A propos du dernier livre de Maxence Caron
Manifestation de l’Essentiel
Ecoute attentive de grandes œuvres musicales et ouverture sur de nouveaux horizons
Pages. Le Sens, la musique et les mots
On a appris à connaître Maxence Caron comme un des plus audacieux et des plus profonds penseurs contemporains. La Vérité captive, le premier tome de son Système nouveau de la philosophie et de son histoire passée, présente et à venir [1] est à notre avis la plus riche oeuvre philosophique écrite ces dernières décennies. Le lecteur y retournera souvent, car cette oeuvre magistrale a bouleversé de fond en comble les cadres jusqu’alors quasi unanimement acceptés pour les ouvrir sur de nouveaux horizons.
De l’Essentiel, on recommence désormais à parler autrement, et la philosophie ne se taît plus sur l’Etre sous prétexte d’un nécessaire et inéluctable agnosticisme relativiste et relativisant.
Il est vrai, après avoir pris contact avec la pensée de Maxence Caron[2], on reste perplexe devant sa richissime lumière interprétative, mais on pressent aussi qu’il ne sera plus possible de retourner à la chose métaphysique, comme si rien ne s’était passé. La Vérité captive a été libérée et recommence à captiver la pensée contemporaine qui devient de plus en plus réticente aux avancées destructrices de notre outre-modernité.
Ce que Maxence Caron a si magistralement montré pour la marche de la philosophie, il le fait comprendre aussi par une écoute attentive de grandes œuvres musicales.
De nouvelles pistes pour comprendre autrement
Pages,[3] cet autre livre, sorti un mois plus tard que La Vérité captive, en décembre 2009, porte comme sous-titre : Le Sens, la musique et les mots. Ce qui attire l’attention, c’est bien la majuscule donnée à Sens. Elle n’est pas reprise à la première page du livre, alors que tous les articles tant sur les œuvres musicales que sur la littérature ou la philosophie contribuent à la justifier en mettant en lumière ce Sens si souvent perdu de vue dans notre monde encore fortement marqué par les miasmes tardifs de la modernité.
Dans Pages. Le Sens, la musique et les mots, Maxence Caron ouvre au lecteur de nouvelles pistes pour autrement comprendre le Te Deum et la Septième Symphonie de Bruckner, les symphonies de Brahms, et de Beethoven son Triple Concerto, ses Ouvertures d’Egmont et de Coriolan, ses première, troisième, cinquième, sixième et septième symphonies en rapport avec la Missa solemnis qu’il considérait comme le sommet de son œuvre et dont sa Neuvième n’est qu’une conséquence. Maxence Caron visite aussi de l’unique et inégalable Bach les Toccatas et fugues pour orgue, la Messe en si et le Troisième Concerto Brandebourgeois. Des dernières œuvres de Schubert, du Premier Concerto pour Piano et des Polonaises de Chopin, de la Symphonie Alpestre de Richard Strauss, des œuvres en sol mineur de Mozart et de la Symphonie « Résurrection » de Mahler, Maxence Caron présente des analyses qui laissent apparaître le sens que donne l’Essentiel. Quelle originalité dans l’approche de ces œuvres, mais aussi quelle audace ! Il n’hésite pas à contredire les grands spécialistes en rendant manifestes leurs erreurs de compréhension par des argumentaires convaincants développés dans son style littéraire envoûteur.
Pas d’hésitations à contredire les grands spécialistes
Ainsi pour exemple, Mozart. Après lecture des présentations de Maxence Caron, on ne peut plus entendre dans les premières mesures de la 25e Symphonie en sol mineur ce bercement dont Alfred Einstein voulait encore nous convaincre en prétendant que cette symphonie tout comme la 40e, elle aussi en sol mineur, témoignerait d’une pensée fataliste en Mozart. Rien de cela pour Maxence Caron qui nous y fait découvrir exactement le contraire de tout fatalisme : la liberté humaine grâce à laquelle Mozart a su se réfugier dans son intériorité où se tient « cet art qu’il reçoit de l’Art du seul Artiste véridique ». Et la 40e Symphonie n’est pas une « tragique aventure » qui s’achève « en une lassitude » comme le prétendent les spécialistes de la franc-maçonnerie mozartienne. « Le tragique n’est pas du tout l’élément de sa musique : jamais. Ni l’humanisme, comme l’affirment les encartés siamois Thénardier-Massin. La dramatique, en revanche, considérablement ; et la jouissance supérieure et spirituelle, essentiellement. Mozart est homme de transcendance. » Il sait se maintenir en état d’écoute de cette « lumineuse Essence supérieure à lui qui est en lui », luttant en sol mineur pour exprimer, contre les horizons barbares, ces régions qui permettent d’évoquer le Sens.
