Service Littéraire, numéro 135
Bloc-Notes de Maxence Caron (janvier 2020) dans le Service Littéraire : L’athéisme ordinaire, Stardust Memories et Dieu.
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Cette page, adaptée pour les besoins de la presse, est extraite d’un texte bien plus vaste, que l’on trouve dans le Bloc-notes du mystique à l’état sauvage (Les Belles Lettres, 2024).
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L’athéisme ordinaire, Stardust Memories et Dieu
Aussi plat et desséché qu’un stoquefiche, le langage commun est usé, que remplissent des expressions aussi courues qu’insensées. De l’unanime cacodrome les phrases surviennent agressivement vides. Se protéger du fracas ordinaire n’est pas toujours possible. Je fus ainsi forcé d’ouïr hier un animateur de radio d’État, et le bécassin coucouanna fièrement la tapageuse trivialité de cette sentence : « il n’y a pas de vie après la mort ». Le dadais parlait comme s’il était convaincu d’avoir trouvé son chemin en se hâtant vers le fond d’une impasse en acier. Savait-il seulement ce qu’il disait, ou ce que les mots disaient tout seuls et sans lui ? Restons-en certes au sens des choses : qu’il n’y ait pas de vie après la mort signifie, en toute rigueur, que les deux termes, vie et mort, s’excluent absolument. C’est là qu’implose et s’inverse la proposition athée de l’animateur d’État. Vie et mort s’opposent assurément ; or il se trouve que nous sommes en vie : par conséquent, puisqu’il n’y a pas de vie après la mort, il n’y a pas de mort après la vie – pas de mort après notre vie. Ce qui advient lors du décès relève d’une apparence dont la réalité (la continuité de la vie) se constitue à la fois rationnellement et hors du visible. Ce fait de continuité doit être pleinement assumé, et non abandonné au caprice. « Il n’y a pas de vie après la mort » veut dire : il y a la vie après la vie, et la mort après la mort ; et moi qui suis en vie je le suis donc pour toujours. De quelle façon ? C’est la seule question. Et c’est en y répondant selon la mesure de la vie qui depuis toujours m’a précédé, que je boirai à la gloire de ce qui me prononce et me contient.
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Un athée est une personne qui, sous couvert de porter plus loin l’exigence d’Absolu, ne cesse de la bafouer. Dans Stardust Memories (sorti en 1980), parlant de Dieu et se défendant d’être athée, Woody Allen affirme : I’m the Loyal Opposition. Le mot fait référence à la relation de fidélité que l’opposition majoritaire et non gouvernementale incarne dans la politique anglaise. Cette partie de la Chambre des communes se nomme « la très fidèle opposition de Sa Majesté » (Her Majesty’s Most Loyal Opposition). Lorsqu’au XVIIIe s. apparaît la notion d’« opposition loyale » au sein du gouvernement, c’est pour signifier que les désaccords d’opinion, quoi qu’il en soit, demeurent fidèles aux intérêts d’un même principe : l’unité monarchique. La voix de « la fidèle opposition » est là pour enrichir le chemin qui conduit à la mise en valeur de cette unité. Lorsque W. Allen affirme qu’au sein de sa relation avec Dieu, il est l’opposition loyale, alors que celle-ci représente aux Commons après-guerre le parti majoritaire lorsqu’il n’est pas au gouvernement, l’auteur de Stardust Memories dit deux choses en un paradoxe : il est la majorité reconstituée, c’est-à-dire la voix du peuple opposée au gouvernement, mais il est aussi cette « opposition » quelle que soit la couleur du parti qui la représente, l’essentiel étant ici de demeurer au cœur de cette relation de « loyal opposition » – qu’il faut définir en soi. Car le sens ultime de ces mots empruntés au latin et qui sont donc rares et riches pour l’usage américain courant, ne se découvre pas dans les faux-amis que sont leurs homophones français, mais par l’étymologique condensation qu’un anglophone lettré y entend lorsque, comme W. Allen, il les emploie en place de mots qui fussent plus naturels à l’oreille de la plèbe américaine. En affirmant I’m the Loyal Opposition pour déjouer l’athéisme, et en mêlant à ses paroles la charge linguistique des mots latins qui les tissent – legalis ou lex, et opponere – W. Allen connaît ainsi Dieu comme Celui dont l’existence rend possible la mienne puisque, préalablement à toute conscience, je suis constitué en Lui qui me fait son vis-à-vis (opponere) légitime (legalis). Loyal Opposition, le cœur d’homme est le face-à-face (opponere) dont une Alliance (lex) révèle l’antécédent cœur-à-cœur. Déployant l’espace d’une Loyal Opposition, Dieu est ainsi Celui à qui je fais face en vertu d’une Alliance qui me précède. Et plus que l’œuvre entier de W. Allen, il y a là l’être de l’homme, et une leçon de vérité.
Maxence Caron
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