Bloc-notes de Maxence Caron : octobre 2024

Service Littéraire, n° 185, octobre 2024

(Dessin de « Mars » Maurice de Bonvoisin (1849-1912), arrière-grand-père de Maxence Caron)

La corporation des acteurs regroupe un incalculable nombre d’arriérés dont la psychanalyse ne sait que faire. Ils prévariquent insatiablement contre l’intelligence puis manifestent avec une vulgarité soviétique des sentiments qu’un singe rougirait de montrer, mais pour lesquels eux-mêmes sont prêts à se signer une procuration d’exhibition universelle.

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Je me souviens de cet homme incurablement stupide, et qui était éditeur, et dont le nom était légion : s’obsédant à vouloir couronner les déclinaisons de l’abominable, ne discernant que les écrivassiers dérisoires, il ne mettait jamais la main que sur le ridicule. Et parfois il l’écrivait lui-même. Il tua quelques catalogues, ne légua rien et disparut. Personne, ni même le néant, n’entendit plus parler de lui.

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J’ai toujours travaillé afin que mon ouvrage n’eût point à mourir en même temps que moi. Ni surtout à vivre au rythme effondré de l’existence d’autrui. Car je ne m’explique point pourquoi tous meurent ainsi beaucoup plus que moi. 

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S’adonnant à une sorte d’automutilation systématique la collection de la Pléiade a pris ce goût étrange d’effacer son catalogue en ayant l’air de le conserver : elle refond en effet ses meilleurs titres pour les confier à l’indélicat toucher du moindre des Jean-Paul Goude que l’incompétence lui suggère de recruter. Comme ce fut le cas de Rimbaud il y a quelques années, et faisant appel au même fonctionnaire, Gallimard a donc récemment contraint ses lecteurs aux « nouvelles » Œuvres complètes de Baudelaire. Inondé par la confiance que l’éditeur lui consent, et grognant depuis le fond de son cagibi de hures, quelque universitaire algonquin massacre régulièrement de son impéritie les travaux qui furent naguère bien faits. Souvenez-vous du Rimbaud néo-pléiadisé de 2009 : les poèmes étaient imprimés maintes fois de suite à l’identique, afin, paraît-il, que l’on puisse les contempler dans chacune des éditions fautives d’époque… Si, à la queue-leu-leu des versions, un accent aigu avait été omis (ce dont une note eût naguère suffi à faire mention), il fallait ainsi jouer au jeu des sept différences entre les séries de poèmes identiques. Passionnant. Gallimard a-t-il pour ambition d’inventer des lecteurs non plus de Rimbaud mais des coquilles de ses protes ? Quinze ans plus tard, la même foire est infligée à Baudelaire par le même exorable ahuri. Derrière ce phénomène inexplicablement désolant, sachons admirer ce fait plus étonnant encore, et dont il faut cette fois se réjouir : ne publiant plus que trois ou quatre livres notables sur mille titres par an, le vrai miracle de Gallimard & Fils est d’être encore debout en se donnant tant de peine à mal faire. 

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Il m’a toujours semblé que les cours, colloques et conférences étaient utiles, mais uniquement aux professeurs. 

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Excitateur de poncifs, aménageur d’inconsistances… Les idées de Raphaël Enthoven sont stupides, bien sûr, et souvent indignes. Mais il bénéficie d’une circonstance atténuante : ce ne sont jamais les siennes. Tous les sots n’ont pas ce luxe d’être domestiques. 

Maxence Caron

Sous presse : « Heidegger… »

La nouvelle édition du grand livre que Maxence Caron consacra à Heidegger est sous presse et paraîtra aux Belles Lettres dans les premiers jours de janvier :
Heidegger — Pensée de l’être et origine de la subjectivité, préface de Jean-François Marquet, Les Belles Lettres, 2025, 1770 pages.

