Service Littéraire, numéro 143

Bloc-Notes de Maxence Caron (décembre 2020) dans le Service Littéraire : Le catéchisme contre-divin des amis d’Alice Coffin

Cette page, adaptée pour les besoins de la presse, est extraite d’un texte considérablement plus vaste, que l’on trouve dans le Bloc-notes du mystique à l’état sauvage (Les Belles Lettres, 2024).

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Le catéchisme contre-divin des amis d’Alice Coffin

Pour chacun qu’enchantent les ménageries et les zoos il est un lieu, au cœur du Paris sulpicien, que ses succulentes collections désignent à l’intérêt des amateurs. Sa faune homogène y inclut une gamme tératologique qui est devenue l’une des premières au monde. L’écologie y est d’avant-garde puisque, de la blatte au babouin, chaque espèce y est incitée à exprimer ses opinions en sa qualité même d’animal. Ainsi va la vie de ce fabuleux rocher aux singes : l’Institut Catholique de Paris.

Pourquoi catholique lorsqu’y sont entretenues les hérésies les plus arriérées ? Il n’y a jamais rien eu de catholique dans cet hospice où, sous l’œil de l’ovarien génie d’Alice Coffin, qui en fut longtemps pensionnaire, l’on y fait vêler les avis anticléricaux de bourgeoises génisses au milieu des acclamations de nonnes théophobes et de calotins apostats. Mais le mérite de cet institut est la préservation des espèces disparues. C’est un musée d’histoire contre-naturelle. Une génération d’ahuris protérozoïques y est de fait conservée et exhibée comme telle, car ici l’on exporte le vivarium, l’on promène la malle aux monstres par manière d’acquit. La dernière promenade de l’hospice est un ouvrage évidemment impuissant et anachronique, mais publié pour tous ceux qui, entraînés par la gourmandise de contempler les primates, auront promptitude à s’en soulager. Intitulé Jésus après Jésus, le collectif est écrit par « 80 spécialistes mondiaux » (Albin Michel).

Quand on est mondialement savant, l’on n’a toutefois guère besoin d’être 80. Confondre ainsi publication et publicité, c’est espérer de transmettre un mensonge. Lequel ? L’ouvrage repose sur son milieu biologique, celui de l’amorphe plancton dont les bulles tissent le fond des athéologies religieuses que l’on voit écumer aux époques de brutes, et la dernière glaire remontée par la marée aux babasses fut à cet égard celle du dogme relativiste de 1968. Le livre veut donc nier de façon systémique le sens du christianisme et le détail de son propos – tout en s’affirmant chrétien. Quel intérêt ? Nul, ou pire. Car l’on mesure la schizophrène sottise et le rigorisme idéologique de ceux qui confessent la foi catholique dont ils veulent en même temps proclamer l’erreur. Ces « 80 spécialistes mondiaux », catholiques, expliquent sur 500 pages que Dieu n’existe pas vraiment, que les sacrements ne servent à rien, et autres machins entendus mille fois : sont-ils donc les êtres les plus stupides de ce monde dont ils sont les mondiaux ? Oui. Constatons : une masse de défroqués cacochymes obsédés à régler un tas de comptes hiérarchiques, s’imaginant chacun faire l’insolent quand, à moins de cinq ans de ses obsèques, il ne parvient pas même à faire le paradoxal ; une espèce d’évêque manucuré et semi-huguenot, Joseph Doré, nommé à Strasbourg par l’État, mesquin comploteur droit sorti d’un roman de Dumas et aux pensers bas comme l’herbe ; le P. Guggenheim qui, du fait de la gigantale constipation que la vanité lui produit, n’a jamais ouvert les yeux qu’à moitié, si bien que cela lui donne l’air de ce qu’il est : une précieuse de quartier ; enfin, la duègne des grotesques, Roselyne Dupont-Roc (dont le patronyme n’est pas un contrepet) qui, n’ayant pas l’agilité pour l’agrégation de lettres, s’est retrouvée grammairienne et commit une honteuse traduction d’Aristote avant d’administrer à saint Paul des leçons d’Absolu.

Ils sont 80 et chacun fait peur par la brièveté de sa personne. Cet institut exporte des tribus idéologiquement si primitives qu’elles eussent été réfutées par le premier venu des protagonistes de la Guerre du feu. Les hennissements de haquenée maudite que pousse une Dupont-Roc devant la Vérité sont d’une préhistoire originelle et plus ancienne que les onomatopées d’homo erectus : la préhistoire de ceux qui décident de préférer à Dieu le cadastre de leur ombilic. Cette aventure d’idéologie couvre un mécanisme dont Nietzsche a éloquemment parlé : « le plus hideux de tous les hommes », écrit-il, c’est celui qui vit dans le besoin de confesser Dieu pour assouvir celui de l’outrager. Morbide posture, et qui est celle de ce catéchisme contre-divin que nous proposent les confessants collègues de la mère Coffin. Tout coq reste ici seigneur en son fumier, et l’Institut Catatonique de Paris est bien gardé.

Maxence Caron