NB : Le texte original ayant été coupé et déformé en certains endroits lors de la parution, nous en donnons ici la version non censurée, que l’auteur nous a transmise.

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RENCONTRE AVEC MAXENCE CARON

Agrégé de Philosophie, Docteur ès Lettres, Maxence Caron est un jeune écrivain, philosophe, poète et musicologue catholique. Il dirige notamment aux Editions du Cerf Les Cahiers d’Histoire de la Philosophie. Il a entrepris, à travers La Vérité captive (Cerf, 2009), d’élaborer un système philosophique nouveau où la pensée de l’être rejoint le mystère trinitaire. La lecture ardue de son témoignage, au-delà du style et du caractère, marque la force d’une conversion.

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Philosophe, vous êtes en quelque sorte un « reconverti » : comment cela s’est-il passé pour vous ?

La chose est tellement riche que j’ai récemment pensé écrire mes confessions puis remis la tâche à plus tard ; j’ai toutefois crayonné quelques épars papiers et construit un vaste plan. Nous verrons… Je ne suis pas le maître du temps.

La conversion est une réalité multiforme ; elle est déjà présente en soi avant que de surgir, car elle est en travail, et se reconnaître converti, c’est commencer de voir qu’à  l’homme de bonne volonté la conversion fait accuser le coup d’une continuelle métamorphose. La conversion est un moment qui ouvre un infini séjour. Elle est un instant et une vie.

J’ai été athée pendant de nombreuses années, après avoir violemment rejeté mon éducation chrétienne. Avant de poser mon premier acte de conversion en décembre 1998, à 22 ans, où je me confessai au début de l’Avent, il y eut un processus si riche… Impossible de vous en parler. En attendant, je passai de la frivolité à l’ennui, de l’ennui à la philosophie, de la philosophie à l’angoisse, des deux à ma foi, et sans savoir encore ce que pouvait bien être la foi, que tant présentent maladroitement comme une donnée subjective, car elle m’était un savoir vrai et non une croyance, elle ne relevait pas de l’opinion mais de la connaissance objective, une connaissance qui, avec les années, se transformerait dans le sens d’un approfondissement. A cette époque, je n’aurais pas accepté la foi sans son inhérent amour de la raison, et la publication de l’Encyclique Fides et ratio par le Bienheureux Pape Jean-Paul II, qui montrait que le christianisme est l’équilibre de la pensée et du mystère, me fut capitale – publication à laquelle ne donnèrent aucun écho la paresse des catholiques français, des gamins d’églises, des bourgeois de baptistère et autres pasteurs quasiment extatiques de se croire avoir plus de « cœur » à mesure qu’ils ont moins d’esprit.

La satisfaite trivialité du chrétien m’a fait comprendre l’importance du Corps mystique et de la romanité. La bêtise des gens peut être utile : à cet égard elle m’a détaché de toute forme de gallicanisme. Je n’aime que Rome et le Pape. Un homme critiquant le Pape est un esclave volontaire : vous eussiez dit d’un paralytique dont l’Évangile fait relation, un grabataire oubliant l’espace pensable de sa guérison. La fronde papefigue est le contraire de la liberté du converti.

Le véritable anarchisme, « l’anarchisme de droit divin » pour reprendre l’une de mes inventions conceptuelles, c’est l’Église, c’est l’esprit de l’Église, c’est son souffle. Elle me fait courir très vite.

« LA CONVERSION EST UNE REALITE MULTIFORME : ELLE EST DEJA PRESENTE EN SOI AVANT QUE DE SURGIR »

Une fois connue l’existence de Dieu et son amour en Jésus-Christ qui transmet l’Esprit Saint par les canaux sacramentels de la seule Église catholique, une fois converti, tout commence. Et pour moi tout a commencé de nouveau, bien que tout eût été déjà auparavant si intense. Différentes phases se sont succédées, très-éprouvantes puis sublimes, de grandes grâces survinrent : ce fut la fin d’une période, la fin d’un roman de formation que la grâce écrivait sur le parchemin de ma pauvre âme. La Rencontre très concrète avec Dieu m’a apaisé : intérieurement je ne suis plus dans le linéaire mais dans le circulaire, dans le poëme. Je vis au sein d’une immaîtrisable Présence qui, je l’espère, ne me sera jamais retirée.

