Grand entretien de Maxence Caron avec ActuPhilosophia sur Philippe Muray

 

Les Grands entretiens : Maxence Caron sur Philippe Muray


Voir les Grands entretiens (décembre 2011) sur le site Actu Philosophia

 

« Depuis sa mort en 2006 et la lecture publique de certains de ses textes au Théâtre de l’Atelier par Fabrice Luchini ces deux dernières années, la réputation de l’essayiste et philosophe Philippe Muray s’est considérablement accrue. Maxence Caron lui consacre en cette rentrée un essai original (Philippe Muray, la femme et Dieu, Artège), ainsi qu’un collectif qu’il a dirigé aux Éditions du Cerf dans sa collection « Les Cahiers d’Histoire de la Philosophie ». Cette somme rassemble une quarantaine de contributeurs parmi lesquels Muray lui-même, à travers des extraits du Journal encore inédit qu’il tint pendant trois décennies. Il s’agit, à travers ces deux initiatives éditoriales, de prendre Muray au sérieux et de prendre la mesure de son œuvre qui s’est désormais imposée et, selon Maxence Caron, qui demeurera. C’est là pour l’auteur de Philippe Muray, la femme et Dieu un fait ne relevant pas de l’enthousiasme naïf mais de l’analyse stricte. »

Actu Philosophia – Vous êtes philosophe, vous êtes écrivain, vous avez une œuvre personnelle, vous avez une pensée propre, que vous exposez notamment dans votre ouvrage La Vérité captive, sur lequel je vous avais interrogé ici même il y a deux ans. Vous êtes également poète, et romancier, avec un style caractéristique qui, au même titre que votre pensée, fait la cohérence de cette œuvre que nous voyons s’enrichir. J’ai donc envie de vous demander : dès lors que vous n’êtes pas simplement un commentateur, un interprète ou un simple exégète, quelle est en tant qu’artiste et philosophe vous-même votre relation à l’œuvre de Muray ?

Maxence Caron La relation que j’entretiens avec l’œuvre de Muray est celle qu’organise d’elle-même la pensée – notamment telle qu’elle s’est établie il y a six ans lorsque j’écrivis cet ouvrage qui parut quatre ans plus tard en 2009, La Vérité captive. Je ne suis pas là pour encenser Muray ou pour le critiquer : je pense son symptôme, qui est celui, tout neuf, et (comme le dit le sous-titre de l’un des deux ouvrages qui vous intéressent ici) d’une « modernité réactionnaire ». La « réaction » que Muray porte en lui n’est pas celle d’un « réactionnaire », elle brouille de nombreuses cartes : il détourne la littérature à des fins positivistes et en vue de la rendre uniquement critique, ce qui rend toujours plus absurdes les thèses de ceux qui clamoreusement l’enferment dans l’imagerie d’un « littéraire », pour la raison pauvrement subjective qu’eux-mêmes sont incapables d’être un peu plus que des spécialistes et de s’approprier avec patience le philosophant palimpseste à l’œuvre chez Muray – sans même parler du « palimpseste » qui m’intéresse et qui se situe au-dessus ou en sous-œuvre de Muray.

Après avoir fait de la littérature une obsession antipoétique livrée à l’acidité d’un esprit critique qui voudrait être baroque mais plonge sa plume dans la modernité, Muray redéfinit le roman et produit dans ce domaine des œuvres dont personne ne reconnaît l’inédite et remodelante portée. On répète à satiété le slogan : « Muray pamphlétaire de génie, romancier raté »… C’est ne pas voir. Dans le meilleur des cas les amis de son œuvre admettent son activité de romancier comme une dévorante tentative échouée, puis se font de la littérature une idée (le monde est plein de gens qui se font des idées)… Au contraire, ces romans sont le résultat de sa recherche la plus secrète et la plus obsessionnelle, la plus secrètement aboutie et la plus ouvertement difficile, le résultat confidentiel de sa pensée la plus totale, le résultat d’une pensée profonde à son auteur, d’une pensée qui avance à pas de colombe et anéantit en l’occurrence de cet œuvre si cohérent toute forme de dualisme entre philosophie et littérature : cette doctrine est la première philosophie dont la conclusion entend déboucher sur la chronique raisonnée du monde au point d’en faire un roman, et sur le roman au point d’en faire une peinture de ce que Muray définit comme « l’après-histoire ». Je ne sache pas qu’aucun romancier de notre époque soit parvenu à penser la littérature avec le recul spéculatif qui, en fin de compte, parvienne à lui restituer un tel relief Continuer à lire « Grand entretien de Maxence Caron avec ActuPhilosophia sur Philippe Muray »

