Les nuances de l’apocalypse

Sur mon bureau, un objet littéraire non identifié, intitulé roman, mais dont les liens avec la réalité politique la plus quotidienne de ce pays sont trop nombreux pour qu’on puisse hésiter à y voir plutôt ce que l’on appelait au temps de Juvénal une satyre, ce que Céline a appelé, lui, un pamphlet.

Cette Microcéphalopolis, l’air de rien, ressemble à une bagatelle avec ses 50 pages. Cinquante pages d’éructation féroce et de trouvailles verbales absolument inédites. Cinquante pages pour condamner un siècle. Sans appel. Maxence Caron, déjà lauréat de l’Académie française malgré son jeune âge – il est né en 1976 –, a cherché à convoquer tous les démons qui travaillent au corps une société devenue lascive et qui n’a pas besoin de trop se faire prier pour « jouer la morue » : « La terre de confusion mène son grouinant gibier de bordel à travers les diverses figures de la vautrerie », écrit Caron impavide devant le spectacle qu’il suggère. Pour lui, ceux qu’il appelle « les racialistes cendreux », « qui érigent leur passéiste passion multiface en légitimité suprême, ne font pas exception. Cette réaction « feint d’accrocher à quelque chose sublime tandis qu’elle reconduit la faillite sur un autre ton ». Elle cultive « la même sanie individualiste ».

Suit un portrait à charge de quatre présidents dont l’identité limpide, à commencer par celui avec qui le scandale est arrivé, Amaury Têtard d’Instinct… C’est lui qui a établi en France depuis trente ans déjà ce que Jacques Julliard fait semblant d’appeler de ses vœux : la démocratie d’opinion, c’est-à-dire « la démocrassie » où celui qui préside est tenu de servir de miroir à la masse de ceux qui sont censés le suivre, mais qui, en réalité, le précèdent, avec une seule exigence : « Garantir à l’individu la reconduction d’une existence où rien ne serait exigé que de pouvoir penser et aimer le moins possible ». Nous sommes dans le paradoxe d’une situation sociale où la saturation est l’autre nom de l’absence du désir. La politique ne signifie plus la catalyse et l’orchestration d’un désir collectif, ce désir de séduire, ce désir d’exceller par exemple qui tenaillait la France au temps de Louis XIV et même au temps de Jules Ferry. Aujourd’hui « la politique est la gestion du néant ».

Ce livre véritablement apocalyptique, ce livre qui nous représente l’apocalypse avec les mots les plus évocateurs se termine forcément dans le désir retrouvé dans une ardeur spirituelle qui sonne terriblement juste, loin de toutes les bondieuseries convenables et convenues d’avance : « Tandis que souffle la musique de mes lignes sur un monde en ruine, tandis que chante la voix de cette orante résistance à la barbarie, c’est le Seigneur qui guide mon être. »

Prenant la suite de Michel Henry dans la dénonciation de la barbarie, Maxence Caron, philosophie classique, spécialiste de Heidegger qu’il a réussi à écrire en français dans un livre magistral, se veut ici franchement baroque, se définissant tranquillement comme « un anarchiste de droit divin ». Il qualifie sa vision – Microcéphalopolis – comme « le temps accordé au tentateur pour éprouver l’amour dont l’homme est susceptible ». Pour ce chrétien convaincu, l’amour est toujours forcément proportionnel au chaos.

Guillaume de Tanoüarn
Printemps 2009