À chacune de ces étapes, la grâce était là. D’où l’envie de tout relire à la lumière de la lumière : les confessions.

 

Peut-on dire que vous pratiquez une « philosophie chrétienne » ?

Une philosophie chrétienne, c’est une théologie. Mon travail conduit à la source dont jaillit la possibilité même de l’acte philosophant. Je regarde l’histoire de la philosophie et constate que la philosophie a toujours manqué son objet : m’intéresse cette névrose d’échec, et je la dépasse. Mes conclusions parviennent au christianisme mais ma démarche est sans précédent.  Vous connaissez les paroles de saint Augustin : « tam antiqua et tam nova… » ; la force de ma méditation philosophique est d’être suffisamment neuve pour savoir être la plus ancienne. C’est du sérieux. Je ne fais pas dans les mondanités, ma tête n’est pas une femme facile. Elle reçoit l’exigence de la pensée, et la pensée reçoit l’initiative de la Vérité ; de tout cela vient une parole qui est donc à la fois « si ancienne et si neuve ».

« Philosophie chrétienne » ? L’expression est erronée. La philosophie est ou n’est pas. Si elle veut être, cela engage pour elle un certain nombre de choix. Ces choix impliquent la recherche d’une rigueur maximale, et cette recherche aboutit au christianisme : c’est ainsi, ce n’est pas ma faute si la Vérité est chrétienne. Puis assumer le christianisme aboutit à transformer la langue de la philosophie qui, pour avancer, doit changer de lieu et devenir la théologie, ou la poésie que j’essaye de reconstruire.

De même qu’il est inutile de dire de la Vérité qu’elle est vraie, de même il est inutile de dire de la philosophie qu’elle est chrétienne ; car si la philosophie est la philosophie, elle conduit, glorieuse, au christianisme sans pour autant présupposer le christianisme.

 

Comment faire revivre cette Parole bénédictine que se transmettait le Moyen-Âge et dont parlait Benoît XVI aux Bernardins ?

Historiquement elle ne revivra pas, il n’y a pas d’âge d’or à revisiter ni à attendre du siècle. Il y a le Règne à préparer, où le Verbe lui-même irriguera notre parole. Il n’y a aucun passé à reconstruire : il y a l’avenir que Dieu nous prépare, il y a la pensée que Dieu nous donne, il y a la beauté que Dieu nous demande, et sans Lui nous ne pouvons rien faire. L’écouter, L’aimer, L’attendre : quoi d’autre !

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QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE

Connaissez-vous Saint Antoine de Padoue ? Quelle image en avez-vous ?

Il m’arrive de prier saint Antoine. On me le présentait dans mon enfance d’une manière à la fois innocente et pieuse : il était l’homme à la sainteté de qui le Seigneur avait confié de nous aider à retrouver les importants objets que nous perdions – non les objets de piètre jouissance, mais ceux dont l’usage aide la vie dans ses nobles finalités. La figure padolienne nous rappelle que le Christ s’est fait l’un de nous au point de penser les détails qui peuvent affecter la chétive condition humaine. Plus fondamentalement encore, et il faut découvrir les pages de son immense œuvre, saint Antoine est celui dont l’intercession porte ceux qui le révèrent à retrouver Dieu.

 

Êtes-vous déjà allé à Padoue ?

Non. Certes, grandeur des pèlerinages… Mais pour vénérer les saints, il suffit de prier. La catholiquette fait aujourd’hui son voyage exotique pour revenir pleine du sentiment de son ombilicale nécessité planétaire. Je lui souhaite de découvrir qu’il y a des pauvres au bas de sa porte et qu’elle en fait partie. Le pèlerinage le plus urgent est celui de l’intériorité.

 

Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?

Dieu est une impalpable Présence qui m’appelle par mon nom. Je m’éloigne de lui quand j’ose imaginer qu’il n’est pas constamment là.

 

Comment priez-vous ?

Comme possible.

 

Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?

De ne pas m’être aperçu que je n’avais pas ouvert un journal depuis plus de dix ans.

Propos recueillis par Gabriel Fouquet