« On sait que pour Heidegger, la métaphysique de la subjectivité est au fondement même de la modernité, dont elle légitime en quelque sorte l’indifférence à la vérité. La subjectivité (le moi, éventuellement élargie en un nous) résulte de l’activité phénoménalisante de l’ipséité (le soi). Prenant appui sur la différence entre le moi et le soi, Heidegger part en quête de ce qui rendra le soi à ce qui lui est propre (eigen), cet être-soi-même-en-propre seul capable de le révéler comme celui qui désigne vers l’être comme vers son fond. Sujet difficile, on le voit, mais au sens propre essentiel, auquel Maxence Caron consacre un ouvrage véritablement monumental (près de 2000 pages !), convaincu que c’est dans l’articulation fondamentale du soi et de l’être que se dévoilent « l’unité et la cohérence de la pensée heideggerienne à partir desquelles la question de la subjectivité puise la possibilité d’un enrichissement ». Il n’est en effet pas exagéré de penser que c’est bien à partir de la question de l’origine du soi que la pensée de Heidegger, trop souvent considérée comme contradictoire ou problématique, acquiert toute sa cohérence. On ne s’aventurera évidemment pas à résumer cette passionnante lecture de l’histoire métaphysique de la subjectivité, que ce soit dans sa partie critique (la res cogitans et le glissement cartésien vers le subjectum comme source du dispositif de technicisation et d’arraisonnement du monde dans la subjectivité) ou dans son versant positif (l’acheminement vers le soi propre, la reconnaissance de la teneur de l‘alèthéia, l’Ereignis comme structure du soi). On en saluera néanmoins la conclusion : l’humanisme contemporain, qui fonde l’homme sur lui-même, l’appauvrit du même coup. Ce n’est qu’en allant au-delà de cet humanisme qui oblitère chez lui toute capacité de retrait, que l’homme peut gagner son humanité. »

Alain de Benoist