Extraits du dossier de presse :

« La synthèse la plus étendue qui ait été donnée de l’ensemble de la pensée heideggerienne. […] Une cathédrale. » (Libération)

« Le gigantesque ouvrage de Maxence Caron dont il faudrait plusieurs dizaines de pages pour pouvoir honnêtement rendre compte, est très certainement la meilleure « introduction » à celui qui aura depuis 1927 (date de parution d’Être et temps) marqué l’époque de façon indélébile. Personne ne pourra lui refuser son sérieux, l’ampleur et la précision de ses vues, les qualités de son écriture et de ses références. » (Bulletin critique du livre français)

« À ceux qui trouvent « difficile » l’œuvre de Heidegger, on ne peut que recommander la lecture de Maxence Caron, l’un des meilleurs connaisseurs du sujet. » (Alain de Benoist, Éléments)

« Le livre de Maxence Caron est important non seulement par son volume mais aussi par son érudition. » (Marianne)

« Ce livre est à l’heure actuelle le seul ouvrage d’ensemble sur la pensée de Heidegger. » (Revue philosophique de Louvain

Etc. etc.

L’événement : l’Oeuvre poétique complète de Hölderlin

À paraître le 15 novembre

Friedrich Hölderlin
Oeuvre poétique complète

Texte établi par Michael Knaupp 
Traduction, introduction et notes de François Garrigue
Édition bilingue avec variantes, chronologie, tables et index

Les Belles Lettres, 1016 pages, 2024
grand format

Feuilleter ici l’introduction et la table des matières


Cet ouvrage bilingue est la seule édition complète de la poésie de Hölderlin, et dépasse tout ce qui a été produit en France sur l’auteur. 

Au-dessus même de la figure de Goethe, beaucoup regardent aujourd’hui Hölderlin (1770-1843) comme le plus grand poète allemand. Mais la différence est si grande entre ces deux œuvres qui furent contemporaines, que la comparaison n’est guère utile qu’à souligner la force, l’influence et la place acquises peu à peu par Hölderlin : la plus grande.

Il vient au monde en même temps que Bonaparte, Hegel et Beethoven. Les souhaits de sa famille le destinent à devenir pasteur, ce qui le conduit au Stift de Tübingen, où il se lie avec Schelling et Hegel. Une affaire le préoccupe : trouver une parole susceptible d’exprimer la totalité. Ce qui sera un jour la hantise de Mallarmé et le mettra au bord de la folie, est l’obsession de Hölderlin et l’y conduit. S’épuisant en une quête du tout mais qui se donne la déchirure pour présupposition, le poète s’oblige cependant à devenir lui-même la cheville de cette insoluble contradiction dont, comme des traces fragmentaires, tombent des paroles que l’on n’a jamais entendues. Les grands hymnes autant que les œuvres brèves vibrent d’une mystérieuse sérénité au sein de l’écartèlement de cet homme qui, comme s’il était un dieu, s’efforce d’incarner lui-même la suture dont l’univers brisé est incapable. Jamais n’avait ainsi résonné l’âme d’un penseur poétiquement aux prises avec l’impossible formulation absolue de l’Absolu. Creusant cette impossibilité jusqu’à ce que sa personnalité s’effondre, quelques graves crises emportent la lucidité de Hölderlin vers l’âge de 35 ans. Il passe les quarante autres années de sa vie en pension chez un brave homme de Tübingen, dans une petite tour au bord du Neckar. 

S’il n’a pas cessé de faire l’admiration de quelques lecteurs, Hölderlin était encore quasiment inconnu un siècle après sa mort. Il y a à peine une génération, en France, son nom ne disait rien au grand-public cultivé. Puis parut en 2005 l’admirable édition de François Garrigue. Contrairement aux traductions jusqu’alors publiées et qui en prenaient à leur aise, F. Garrigue est attentif aux moindres accents de la rythmique hölderlinienne et à ses plus subtiles intonations. Sous les yeux du texte original, l’œuvre apparaît vraiment pour la première fois. Ce grand livre s’épuisa vite mais ne reparut jamais. Le voici enfin de nouveau. 

