Nouvelle édition du « Traité de l’art » de Maxence Caron

En ce mois d’octobre, les éditions Séguier impriment une nouvelle édition du Traité de l’art de Maxence Caron. Le livre était épuisé depuis quelque temps.

Maxence Caron, De l’art comme résistance à l’implication politique, Séguier, 2015, 632 pages

Le Bloc-Notes du « Service Littéraire » (mars 2020) : « Marc Fumaroli : une Oeuvre »

Service Littéraire, numéro 137

Bloc-Notes de Maxence Caron (mars 2020) dans le Service Littéraire :
Marc Fumaroli : une Oeuvre

Nicolas Poussin, L'institution de l'Eucharistie

Marc Fumaroli : une Œuvre

L’on aurait tort d’imaginer que la gendelettrerie aime les œuvres véritables : n’ayant pas l’ambition d’en faire elle ne sait pas l’intérêt d’en lire. Comme n’importe quel gueux dispersé dans le divers et mû par ses amibes, l’alphabétisé majoritaire, surtout lorsqu’il se préjuge écrivain, se travaille diligemment à perdre dans les raffuts le sens de l’essentiel. « Écrivain » : sous-catégorie de la cuistrerie, feignant de condamner son époque afin de s’y faire une place, et dont l’esprit de collaboration, occupé au perpétuel commentaire des écrits de circonstances, néglige d’honorer l’œuvre d’art et se trouve incapable d’en créer. À pot et à rôt avec l’inutilité de chahuts minuscules qu’il croit des événements, « l’écrivain » traîne une oreille si affangie par les bruits du monde qu’elle ne sait entendre l’œuvre quand elle se lève. En vertu de la maxime de dépravation corniaude qu’ils ont choisie pour injonction, les gendelettres préféreront pour la raison même qu’elle est nulle toute production qu’aucune histoire ne retiendra. C’est au milieu de ces très obéissants serviteurs de l’occasion que les livres de Fumaroli paraissent depuis quarante ans : leur auteur est honoré par les institutions, mais la dimension profonde de cette œuvre bâtie dans la force d’une pensée originale, demeure aussi inaperçue que leur auteur est académiquement visible. Le dernier livre de Fumaroli, Lire les arts dans l’Europe d’Ancien Régime (Gallimard), manifeste par soi combien il se déduit d’une Œuvre subsistante dont, par-delà le temps, la vie ne fait que commencer. Naïf fût qui le lirait comme le travail d’un banal historien. C’est pourtant ainsi que l’éditeur présente l’auteur. Au lieu de réserver à Fumaroli un volume de ses collections canoniques, il lui fabrique un grand livre d’art rassemblant ses essais inédits. Cet ensemble splendide est présenté avec désinvolture par qui semble honorer par devoir un connétable ou un consul, mais n’avoir nulle conscience de la prééminence de l’Œuvre en qui s’inscrit ce qu’il publie. Ce livre magistral est un heureux malentendu né du respect accordé aux bruits que font les grandeurs d’établissement.

*

Fumaroli conçoit cependant l’existence comme un art du silence studieux, et c’est dans cet otium, dont les honneurs de la vie publique consistent à garantir paradoxalement la clôture, que vient la paix où l’on reçoit la connaissance de l’immuable. La pensée fumarolienne reçoit d’en-haut l’intangible réalité dont le silence suprême seul fait autorité. C’est en habitant cette insaisissable dimension que naît tout possible regard sur la beauté. La tâche consiste alors à dire inlassablement la beauté aussi bien dans son éclat que là où elle se cache. Allant chercher la force civilisatrice du Beau en des lieux historiques insoupçonnés, Fumaroli déploie ainsi son œuvre comme le poème en prose d’un érudit méditatif. Vere tu es abscondita pulchritudo, véritablement tu es la Beauté qui se cache : tel est le mot qu’il adresse à son objet. Il lit le cœur de l’histoire avec Pascal et en écoutant Isaïe. Ayant consacré sa vie à déceler la beauté, Fumaroli fut donc à l’ex-primer, et à doter la langue d’un si remarquable style qu’il puisse faire sentir l’immatérielle texture de ce dont il parle. Quand le son et le sens font un, il y a poëme. Avec force de science, Fumaroli plonge dans le Poëme fondamental et rapporte une œuvre d’art. Lorsqu’une époque n’a plus même idée d’une vérité supérieure aux opinions, et que les « écrivains » sont fiers d’être devenus de la valetaille à débats, loin d’eux l’œuvre déploie son objectivité : indépendamment du caquet des coucheurs et des allongés, elle est. Ce siècle microscopique se cherche des grands hommes, et se découvre des Chastel, des Dumézil et des Duby. Il y a bien plus ici que Duby ! Mais c’est à Duby qu’une collection distinguée vient de donner son tombeau de cuir. Les hommes pensent décidément comme entre deux vins. Laissant telle vide momie que ne remplit que de la bandelette à momie, et « docte déjà par chemins », je dis le nom de Fumaroli, car il résonne parmi les immortels parchemins.

