Philosophie apolitique

Cette page, adaptée pour les besoins de la presse, est extraite d’un texte considérablement plus vaste, que l’on trouve dans le Bloc-notes du mystique à l’état sauvage (Les Belles Lettres, 2024).

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Il paraît qu’en vertu de l’Olympe dont il descend, le droit de vote est en lui-même le dieu de la liberté. Fruit mûri du totalitarisme dans les esprits pour leur faire défendre le suffrage, l’argument suivant est devenu obsessionnel : « Le vote c’est un devoir ! dit le crétinisme : quand on pense à tous les gens qui sont morts pour que nous puissions voter… » Ah ? Et quand on pense à tous ceux qui sont morts pour que nous puissions ne pas voter ? On n’en parle jamais de ces héros-là ! On devrait pourtant changer les bonnes grosses foires des dimanches électoraux en célébrations à leur mémoire : simple question d’équilibre. Ô le moment unique où se déplace toute cette immense pègre que sont les imbéciles pour donner une légitimité à ce qu’on va leur faire subir : c’est drôlement vicieux de faire du peuple l’impotent complice de la violence du pouvoir qui s’exerce sur lui. Entend-on Flaubert qui écrit à George Sand : « Le respect, le fétichisme que l’on porte au suffrage universel me révolte plus que l’infaillibilité du Pape. »

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Les hommes ne s’aiment pas les uns les autres, et quand ils arrivent à s’aimer un peu c’est pour pouvoir se détester beaucoup. L’homme à qui l’on accepte de laisser le pouvoir devient dès lors la plus dangereuse de toutes les créatures, puisqu’il est celui à qui l’on donne le moyen d’exercer concrètement sa détestation d’autrui, et d’en faire un pouvoir ainsi qu’un métier. Le politicien est l’individu en qui cette haine devient donc une habileté, une mission, une conséquence virtuose et néfaste. Faire de la détestation de l’autre homme une réalité est l’activité de chacun de ses instants. Dans les démocraties terminales où il est protégé par le blanc-seing du vote, l’homme politique est ainsi par principe un ennemi du peuple.

Maxence Caron