« Traité du Purgatoire », de sainte Catherine de Gênes

Table des matières

Comment, par comparaison avec le feu divin qu’elle ressentait au-dedans d’elle-même, elle comprenait ce qu’était le purgatoire, et comment les âmes s’y trouvent contentes et souffrantes
  
1. Parfaite conformité des âmes du purgatoire à la volonté de Dieu
  
2. Joie des âmes du purgatoire Leur croissante vision de Dieu,  la raison de la rouille
  
3. Souffrance des âmes du purgatoire, la séparation d’avec Dieu est leur plus grande peine
  
4. Différence entre les damnés et les âmes du purgatoire
 
5. Dieu montre sa bonté même envers les damnés
  
6. Purifiées du péché, c’est avec joie que les âmes du purgatoire s’acquittent de leurs peines
 
7. De quel violent amour les âmes du purgatoire aspirent à jouir de Dieu
Exemple du pain et de l’affamé
  
8. L’enfer et le purgatoire font connaître l’admirable sagesse de Dieu
  
9. Nécessité du purgatoire

10. Comme le purgatoire est chose terrible

11. L’amour de Dieu qui attire les âmes saintes et l’empêchement qu’elles trouvent dans le péché sont les causes des tourments du purgatoire

12. Comment Dieu purifie les âmes Exemple de l’or dans le creuset

13. Les âmes ont un désir ardent de se transformer en Dieu
Sagesse de Dieu qui leur tient cachées leurs imperfections

14. Joie et douleur de l’âme du purgatoire

15. Les âmes du purgatoire sont hors d’état de pouvoir mériter encore
Comment leur volonté est disposée à l’égard des bonnes oeuvres offertes ici-bas en suffrage pour elles

16. Ces âmes veulent être pleinement purifiées

17. Exhortationse et reproches aux vivants

18. Au purgatoire, les âmes souffrent volontiers et dans la joie

19. La sainte conclut son exposé sur les âmes du purgatoire en leur attribuant ce qu’elle ressent dans son âme

Comment, par comparaison avec le feu divin qu’elle ressentait au-dedans d’elle-même, elle comprenait ce qu’était le purgatoire, et comment les âmes s’y trouvent contentes et souffrantes

Cette sainte âme encore dans sa chair se trouva établie dans le purgatoire du brûlant amour de Dieu. Il la brûlait toute et la purifiait de ce qu’elle avait à purifier, de façon qu’au sortir de cette vie elle pût être présentée au regard de Dieu son doux amour.

Par le moyen de ce brûlant amour, elle comprenait en elle-même dans quel état se trouvent au purgatoire les âmes des fidèles pour purifier toute espèce de rouille et de tache du péché non encore effacée durant cette vie.

Elle-mêrne, établie au purgatoire du feu divin d’amour, se tenait unie à son divin amour, satisfaite de tout ce qu’il opérait en elle; comprenant qu’il en était ainsi des âmes qui sont au purgatoire, elle disait:

1. Parfaite conformité des âmes du purgatoire à la volonté de Dieu

Les âmes qui sont au purgatoire, à ce que je crois comprendre, ne peuvent avoir d’autre choix que d’être en ce lieu puisque telle est la volonté de Dieu qui dans sa justice l’a ainsi décidé. Elles ne peuvent pas davantage se retourner sur elles-mêmes. Elles ne peuvent dire: j’ai fait tels péchés et c’est à cause d’eux que je mérite de me trouver ici. Il ne leur est pas possible de dire: je voudrais ne pas avoir fait tels péchés, parce qu’ainsi j’irais tout de suite en paradis. Pas davantage: celui-ci sortira d’ici avant moi. Ni dire: « j’en sortirai avant lui. »

Elles sont incapables d’avoir ni d’elles-mêmes ni des autres aucun souvenir, ni en bien ni en mal, qui puisse augmenter leur souffrance. Elles ont, au contraire, un tel contentement d’être établies dans la condition voulue par Dieu et que Dieu accomplisse en elles tout ce qu’il veut, comme il le veut, qu’elles ne peuvent penser à elles-mêmes ni en ressentir quelque accroissement de peine.
Elles ne voient qu’une chose, la bonté divine qui travaille en elles, cette miséricorde qui s’excerce sur l’homme pour le ramener à Dieu. En conséquence, ni bien ni mal qui leur arrive à elles-mêmes ne peut attirer leur regard. Si ces âmes pouvaient en prendre conscience, elles ne seraient plus dans la pure charité.
Elles ne peuvent non plus considérer qu’elles sont dans ces peines à cause de leurs péchés, cette idée , n’entre pas dans leur esprit. Ce serait en effet, une imperfection en acte, chose qui ne peut exister en ce lieu où il est impossible de commettre un péché. Pourquoi elles sont en purgatoire, cette cause qui est en elles, il ne leur est donné de la voir qu’une seule fois, au moment qu’elles sortent de cette vie, et dans la suite ne la voient plus jamais. Autrement, ce regard serait un retour sur soi.