Maxence Caron

« Partis pris » : la somme des articles de Marc Fumaroli dans la collection « Bouquins », avec un essai-préface de Maxence Caron

Partis pris, ou quarante années d’articles publiés par Marc Fumaroli dans la presse, paraît dans la collection Bouquins, précédé d’un essai-préface de Maxence Caron sur La Pensée de Marc Fumaroli.

Loin des idées préconçues, l’on y apprendra que l’oeuvre de Fumaroli n’est pas celle d’un érudit parmi d’autres ou d’un simple historien littéraire sophistiqué, mais celle d’un authentique et considérable penseur.

De L’Age de l’éloquence au Sablier renversé, de L’Ecole du silence à La République de Lettres, en passant par L’Etat culturel et Paris-New York, Fumaroli, écrivain de haut style, a déployé une remarquable lecture de l’histoire en général et de la destinée de l’Europe en particulier, tout en méditant sur les fins dernières, sur le sens de la sagesse, sur la vie de l’homme et celle de l’artiste, sur les conditions de la parole et celles de l’émergence de l’oeuvre d’art. Toutes choses dont l’essai de Maxence Caron montre l’imperturbable cohérence et qu’illustre précisément la belle totalité de ces Partis pris. Fort de l’intemporalité dont il se nourrit, Marc Fumaroli, en irremplaçable auteur de « considérations inactuelles », intervient ici de manière décisive dans les questions politiques, esthétiques et littéraires de son temps.

 

couv_fumaroli_partis-pris

Alfred Eibel lit le « Portrait de l’Artiste en Glenn Gould »

Glenn GouldPortrait de l’artiste en Glenn Gould, de Maxence Caron

Se promouvoir en public, dans quel sens ? Pourquoi Glenn Gould s’est-il retiré des salles de concert ? Ce qui est posé, au-delà du cas Glenn Gould, est la question de l’artiste en matamore du clavier s’efforçant à transmettre au public ce qu’il attend d’un artiste en représentation. Sans doute Glenn Gould (1932-1982) a-t-il ressenti lors de ses concerts, une distance, une écoute distraite, non pas ce qu’on appelle une « absorption ». Or, c’est de cela qu’il est question dans le livre de Maxence Caron.

Terré chez lui pendant vingt ans, Glenn Gould solitaire ne pouvait que se féliciter de ce que Georges Petros appelle « une retraite sans flambeaux ». L’idée de carrière devait le gêner. Il renverse la proposition : ce n’est pas l’artiste qui attend fébrilement d’être vu et reconnu ; au contraire, c’est l’interprète qu’on ne voit pas, qu’on écoute, seul à seul, qui facilite cette perméabilité entre l’interprète et l’auditeur solitaire, ouvrant grandes les oreilles, toute sa personnalité recueillie, dans la situation non pas de celui qui subit mais de celui qui s’épanouit en écoutant.

Compositeur, écrivain, sociologue, théoricien, moraliste, Glenn Gould fait passer à travers ses enregistrements, ce qui pour lui est le rôle que la musique devrait tenir, celui d’une communion et pourquoi pas d’une conversion. Affiner son jeu, reprendre un nombre de fois nécessaire un passage pour arriver non pas à une impeccabilité mais à ce que les fibres du corps vibrent et apaisent. N’a-t-on pas souligné il y a fort longtemps que Vladimir Horowitz avait renoncé aux concerts pour arriver non pas à une exécution parfaite et mécanique, mais à un partage entre le compositeur et l’interprète.

