Service Littéraire, numéro 144

Bloc-Notes de Maxence Caron (janvier 2021) dans le Service Littéraire :
Chateaubriand et la renaissance politique

chateaubriand

Chateaubriand et la renaissance politique

 

Les mœurs sont énormément corrompues et penchent d’une prodigieuse inclination vers l’empirement. Parmi l’ignorance abécédaire d’une ère charmée de n’être qu’inversion et tandis que le présideux Minus Trogneux se promène au bras de sa mousmée précambrienne, le basculement révolutionnaire paraît inéluctable. « Malheur quand le sceptre est aux mains d’un enfant ! » (Shakespeare) et surtout quand cet égayé de fin de monde joue à faire la leçon aux univers. Ce visage glabre que détrempe tout un marécage de fadeurs exclamatives, n’a pourtant aucune réalité. Le réel je l’examine là, universel, dans un livre épuisé et capital de Chateaubriand : La Monarchie selon la Charte (1816). Il y fait remontrance au roi restauré. C’est au nom même de l’attachement au souverain légitime que l’auteur, déçu par l’action du souverain, en appelle, devant lui, à ce corps mystique et royal dont la réalité dépasse le monarque, en qui il est incarné pour être servi. L’auteur défend ici le droit divin et la Charte selon laquelle a été accueillie sa restauration. La force du droit divin réside en ses limites et ses devoirs, et son devoir est la bonté envers le peuple, qu’il ne faut pas exaspérer : « n’exaspérez par vos enfants, dit st Paul, de peur qu’ils ne se découragent » (Col. 3, 21). Au-dessus du roi de France il y a Dieu et ses commandements ; au-dessus du président de république athée il n’y a rien, pas même la France. Au-dessus du droit divin il y a l’amour du prochain, ce qui rend impossible le capitalisme que nous connaissons : le riche n’a nul droit de s’enrichir par principe ou en appauvrissant ses ouvriers par crainte d’être moins riche. Le modèle de l’État chrétien de droit divin n’est pas « la croissance » (qui fait l’abstrait bonheur des chiffres et la concrète misère des hommes) mais la conservation des biens entre tous. L’argent ne fait le bonheur que lorsque rien d’autre ne peut le procurer : une société animée par un État arraché au droit divin et dont le socle est le vide et l’horizon l’amour de soi, est ainsi une société dont la finalité, le moteur et le centre sont l’argent. L’État laïque, athée, est structurellement un État d’argent soit l’inverse de la France qui est née et doit rester un État de droit divin, celui du génie du christianisme. Chateaubriand veut la Restauration mais que l’on prenne acte des récents événements au risque de voir une révolution tous les vingt ans. Royaliste il l’est au sens véritable où le droit de l’Absolu est préservé, et non en un aveugle conservatisme : le droit divin d’abord, puis le régime politique : il se peut que l’on ait une république de droit divin dont le souverain soit élu pour appliquer la loi divine qui le précède. La sagesse profondément biblique de Chateaubriand n’est pas attachée à la précédence d’un absolu institutionnel mais à celle de l’Absolu dans l’institution. Le positivisme d’hébétation que vomit la crapule maurrassienne dit l’inverse. Loin des mufleries nationalistes,la monarchie est inscrite dans le génie du christianisme et Chateaubriand dit au roi comment la confirmer : par les droits du Parlement et la liberté de la presse. Car elle est de droit divin et non de ces despotismes qui sont à eux-mêmes leur propre droit : l’oppression des libertés fondamentales qui sont l’image de Dieu en l’homme, serait une fatale contradiction. La remontrance de l’auteur ne conteste donc pas la légitimité du droit divin mais en constitue le rappel : la liberté vient de Dieu, et elle a donc le roi pour garant, non pour ennemi. Un pouvoir liberticide est un contre-sens envers le droit divin et produit une tension qui est permanente cause de révolution. Chateaubriand n’annonce pas seulement ici tout le XIXe s. mais tout le XXoù le césarisme athée de Maurras, marcionite, antisémite, antichrétien, sera le « fascisme initial » (E. Nolte) dont les figures se déclineront en totalitarismes illimités. En ce chef-d’œuvre inattendu, Chateaubriand prophète fait justice des racines néopaïennes du capitalisme et de celles des extrêmes qui en procèdent, et place dans l’Esprit Saint les conditions de toute renaissance politique. La continuité de la France historique se trouve dans la France mystique. Ces pages seront, au 18 juin, l’esprit de la mystique de de Gaulle, de cette vision catholique non pas tant de la France éternelle que de l’éternité de la France.

Maxence Caron