En février 2007, Thibault Lefranc recevait Rémi Brague, professeur de philosophie à la Sorbonne et à l’université de Münich, et Maxence Caron, lauréat de l’Académie française, professeur agrégé de l’Université, docteur en philosophie, auteur de Heidegger : Pensée de l’être et origine de la subjectivité, sur Radio Courtoisie pour parler de Martin Heidegger et de son oeuvre ; avec en toile de fond critique le regrettable ouvrage d’Emmanuel Faye intitulé “Heidegger, l’introduction du nazisme dans la philosophie”.

Rémi Brague et Maxence Caron interviewé sur Heidegger, 10 février 2007 :

Document ci-dessous : Pour aider à renouer avec l’essentiel du propos heideggerien, rien de tel qu’entendre la voix du grand penseur dire un poëme (L’Ister, c’est-à-dire le Danube) de l’un des plus grands, Hölderlin, à qui Heidegger conféra tant d’importance. On se trouve bien loin des élucubrations d’aucuns polygraphes oedipiens.

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La demeure jaune au-dessus du Neckar, est la fameuse Hölderlins Turm de Tübingen, la demeure où Hölderlin, en ermite brisé, passa la seconde moitié de sa vie :

HölderlinturmTübingen

Le texte et sa traduction :

Der Ister

Jetzt komme, Feuer !
Begierig sind wir,
Zu schauen den Tag,
Und wenn die Prüfung
Ist durch die Knie gegangen,
Mag einer spüren das Waldgeschrei.
Wir singen aber vom Indus her
Fernangekommen und
Vom Alpheus, lange haben
Das Schickliche wir gesucht,
Nicht ohne Schwingen mag
Zum Nächsten einer greifen
Geradezu
Und kommen auf die andere Seite.
Hier aber wollen wir bauen.
Denn Ströme machen urbar
Das Land. Wenn nämlich Kräuter wachsen
Und an denselben gehn
In Sommer zu trinken die Tiere,
So gehn auch Menschen daran.

Man nennet aber diesen den Ister.
Schön wohnt er. Es brennet der Säulen Laub,
Und reget sich. Wild stehn
Sie aufgerichtet, untereinander ; darob
Ein zweites Maß, springt vor
Von Felsen das Dach. So wundert
Mich nicht, daß er
Den Herkules zu Gaste geladen,
Ferglänzend, am Olympos drunten,
Da der, sich Schatten zu suchen
Vom heißen Isthmos kam,
Denn voll des Mutes waren
Daselbst sie, es bedarf aber, der Geister wegen,
Der Kühlung auch. Darum zog jener lieber
An die Wasserquellen hieher und gelben Ufer,
Hoch duftend oben, und schwarz
Vom Fichtenwald, wo in den Tiefen
Ein Jäger gern lustwandelt
Mittags, und Wachstum hörbar ist
An harzigen Bäumen des Isters,

Der scheinet aber fast
Rückwärts zu gehen und
Ich mein, er müsse kommen
Von Osten.
Vieles wäre
Zu sagen davon. Und warum hängt er
An den Bergen gerad ? Der andre,
Der Rhein, ist seitwärts
Hinweggegangen. Umsonst nicht gehn
Im Trocknen die Ströme. Aber wie ? Ein Zeichen braucht es,
Nichts anderes, schlecht und recht, damit es Sonn
Und Mond trag im Gemüt, untrennbar,
Und fortgeh, Tag und Nacht auch, und
Die Himmlischen warm sich fühlen aneinander.
Darum sind jene auch
Die Freude des Höchsten. Denn wie käm er
Herunter ? Und wie Hertha grün,
Sind sie die Kinder des Himmels. Aber allzugedultig
Scheint der mir, nicht
Freier, und fast zu spotten. Nämlich wenn

Angehen soll der Tag
In der Jugend, wo er zu wachsen
Anfängt, es treibet ein anderer da
Hoch schon die Pracht, und Füllen gleich
In den Zaum knirscht er, und weithin hören
Das Treiben die Lüfte,
Ist der zufrieden ;
Es brauchet aber Stiche der Fels
Und Furchen die Erd,
Unwirtbar wär es, ohne Weile ;
Was aber jener tuet, der Strom,
Weiß niemand.

Hölderlin

Traduction :

L’Ister

Viens à présent, Feu !
Nous avons soif
de contempler le jour,
et quand les genoux
ont été rompus par l’épreuve,
l’on peut entendre l’injonction de la forêt.
Mais nous, nous chantons, venus des bords lointains de l’Indus et de l’Alphée. Longtemps
nous avons cherché ce qui nous est destiné.
Sans ailes, on ne peut
accéder tout droit
à ce qui est au plus proche,
et passer sur l’autre rive.
Mais c’est ici que nous construirons.
Car des fleuves fertilisent
cette contrée. Au lieu où les rives se couvrent d’herbe
et où les troupeaux vont boire, l’été,
ainsi les hommes s’y rendent.

Et l’on nomme ce Fleuve l’Ister.
Il habite en beauté. Le feuillage, sur ses colonnes, flambe
et ondule. Elles se dressent, sauvages, emmêlées. Au-dessus d’elles
comme un second fronton, le toit des rochers avance.
Aussi ne m’étonné-je point
que son éclat ait attiré Hercule,
quand il le vit resplendir de loin, du pied de l’Olympe,
alors que, cherchant l’ombrage,
il venait de l’Isthme brûlant,
car là-bas tous étaient emplis de courage,
mais aux esprits abattus
la fraîcheur est elle aussi nécessaire. Ainsi préféra-t-il venir
à ces sources d’eau, ces rives jaunies,
ces hauteurs embaumées, noires de pins,
où le chasseur aime à errer dans les gorges
à midi, quand on entend la croissance
des sèves résineuses de l’Ister,

mais voici que le Fleuve paraît presque vouloir
remonter vers sa source, et
il me semble venir de l’Orient.
Que de nombreuses choses
l’on pourrait dire… Et pourquoi s’agrippe-t-il
aux montagnes ? L’autre,
le Rhin, s’en est
écarté. Ce n’est pas en vain
que les fleuves s’écoulent à travers l’aridité. Mais comment ? Ils doivent en effet être envers la Parole. Ils sont un signe,
rien d’autre, exigeant et droit,
et qui porte en soi, inséparables, le Soleil et la Lune,
et c’est qu’ils poursuivent leur route, jour et nuit,
et que les Immortels y sentent chaleur et mutuellement.
Aussi, les fleuves sont
la joie du Très-Haut. Car, sans eux, comment
descendrait-Il ? Verts comme Hertha,
Ils sont les fils du Ciel. Mais ce fleuve-ci me semble trop calme,
pas assez fier, et donnerait presque à rire. Car, à l’heure

où doit surgir le jour,
dans sa jeunesse, tandis qu’il commence
à croître, un autre, déjà, déploie
sa pompe, et pareil à l’étalon,
écume sur le mors, et fait au loin retentir les airs
dès qu’il s’afflige.
Mais il faut que le roc soit percé
et la terre labourée,
elle serait inhospitalière, n’offrirait point de séjour.
Mais ce que fait le Fleuve,
Nul ne le sait.

Hölderlin

Traduction française de Geneviève Bianquis (revue).