Le disque a l’avantage de n’être que l’œuvre. Deux solitudes à l’écoute l’une de l’autre. La tentation des sociétés d’enregistrement est de savoir manipuler un enregistrement dans le but de livrer au mélomane ce qu’il attend, un beau absolu. On comprend que Glenn Gould a mis la technique au service de son jeu, non pour atteindre le meilleur de l’acoustique, mais pour atteindre le bonheur, exprimer ce que le pianiste a toujours ambitionné, la tonalité juste. En somme, quelque chose de mouvant, loin d’une beauté mécanique que tant d’interprètes délivrent à la satisfaction d’un public par un travail techniquement bien exécuté, c’est-à-dire rond, lisse, auquel il n’y a rien à redire, laissant apparaître un manque d’âme.

Maxence Caron résume ce qui est en jeu écrivant « Gould transpose la vie d’une œuvre dans sa propre vie qui est elle-même pensée du fondement de toute vie ». L’on songe au livre de George Santayana Le dernier puritain où il est dit que le « puritanisme n’a jamais été simple timidité, fanatisme ou dureté calculée ; c’était quelque chose de profond, de spéculatif : haine de toute simulation, mépris de toute mascarade ».

Laissons de côté un instant la musique, Beethoven, Jean-Sébastien Bach, dont Maxence Caron dit que « l’art de Bach cherche en musique autre chose que la musique ». Installé dans un monde de plus en plus tonitruant qui efface le monde du silence, l’homme Gould a voulu retrouver un état second qui permet à l’interprète à travers la partition à devenir le compositeur, à faire de la musique « une médecine » ; « une guérison » pour employer le mot de Glenn Gould. À quoi l’artiste doit-il renoncer aujourd’hui pour atteindre ce qu’on appelle « rédemption » ? On l’aura compris, le livre de Maxence Caron s’impose à ceux pour qui la musique est synonyme de recueillement, et pour qui elle devraitêtre le révélateur de l’artiste lui-même.

Alfred Eibel

A consulter : les Chroniques d’Alfred Eibel sur le site de sa revue en ligne.

Parution du « Traité de Musique » de Maxence Caron : « Portrait de l’Artiste en Glenn Gould »

Glenn_Gould_Tractatus de musica-Couverture1

Maxence Caron, Portrait de l’Artiste en Glenn Gould – Tractatus de Musica, postface de Romain Debluë, Ed. P.-G. de Roux, 2014.

« Voici « l’art de la fugue » par Maxence Caron, un récit en forme de fugue précisément. Qui fait surgir, de la nuit du monde, les voix les plus intimes et les plus contradictoires, puis les entraîne à parler toutes ensemble sans que jamais la conversation s’interrompe… Et pour cause, n’est pas le mystère d’une présence plus haute qu’elle appelle et interroge à l’infini ? Fort de cet enseignement, tiré de la musique de Bach, Glenn Gould (1932-1982) ne cessa de fuir toute sa vie. Sa fugue la plus célèbre se produisit à trente-deux ans. Quand, au faîte de sa gloire, il décida, en parfait anti-Faust, de claquer la porte des salles de concert pour la solitude de son studio d’enregistrement. Car le bruit des applaudissements l’empêchait désormais de percevoir le souffle créateur traversant l’oeuvre qu’il servait. Face à la technologie, Gould sut aussi être l’anti-apprenti sorcier, le « chasseur spirituel » qui, hostile à toute tentation de clef-en-main et d’illusion de puissance, élevait le cœur et l’âme au secret d’une écoute supérieure. Dans le triptyque poursuivant l’histoire de la fugue, l’on retrouvera, sous le regarde de Glenn Gould tour à tour musicien, compositeur et écrivain, le paradis de Bach, l’enfer de Mozart et le combat héroïque, salvateur, de Beethoven.

Philosophe, musicien, poète, romancier, spécialiste de Bach et pianiste précoce qui fut premier prix de Conservatoire à 14 ans, Maxence Caron est à 37 ans l’auteur d’une vingtaine d’œuvres parmi les plus originales et déroutantes de notre époque. »

Lire l’argumentaire sur le site des Editions Pierre-Guillaume de Roux

Glenn_Gould_Tractatus de musica-Couverture2