Une belle lecture du « Muray » de Maxence Caron, par Romain Debluë

Après le long, le besogneux, le très ennuyeux ouvrage du très normal normalien Alexandre de Vitry (L’Invention de Philippe Muray), voici que paraît, aux éditions Artège, un petit livre de 155 pages à peine, qui emprunte peut-être son titre à une étude de P. Emmanuel consacrée à la métaphysique et la religion de Baudelaire (Baudelaire, la femme et Dieu, réédité sous ce titre en 1982 au Seuil). Ce « petit livre » est, tout simplement, à mon sens, le premier texte véritablement intelligent et lucide qui ait été écrit sur l’œuvre et la personne de Philippe Muray. Comme l’auteur lui-même le dit, avant cet opus, « aucun ouvrage n’existait à cette fin de dire le sens et la subtilité de cet incontournable massif littéraire. » Ce « petit livre » rend aux lecteurs désireux de saisir de la pensée murayenne autre chose que sa très estimable pruine humoristique un immense service intellectuel. Ce « petit livre » est essentiel à qui veut tâcher de modestement entendre quelque chose à la philosophie de Philippe Muray. Ce « petit livre » est donc, comme de juste, signé Maxence Caron, jamais très loin de nous lorsqu’il s’agit d’aller à l’Essentiel.

Que nous propose donc ici Maxence Caron de si neuf et de si précieux ? Tout simplement la première étude de l’œuvre de Muray, c’est-à-dire le premier texte qui ne soit pas réductible à une flasque congruence d’imberbes louanges ou au contraire à un criard déferlement de ressentiment […]. Pour la première fois, et sans doute aussi pour l’ultime (sauf si le sieur Caron prévoit autres brillants ouvrages au même Muray consacrés…), une analyse exhaustive et aiguë de la pensée de Philippe Muray est livrée à l’incontinente inscience d’un public qui, sans doute, s’en souciera comme d’à peu près toutes les autres splendides œuvres du jeune philosophe, lequel a le délicieux culot d’affirmer qu’il n’est pas un « essayiste » mais un « réussiste ». Ici apparaît le premier texte qui rend la pensée de Philippe Muray a elle-même, qui en dévoile ses contradictions, ses limites, ses impasses, bref, qui en fait un objet problématisable, geste que n’aurait pu qu’approuver Muray, lui si allergique à tous ces allants-de-soi qui ne « font plus débat », pour reprendre ses propres termes.

[…]

Si Philippe Muray semble bien avoir trouvé son maître, il y a entre le très illustre auteur des Exorcismes Spirituels, et le trop discret auteur de Microcéphalopolis au moins deux points communs fondamentaux, intimement liés sans doute : le style et l’humour. Maxence Caron le dit lui-même : « Pour être un homme, il faut un peu de style ». Voici donc un véritable homme, au sens métaphysique du terme, qui entreprend parler de  « l’adversaire de compagnonnage » qu’il a trouvé en la personne du regretté Philippe Muray ; un génie parlant d’un autre génie avec génie, voilà sans doute la définition même d’un réussi (et non pas d’un essai…) dont la non-lecture serait à mes yeux un péché qui ne « sera pardonné ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir » (Mt 12:32).


Extrait de : Romain Debluë, Les Métamorphoses de Protée, Via Romana, , 550 pages, 2013

Couverture_Romain Debluë, Métamorphoses de Protée

Parution du grand collectif sur Philippe Muray : 39 contributeurs et des extraits du ‘Journal inédit’ de Muray

(Cliquer pour agrandir l’image)

Aux Editions du Cerf sous la direction de Maxence Caron (codirection : Jacques de Guillebon). Collection des « Cahiers d’Histoire de la Philosophie », fondée et dirigée par Maxence Caron.  Date de parution : 2011. 720 pages.

Pour se procurer l’ouvrage, cliquer ici.

