
Article paru dans le numéro 171 (Juin 2023) de Service Littéraire
Article paru dans le numéro 171 (Juin 2023) de Service Littéraire
Dans Le Point du 4 mai 2023, Bernard-Henri Lévy consacre la totalité de son Bloc-notes à Maxence Caron.
Il est temps de découvrir ce penseur prolifique et inactuel, promoteur d’un « Système nouveau de la pensée », s’enthousiasme le philosophe.
On peut également lire le texte dans La Règle du Jeu.
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Lorsqu’une femme choisit l’Essentiel et s’y consacre totalement, la force avec laquelle la vertu d’abandon la conduit au sommet est inégalable. Et c’est pourquoi les œuvres des saintes, leurs paroles, leurs écrits sont si puissants. S’il est bien un domaine dans lequel la femme dépasse l’homme, c’est celui de la perfection.
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Ce n’est pas parce que les mœurs changent que la Vérité est variable. Ce n’est pas parce que les hommes vont à l’immonde que le Bien les suit. Sinon, autant dire que le soleil ne se couche que lorsque je me déculotte.
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La scène est parfaite. Le peuple endure, il souffre, il crie. Il est méprisé par le pouvoir qui n’est pourtant rien sans lui. Indifférent aux émeutes, un ministre convoque cependant un magazine pour y clamer des confidences. Car, voyez-vous, le ministre préfère l’anus, et il importait incontinent que tous le sussent.
Quand la population marche à travers les rues,
Le ministre travaille ; il épate son cul.
Exilés loin du sol et du bruit des huées,
Ses us troudeballiers l’empêchent de marcher.
Connaît-on une seule ère de l’histoire où la décadence elle-même fut décadente ?
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Le peuple a toujours tort : tort d’élire ou de laisser élire une arsouille, mais tout également tort de vouloir s’en défaire ensuite par émotion et brutalité. Le peuple ne trouve son sens qu’à aimer un roi qui lui-même aime ce Dieu qui a tant aimé l’humanité. C’est ce roi qu’imperceptiblement son désir le plus profond recherche en votant, et c’est ce roi qu’insensiblement son désir le plus profond espère en se révoltant. Tout le reste appartient au bruit et au mensonge.
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Un prix littéraire, quelques titres risiblement ronflants, une rosette à la boutonnière, le déguisement parfois d’un habit vert, le connivent soutien, toujours, de stratégiques imbéciles : enfermés dans la ténèbre de leur tombeau, tous ces morts pour paraître haut placés chaussent des échasses dans l’obscurité.
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Le génie ne rivalise avec personne, sa solitude n’a pas même cette consolation : mais il lutte avec son génie. Jacob n’a pas de rivaux, seulement des poursuivants, jaloux et bornés : protégé par la nuit, il lutte avec l’Ange.
Maxence Caron
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« Étonnement. Rareté. Événement. Nous avons vu paraître ces derniers jours un roman ! Un véritable et beau roman, construit, puissant, pensant, une architecture d’un haut millier de pages, peuplée de personnages qui vivent et dont s’impose chacun des visages. Un roman total et qui ne craint jamais de prendre sur lui l’exigence dictée par la tradition de ses aînés. Un roman dont cette glorieuse exigence est même le point de départ. Un roman qui commence en tenant Balzac dans une main et Bernanos dans l’autre. Son titre : La Chasse au Cerf. Et son auteur est notre ami Romain Debluë. Ne craignant pas de tisser son récit et ses intrigues sans les priver jamais de style ou de pensée, il publie là un roman total. Ainsi firent en somme tous les grands romanciers : Balzac le théosophe maniant constamment l’histoire de la pensée, dont les Études philosophiques sont le couronnement de la Comédie humaine ; et Bernanos dont les personnages vivent d’incarner une aporie qui cherche ou fuie la rencontre de son équation théologique ; et Rabelais dont des passages entiers sont recopiés mot à mot des philosophes médiévaux ; et Proust qui était fier que son roman soit aussi, en réponse à Bergson, un traité de philosophie sur l’art, l’âme et le temps ; et Dostoïevski bien sûr, et Rousseau évidemment, et Melville, et Goethe, et Montesquieu, et Cervantès, et tous les autres. C’est en assumant les impératifs de cet héritage dont il tutoie les racines, qu’à 30 ans Romain Debluë réussit un monumental roman néo-classique, en une langue mozartienne déployant un monde aux dimensions des opéras de Richard Strauss. À la science sereinement intemporelle ici mise en œuvre, nous ne voyons certainement pas de rival dans le monde de ceux qui font profession de raconter une histoire, et qui sont deux assommants milliers entre septembre et février. Que les prétendus romanciers soient devenus incapables de cette ambition qui veut penser, en un style, l’existence et le destin de personnages fictifs au sein d’un récit que pétrissent les péripéties symboliques, voilà qui a conduit à la disparition d’un certain art. Par l’autorité du soufflet qu’il applique à la trogne des légions d’impuissants, le livre de Romain Debluë suspend cette malédiction. »
Maxence Caron
(Extrait du Bloc-notes paru dans le n° 169 de Service Littéraire)
La Tétralogie :
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