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Parution : Raymond Schwab, « La Renaissance orientale »

Publication dans « Les Classiques favoris » de La Renaissance orientale, le chef-d’oeuvre de Raymond Schwab. (Belles Lettres, 2024, 464 pages)


Édition conforme au texte original, avec bibliographies et index
Introduction de Thibaut Matrat 

Paru en 1950, le grand livre de Raymond Schwab (1884-1956) est une révolution qui valut la gloire à son auteur. Grand classique, La Renaissance orientale bouleversa la perception que le public se faisait des figures les plus célèbres de l’histoire contemporaine de la littérature et de la philosophie. Étrange affaire : célèbre dans le monde entier, l’ouvrage était introuvable en France. 
Avec élégance, rigueur et douce imperturbabilité, Schwab y montre tout ce que la pensée, la littérature, les sciences et les arts européens doivent à cette redécouverte obstinée des pensées orientales qui commença au XVIIIe siècle. La fascination exercée par l’Orient sur les sciences et les arts en Europe entre le XVIIIe siècle et la fin du XIXe, a dessiné en profondeur les perspectives panthéistes dans lesquelles notre civilisation a voulu définir sa modernité. Alors que la « première Renaissance » redécouvrait au XVIe siècle l’Antiquité gréco-romaine, cette « seconde Renaissance », aux XVIIIe et XIXe siècles, ouvre les structures mentales de l’Europe à l’Orient. Celui-ci est conçu à la fois comme son autre et comme son origine, puis transformé en quelque chose qui va devenir ce qu’est notre monde. C’est la manière dont les sources orientales ont pu donner lieu à une appropriation européenne qui intéresse l’auteur. Dès lors le matériau qu’il inspecte est considérable : citons pêle-mêle et parmi tant d’autres Lamartine, Hugo, Michelet, Baudelaire, Wagner, Goethe, Nietzsche, Shelley, Leconte de Lisle, Emerson, Flaubert… 
Les sources du basculement de toute une civilisation dans la grande accélération moniste est la préoccupation majeure de ce livre. Celui-ci s’est imposé, au fil du temps, comme une éblouissante somme d’histoire des idées tout autant que, de l’aveu même des spécialistes, comme la plus magistrale histoire de l’orientalisme jamais écrite. Lors de sa traduction anglaise il y a quelques années, le Journal of Asian Studies écrivait ainsi de La Renaissance orientale qu’il s’agissait « d’une œuvre extraordinaire », et que « la richesse des détails, la synthèse imaginative des matériaux, la présentation captivante y étaient inégalées en ce domaine ». Dans le New York Times, Bernard Lewis en personne concluait : « Le livre de Schwab apporte un magistral éclairage, enrichissant en profondeur notre compréhension de la tradition intellectuelle et de sa place dans l’évolution du monde occidental. » 
Voici ce chef-d’œuvre à nouveau significativement disponible pour la première fois depuis sa parution. Une belle introduction de Thibaut Matrat fait portrait de l’auteur en sa vie et ses livres. 

Auteur brillant en tous domaines (roman, poésie, philosophie, musique, histoire de l’art), ami des grands artistes de son temps, Raymond Schwab est né dans une famille juive de Lorraine. Il se convertit au catholicisme. Illustre traducteur biblique, nous lui devons les Psaumes de La Bible de JérusalemLa Renaissance orientale est son œuvre testamentaire. Il y observe la façon dont s’est construite, en un énergique culte de l’immanence, la civilisation qui naît au XXe siècle.