Chateaubriand, Discours de réception à l’Académie française (1811)

Contrairement à ce qu’exige une tradition qui, vu le cheptel, devient de plus en plus embarrassante, et demande que le discours de réception du nouvel académicien soit l’éloge du prédécesseur (ou, à défaut, celui du Cardinal de Richelieu), Chateaubriand ne fit pas un éloge, et souligna, entre autres, la mortalité littéraire de « l’immortel » qui le précédait, Marie-Joseph Chénier. Celui-ci le persécuta bassement pendant quinze ans, et réunit une meute pour dire combien Chateaubriand ignorait non seulement l’art d’écrire mais surtout la grammaire et les rudiments de français qui permettent de composer une phrase. Bref : encore un visionnaire.

Ce discours de réception est sans doute le seul où l’on voit dans l’Académie un homme qui a ce courage : habituellement l’Académie s’assure d’élire quiconque en sera dénué, ce pourquoi il ne faut jamais s’étonner de voir autant d’hommes de salon et si peu d’hommes de génie. Chateaubriand a fait ce qu’aucun académicien ne ferait aujourd’hui : mépriser sous la coupole un méprisable prédécesseur. Dans ce registre, il existe également, bien que plus feutré mais tout aussi remarquable, le discours de Paul Valéry qui dut faire l’éloge d’Anatole France et, en un long texte, ne prononça pas une seule fois son nom : Valéry refusait d’adresser tout témoignage d’estime à cet A. France qui avait été un jour hostile à Mallarmé…

Attendu qu’à l’heure où nous écrivons, son discours n’est pas disponible sur la page de l’Académie française où sont quasiment tous les discours de réception, il faut en déduire que Chateaubriand dut certainement laisser un immortel traumatisme à l’Académie de « ces quarante qui sont là et qui ont de l’esprit comme quatre » (Le célèbre mot est d’A. Piron, qui y fut élu puis en fut chassé).

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Post-scriptum écrit neuf ans plus tard : le texte de Chateaubriand n’est toujours pas sur la page de l’Académie.