédence de l’essentiel. La vraie religion est ouverte à ce qui amène à elle sans parfois la prononcer.

Pourquoi avez-vous choisi le traité de saint Augustin intitulé La vraie religion comme premier titre ? Est-ce une provocation ?

MC : Non, c’est une définition : et je prolonge ce que je viens de dire : le catholicisme est la religion de la résurrection, l’unique religion, et se traduit en art par une perpétuelle renaissance. La vraie religion est ainsi ouverte à ce qui en soi contient la beauté et transmet ainsi à chacun de quoi aimer et créer dans la beauté. C’est là l’esprit même de l’augustinisme, dont le langage enflammé ouvre à l’unité d’art, et ouvre cette collection.

La provocation attient au prix peu élevé de l’ouvrage, qui fera peut-être réfléchir l’Institut des études augustiniennes : en presque un siècle cette institution de repos n’a publié, à prix d’or, qu’un tiers de l’œuvre sans la diffuser.

Vous ajoutez à ce Traité une Vie de saint Augustin par son ami Possidius. Est-ce bien scientifique ? Quelle est sa valeur ?

MC : C’est scientifique car selon la définition empiriste de la science moderno-moderne, c’est oculaire ; Possidius a assisté à la vie de son ami, il fut bouleversé par la rencontre d’un homme dont il est témoin direct et privilégié.

Il est drôle de voir les coquetteries de ces « historiens », qui en public renient cette biographie chrétienne de saint Augustin parce qu’il y est question des miracles que le Docteur de la grâce accomplit, tandis que par ailleurs les mêmes histrions sont obligés de s’appuyer sur ce solide texte, rare et seul, afin de biographier l’auteur des Confessions. Ils le doivent pour enrichir le décor de celles-ci qui ne couvrent chronologiquement qu’une moitié de vie.

Quels sont vos projets d’édition et à quel rythme votre collection va-t-elle s’agrandir ?

MC : Quatre titres par an, et les prochains auteurs sont Verlaine, Bloy, Goethe et Bossuet.

En tant que philosophe, admettez-vous que l’on appelle le christianisme « une science nouvelle » et si oui, en quel sens ?

MC : En tant que philosophe je deviens ce que l’Objet de la philosophie me fait, c’est-à-dire, chaque jour, autre et plus que philosophe. Ou plutôt la philosophie me suit là où elle doit aller, quelle que soit la métamorphose qu’elle subit. Dans la mesure où mes ouvrages, et notamment mon long poëme, Le Chant du Veilleur, sont une tension de renaissance dans l’Eclair Eucharistique, le christianisme n’y est pas seulement une science nouvelle mais la nouveauté faite science. Le Christ ne fait-il pas toute chose nouvelle ?

Etes-vous d’accord avec M. de Certeau quand il parle du « terrorisme qu’exerce l’érudition sur la théologie » à la fin du XXème siècle ?

MC : Je ne suis d’accord avec personne. Hormis le Pape.

Propos recueillis par Alain Hasso.