Contributeurs :

FRANÇOIS-XAVIER AJAVON, JEAN-BAPTISTE AMADIEU, HENRI BEAUSOLEIL, PHILIPPE BERTHIER, ALAIN BESANÇON, JÉRÔME BESNARD, MAXENCE CARON, PIERRE CHALMIN, PAUL-ÉTIENNE CHAVELET, JEAN CLAIR, MEHDI CLÉMENT, MARIELLE CONFORTI, JÉRÔME COUILLEROT, PAUL-MARIE COÛTEAUX, CHANTAL DELSOL, MICHEL DESGRANGES, JACQUES DEWITTE, BENOÎT DUTEURTRE, JULIE FAURE, JACQUES DE GUILLEBON, ARNAUD GUYOT-JEANNIN, TANCRÈDE JOSSERAN, AUDE DE KERROS, YVES-ÉDOUARD LE BOS, FABRICE LUCHINI, BRUNO MAILLÉ, HENRI DE MONVALLIER, FRÉDÉRIC MORGAN, CYRIL DE PINS, LAKIS PROGUIDIS, HENRI QUANTIN, BERNARD QUIRINY, PHILIPPE RAYNAUD, JEAN RENAUD, ERWAN SALIOT, PIERRE-ANDRÉ TAGUIEFF, FRANÇOIS TAILLANDIER, GUILLAUME DE TANOÜARN, ALEXANDRE DE VITRY, ÉRIC ZEMMOUR

Et plusieurs extraits du Journal inédit de PHILIPPE MURAY

TABLE DES MATIÈRES

 

Bibliographie des œuvres de Philippe Muray

AVANT-PROPOS de Maxence Caron

TEXTE INÉDIT DE PHILIPPE MURAY, Adresse au petit homme

 

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« Le ‘Philippe Muray’ de Maxence Caron », lu par Chantal Delsol

L’ouvrage de Maxence Caron a le grand mérite de marier l’admiration et la critique lucide. Le problème de Philippe Muray est qu’il suscite tantôt des hagiographies et tantôt des injures, pour cette raison qu’il est un auteur excessif, et exprime son talent dans cet excès même. On attend précisément que ses interprètes tentent de démêler, non d’accentuer.

Chantal Delsol

Maxence Caron voit Muray comme un romancier. Romancier de lui-même, alors. Car finalement, dans le tableau désespéré que Muray tisse de notre époque, on en apprend davantage sur Muray que sur l’époque. L’œuvre est tout entière tissée d’indignation, et c’est cette colère qui nous intéresse, plus que son objet. D’abord parce qu’aucune entité, société, idée, n’a jamais été mise en cause sérieusement par la seule colère, qui est impuissante parce qu’instinctive et désarmée. Et puis parce que l’indignation, dont Muray se nourrit tout entier, n’est pas une nourriture. On n’en vit pas. On en pleure et on en crève. Il y a donc là un cas littéraire séduisant.

 Muray fait partie de ces gens qui entretiennent un mépris abyssal devant la crétinerie de leur époque. Il faut avoir pour cela une haute idée de soi-même. Ce dont il ne manque pas, et Maxence Caron pas davantage – lequel doit bien ressembler un peu à son personnage pour le comprendre. J’admire pour ma part ces esprits qui se prêtent un talent jupitérien. La confiance en soi rassure la capacité et d’une certaine manière la suscite. Sans assurance sur soi-même, on n’est jamais qu’un tâcheron. Toujours est-il que Muray, du haut de son empirée, détruit en jetant l’insolence et la morgue et surtout l’humour. Il fait rire, il manie le langage artistiquement, il décèle tous les ridicules qui nous agacent et il les brandit avec talent. On en a connu bien d’autres, de ces exterminateurs. Mais enfin il ne suffit pas de parler du dernier homme pour égaler Nietzsche ; ni de disséquer les lieux communs pour égaler Bloy ; ni de regretter toutes les naissances pour égaler Cioran. Encore une fois, Muray n’est pas un philosophe, mais un romancier de soi-même.

Le livre de Maxence Caron fait plus que disséquer l’humour et la colère. Il va s’accrocher pour ainsi dire au fond de la cuve de vinaigre. Les deux thèmes qu’il choisit, la femme et Dieu – en l’occurrence, ce n’est qu’un seul –, ne sont pas anecdotiques, ce ne sont pas des particularités de l’œuvre, même remarquables. Mais plutôt, son architecture, ou ce qui porte tout l’ensemble. Rien n’est plus judicieux que d’avoir centré ainsi l’œuvre de Muray sur ces deux concepts (car ce sont ici des concepts). Continuer à lire « « Le ‘Philippe Muray’ de Maxence Caron », lu par Chantal Delsol »