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Traduction de Jean-Paul Savignac. Édition bilingue revue, corrigée et augmentée. Les Belles Lettres, 564 p., grand format, couverture reliée.
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Parallèlement à Homère, Pindare est le plus grand poète grec. Né près de Thèbes en 518 avant J.-C., il meurt à Argos en 442. Sa première ode pythique le rend célèbre à vingt ans. Ses compatriotes le comblent d’honneurs. Il devient l’hôte des princes et des rois. Au nom d’Apollon, la Pythie elle-même lui réserve une dîme sur les offrandes qu’elle reçoit. Et de son vivant Thèbes lui élève une statue. En cette civilisation grecque qui, parce qu’elle est grande, accorde la place la plus haute à la poésie, la force du verbe pindarique est telle qu’il est considéré comme l’égal d’un dieu. Imprégnée de mythes et de philosophie, sa poésie est une oeuvre totale qui fascinera et nourrira les plus grands auteurs de l’histoire.
Pour réussir à nous faire entendre et ressentir une telle oeuvre, il ne fallait pas seulement un beau travail, un bon livre, mais l’art d’un très grand traducteur. C’est ce que rend miraculeusement possible Jean-Paul Savignac. Jouant des ressources de la langue française pour mieux se présenter devant la langue du poète, mêlant l’inhabituel et le classicisme, se tenant constamment à fleur de fulgurance, J.-P. Savignac parcourt l’inouï et illumine d’un esprit hellène la langue française. Il nous dote ainsi d’une oreille pour entendre une oeuvre que personne avant lui n’était parvenu à nous transmettre dans sa puissance et sa pureté. Il donne accès à un opéra dont les paroles et la musique ont vingt-six siècles.
La dernière édition française des OEuvres complètes de Pindare fut celle d’Aimé Puech, aux Belles Lettres, voici un siècle. Personne avant Jean-Paul Savignac n’avait eu le courage de le retraduire intégralement tant l’affaire demande de génie. La traduction de Pindare est une telle aventure que Jean Renoir en fit allégorie dans La grande illusion avec la figure majeure de ce prisonnier français de la guerre de 14, qui supporte la captivité moins douloureusement tant lire et traduire Pindare lui tiennent compagnie au-dessus du temps. Et à qui moque ce bonheur, l’amoureux du poète répond : « Pindare c’est plus important que tout, plus important que votre vie, plus que la guerre ! Pindare, c’est le plus grand poète grec. »
Cette édition bilingue, richement présentée, expliquée et annotée, comporte toutes les Odes victoriales qui nous sont parvenues : les Olympiques, les Pythiques, les Néméennes et les Isthmiques. Elle comporte également les Fragments dans leur intégralité. C’est l’édition la plus belle, mais aussi la plus complète. Quiconque aime voir l’art attirer la langue jusqu’à cet éclat sacré qu’on nomme la beauté, où, en un mystère, se mêlent la lumière, la grandeur et l’étrangeté, recevra en une joie décisive la voix de Pindare telle qu’elle nous est ici exceptionnellement confiée.
Il n’existait à ce jour aucun travail d’ampleur sur Robert Penn Warren autrement qu’en anglais, et il n’existait aucun ouvrage francophone sur l’auteur des Fous du roi. On mesurera donc l’importance de la publication en français de la biographie de référence américaine de Joseph Blotner :
Joseph Blotner, Robert Penn Warren : une biographie, traduction de Thibaut Matrat, préface de Maxence Caron, 900 pages, Séguier / Perrin, en librairie le 28 septembre 2023.
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Après la grandiose publication de sa Correspondance aux Belles Lettres en 2018, les Œuvres de Bonnefoy paraissent dans « la Pléiade ». Nécessaire et magnifique ouvrage. Il fut conçu par l’auteur même (mort en 2016). Les publications d’œuvres poétiques complètes sont devenues trop rares pour que soit facultatif d’apprécier ce volume dans toute sa portée, au-delà même de nos préférences. Bonnefoy proteste de près d’un siècle d’existence au service du verbe : cela se lit ! Et pour ceux à qui la réalité d’une bibliothèque n’est pas encore devenue étrangère, cela y entre. Disons notre gratitude à l’éditeur. Lors en effet que Gallimard n’omet pas de laisser travailler les gens de talent ou n’abandonne pas le pouvoir à d’impuissants préfets éditoriaux, alors, mieux qu’excellent, le résultat est toujours définitif.
À cet égard, une leçon immédiate et paradoxale se prend de la lecture des œuvres de Bonnefoy. Un centième des œuvres que publie Gallimard est composé de véritables auteurs, et constitue ainsi, en soi, la spectaculaire condamnation de tout ce qu’imprime par ailleurs l’éditeur. À rebours de son habituelle complaisance envers les auteurs calamiteux, en un grand dédoublement schizophrène qui est peut-être une forme d’expiation, la maison Gallimard lance là, au-dessus de sa tête, la vigilance de Bonnefoy qui, dressant un œil d’art, se fait toujours un devoir de ne pardonner aucun compromis : c’est face aux choix de son propre éditeur que s’érige l’intemporalité de ce livre dont nous voyons Bonnefoy brandir la borne désapprobatrice. Ce fait compose une thématique explicite au cœur même des œuvres ici rassemblées. Faut-il dès lors admirer le courage d’un éditeur qui supporte la publication dont le contenu l’humilie ? Ou déplorer qu’il soit dans la situation de se devoir donner la discipline ?
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Depuis soixante ans on nomme « progressiste » celui qui, non content de n’écouter plus que le chimpanzé qui est en lui, prend ses préjugés pour des axiomes.
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Lorsque l’on se fut mis à crier partout que des hommes descendaient des singes, beaucoup eurent forcément la tentation de rechercher des suspects.
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L’on entend parfois, grossièrement, et comme pour cacher une vérité immense, que « les Juifs » ont crucifié Jésus. Quelques Juifs, oui, dont certains notables hiérosolymitains qui, s’ils étaient nés au XIXe siècle, eussent fait la proie préférée des pourfendeurs de bourgeois. Les Juifs n’ont pas crucifié Jésus mais les Juifs ont annoncé Jésus. Les Juifs ont prêché Jésus. Les Juifs ont converti le monde à Jésus-Christ. Et se mêlant à ceux dont ils sauvaient les vies in æternum, d’eux-mêmes les Juifs se sont appelés Chrétiens. D’où ces paroles considérables que prononça la bouche de la Vérité : « Salus ex Iudaeis est, le Salut vient par les Juifs. » (Jn IV, 22)
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Le neurasthénique est un individu à qui il semble avoir souvenir du lendemain. À l’échelle collective c’est une population dépressive. Caïn était dans sa tombe et ne regardait pas Dieu…
Maxence Caron