Autre exemple, l’interprétation des œuvres de Bach. Maxence Caron ne se montre pas tendre pour les sonorités vielleuses des « baroqueux », ces « paléographes regroupés en précieuses ridicules ». Il préfère alors de loin ce qu’eux ils appellent « la pesanteur » d’un Wilhelm Furtwängler. Pour Maxence Caron celle-ci n’est que l’amour dont on doue chaque note jouée et qui fait que cette interprétation « dépasse en tout et à tous les niveaux tout ce qui se fait aujourd’hui dans l’idéologie du paléo-nudisme des archéologues musicafouillographes ».
On l’a remarqué : Maxence Caron provoque, mais il donne par là même à réfléchir. Critique, il ridiculise, mais ouvre aussi les portes sur de nouvelles régions de Sens. Le Sens, cet Ultime qui interpelle les plus grands des compositeurs, se montre aussi en philosophie et en littérature. Ses méditations sur les œuvres musicales, Maxence Caron les interrompt par des considérations sur des œuvres littéraires ou philosophiques, dont il parle en bien ou en mal.
Un sarcasme acerbe et des chapitres élogieux
On sait que Maxence Caron peut être acerbe dans son sarcasme quand il s’agit de refuser les impostures et de défendre la grandeur de chefs-d’œuvre maltraités. Pauvre Fr. Boyer qui s’est aventuré à « métraduire » ce qu’il appelle les « Aveux » de saint Augustin, une traduction que Maxence Caron trouve « morfondue, bourrelée de contresens linguistiques, théologiques, philosophiques, littéraires ». Pauvre aussi Jean-Luc Marion avec « sa béchamel pseudaugustinienne » qui par une sorte « d’obsession égotique » reprend encore dans son récent ouvrage sur saint Augustin sa récurrente thèse de « Dieu sans l’être », alors que pour Maxence Caron « à chaque ligne du moindre opuscule augustinien, Dieu et l’être sont proclamés synonymes, se compénétrant pour indiquer le lieu d’une Gloire où la valeur de l’être acquiert précisément un statut inédit et transcendant ».
A Nietzsche, Maxence Caron reconnaît ses mérites, mais pas nécessairement ceux présentés « dans le fort mauvais livre de Gilles Deleuze », ni ceux admirés par ces contemporains autoproclamés disciples de Nietzsche depuis les émus des années 1960 jusqu’au « célèbre cuistot pour dindes incultes et surcuites qui converse en conserve, vous avez reconnu le réactionnaire et cambouissé Michel Onfray ». Non, les mérites de Nietzsche sont à chercher ailleurs. Alors que ses théories sur la mort de Dieu, vaseuses et « si ontologiquement fragiles », masquent de leur faiblesse spéculative la valeur de fond du Christianisme en soi, Nietzsche, dont l’œuvre semble le mieux se caractériser par la notion d’aristocratie, a su néanmoins donner à l’artiste une éthique en temps de détresse.
D’autres chapitres sont très élogieux : pour Heidegger par exemple et son séminaire sur Nietzsche, où apparaît l’abîme qui sépare la pensée matérialo-pulsionnaliste par laquelle Nietzsche réduit l’homme à un animal et celle de Heidegger qui sait penser la dignité que l’homme acquiert du fait qu’il porte en soi le mystère de l’être ; ou pour La littérature française et la connaissance de Dieu d’Alain et d’Arlette Michel, un livre, conseillé à chacun pour « y commencer ou y poursuivre sa formation » ; ou encore pour les écrits sur saint Thomas du dominicain Olivier-Thomas Venard… Et n’oublions pas les pages touchantes, remplies de reconnaissance pour ses maîtres que sont Jean-Pierre Zarader et Jean-François Marquet.
D’autres chapitres sont consacrés à Julien Gracq, Marc Fumaroli, Rimbaud, Breton et Céline, ou encore à Pascal, Joseph de Maître ou Paul Valéry.
Dans toutes ces contributions, on ne trouve guère d’opinions communément admises. Ensemble elles illustrent que « le Sens est parfois lisible à même une œuvre, parfois présent dans les contradictions d’une autre, une tierce peut par ailleurs offrir un élément fondamental tout en occultant un autre, et un fort mauvais travail montrer a contrario et en un saisissant contraste le champ dans lequel on ne trouvera rien de ce qui tisse la vocation humaine à la Vérité et que l’art donne dans la Beauté ».
Que ces pages trouvent de nombreux lecteurs pour se ramentevoir – c’est l’expression de Maxence Caron – l’unité du cœur d’homme en quête et en découverte du Sens.
P. Jean-Jacques Flammang SCJ
[1] Maxence CARON : La Vérité captive. De la philosophie. Système nouveau de la philosophie et de son histoire passée, présente et à venir, Théologiques, Paris, Les Editions du Cerf / Ad Solem, 2009. 1120 pages. ISBN 978-2-204-09003-2.
[2] Cf. notre présentation de La Vérité captive, dans la Warte du 3 décembre 2009.
[3] Maxence CARON : Pages. Le Sens, la musique et les mots, Paris, Séguier, 2009.427 pages. ISBN 978-2-8404-9589-5.
Source : Revue en ligne des Pères du Sacré-Coeur de Jésus