Extrait du prologue Au lecteur

 

« Je suis impropre au putanat.
Incapable. Borné. Inapte. Recalé.

Car voilà : si au nom de quelque règle parfaitement arbitraire dont la nullité ne sert qu’à faire fader les bibasses, […] si je refusais d’entendre combien le risque est intégré à la langue quand, loin d’être monnaie d’échange, loin d’être trafic entre bourgeois, elle est poëme, si je refusais l’exigence d’un style qui sera appelé « folie » par la sagesse des hommes, si je refusais ainsi l’exigence créatrice qui est au cœur du verbe et le poëme qui est au cœur de l’expression – ce serait en réalité Dieu que je refuserais : car je refuserais entre autres les conséquences et les épreuves que me vaut un livre déduit des exigences dues à la Vérité.

Qui suis-je pour refuser au Maître l’aumône d’être génial ?

Qui suis-je pour refuser au Maître l’aumône de subir les crachats des cancres ?

En se rendant accessible pour que nous pussions parler, l’infinité du Verbe nous a suscités, puis le Verbe s’est fait chair. Se montrant au contact de l’être d’homme comme étant Lui-Même le Pauvre par excellence, Dieu demande à l’écrivain l’aumône d’une langue absolument singulière afin que soit dite la singularité de ce qui est essentiel.

Ainsi, se mêlant à la pensée la plus neuve, la singularité du style est-elle une exigence intraitable. Le génie est un commandement. Le Principe me demande cette aumône d’un style inouï, autant qu’il me demande moi-même : le Principe me demande cette aumône d’un style inouï que voudra rendre vaine la totalité de ceux, innombrables, dont, dans l’indolence de l’esprit bourgeois et de tout bourgeoisage, les jours s’écoulent à crucifier la Vérité. Le Principe me demande que, seul et pauvre dans la singularité de mon œuvre intraitablement dénuée de toute prostitution, je sois pauvre avec Lui qui habite crucifié parmi nous. Il demande l’aumône de ma pauvreté, et je la lui refuserais si, pour plaire à tel pourvoyeur de gloires minuscules, tel journaliste, tel éditeur-réécriveur, tel public de gueux, si, donc, selon des règles qui sont celles non de la pensée mais de la paresse du monde et de sa croyance qu’il est légitime de ne jamais penser, je censurais ou raturais quoi que ce fût qui incommodât l’oreille bourgmestriquée, quoi que ce fût d’éternel, quoi que ce fût d’inhabituel comme est inhabituelle la Différence de l’Éternité. Je n’ai pas le droit, en affadissant ma phrase pour ceux qu’illumine et guide l’un des péchés capitaux, je n’ai pas le droit de refuser à l’Ultime, qui s’est fait pauvre pour que nous ayons idée de Lui, je n’ai pas le droit de Lui refuser l’aumône de ma pauvreté.

C’est ainsi qu’il faut aimer l’Essentiel quand on écrit, et quels que soient les soucis que font les hommes. »

Maxence

Voir aussi l’extrait de « Bénédiction », le poëme inaugural

(Fastes, suivi de Manifeste du maxencéisme, Belles Lettres, 2019)