« Loin des châles narcotiques, la raison est la comète d’un cri où l’image divine sonne. »
Le Chant du Veilleur, 2010
« Absent à toute valetaille partisane, tendu par l’Essence vers l’Essence, je suis anarchiste de droit divin. »
Maxence Caron, décembre 2007
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Avertissement
Etant donné le nombre de pages imprimées que représente l’œuvre de Maxence Caron (à elle seule sa Tétralogie fait deux fois la taille du roman de Proust), étant donné la simultanéité de densité et d’élan de son propos, nous avons failli supprimer cette rubrique tant il paraît impossible de ne pas tout choisir.
La pensée maxencéiste est tellement vivante dans ses processus philosophiques et musicale dans ses constructions stylistiques, qu’aucune citation ne peut avoir valeur de preuve ni de synthèse, aucune ne saurait être tronquée de son ensemble sans être de toutes façons dénaturée. Un livre est fait pour être lu, et non pour fournir des extraits.
Nous donnons ceux-ci à titre d’illustrations sommaires, que l’on aurait tort de ne pas aller situer dans leur contexte ou de prendre comme une invitation au simplisme. En tout cas ce n’est pas ici que l’on trouvera le fin mot de l’œuvre de Maxence.
Si La Transcendance offusquée, Le Verbe proscrit ou plus lointainement le Heidegger font chacun des milliers de pages, aucune citation ne peut en donner le sens profond ou général. Ce qui donne envie de citer Maxence Caron, c’est de l’avoir lu vraiment ; nous nous sommes donc dit, réciproquement, que donner envie de se plonger dans l’œuvre pouvait passer par quelques extraits.
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Fastes – Le prologue Au lecteur
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Extrait d’un poëme des Fastes
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Avant-dire de La Transcendance offusquée
Avant-dire
Je redoute plus la réputation que je ne la désire. Cependant me fut universellement arrogé un certain devoir, celui de tout recréer. Et plus précisément, puisqu’en ce domaine majeur de l’irréfutable fondation ne m’était aucun prédécesseur : le devoir de tout concevoir.
Ici nul ami, nul confrère ni collègue, pas même un devancier : mais toute l’envergure infinie du neuf car un seul Maître en Celui qui fait toute chose nouvelle et dans le Sang Sacré de qui j’ai trempé le vêtement de mes jardins cérébraux.
Il ne sera guère longtemps avant que la bêtise ne connaisse désormais son châtiment : s’apercevoir elle-même.
Rendant à son néant un monde enfourmillé d’agrégés de physiologie, la Philosophie que je suis dans la Précursion que je reçois, la Philosophie de Précursion, en désignant le centre d’antécédence déiforme, a éteint tous les brasiers mélanés. En dé-couvrant le caractère constituant de la diaphoranoèse et l’épansion archodiaphorique qui est au Principe de sa déquation, la Philosophie a compris qu’elle pensait avant qu’elle ne fût.
–
Tous ces gens qui se disent arrivés et ne sont pourtant jamais partis…
Mon œuvre s’éploie dans la vitesse de mes genèses. Je travaille, je regarde : et à côté de moi je ne vois que des enfants.
Les plus vicieux ont juré de tout alphabêtir : ils ont mis un condom rose à l’immense dictionnaire.
Tandis, devant : la réalité la seule.
Devant, donc maintenant déjà,
L’espace qu’ouvre l’œuvre le mien,
Et dont l’Absolu a voulu qu’ici dite,
La dimension soit sa Précursion.
S’il est vrai que le génie est de s’attraper dans les bras de Dieu, le Système du Diaphorisme transcendantal est l’espace où s’ouvre seul et infiniment au génie le champ de sa conscience et de son exercice.
–
Les faibles jaculent la poussière de leurs cavillations. En une censure ouverte, une bruyante conspiration du silence, ce cimetière de toutes les énergies spirituelles, la Sorbonne, interdit ouvertement aux étudiants de me lire. On s’incline dans les officines voisines : par la voix même des sorbonobos le rocher aux singes a parlé. C’est éphémère, inutile mais drôle.
Tel ahuri me fait dire je ne sais quelles sottises auxquelles je ne saurais même songer jamais, telles sottises droit excrétées de son seul cervelet sot, afin de se donner par ensuite et de s’attribuer la gloire de les condamner. Bien que dans un grand vide qu’il parvient cependant à remplir puisque c’est le sien, tel nain se travaille à m’inventer des thèses qu’il maudit d’autant plus aisément qu’elles n’existent pas.
Des calomnies en nombre, certes, fuselées, graciles et convulsives, j’ai eu et j’ai mon lot, c’est inévitable. Car le Système nouveau de la Pensée s’est imposé dès et depuis la publication de La Vérité captive : le Système nouveau s’est imposé qui est le signe d’une renaissance inexorable. Irritabis crabrones, avertissait Plaute : « tu irriteras les frelons ». Les calomnies pleuvent, en grêlons ou en silence – « un silence de tous les diables », dirait Claudel. Toutefois ai-je un jour encontrer quelque objection réelle contre le contenu de ma parole ? Rien. Et quelque réfutation ? Non. Les sycophantes en restent à l’ad hominem.
Et c’est finalement peut-être leur seule noblesse. Nulle réfutation n’étant en effet seulement possible à l’encontre de la Pensée diaphorique et transcendantale dont je suis la faction créative, il serait navrant de voir quiconque pour la seule satisfaction de son inimitié, de son haïssant arbitraire et de son ordinaire exécration, s’escrimer avec l’éventualité d’imaginer qu’il y eût une infirmation pensable quand pas même l’objection ne possède ici rationnellement un champ de pertinence possible. On ne voit et on ne verra donc que quelques sots amassés contre moi pour d’inavouables motifs ; ce sont de paresseux imbéciles lustrés qui s’entassent ainsi que la pédantasserie avec la pédantasse.
Que si l’on voulait un jour contre le Système du Diaphorisme transcendantal se risquer d’entrer dans l’extravagance de l’objection, l’on passerait de la rancœur des petites subjectivités au délire délibérant dans l’objectivité, c’est-à-dire que l’on passerait ainsi de la bassesse à la monstruosité. Et cela mériterait encore moins que l’on y regardât.
Car je ne parviens pas à voir l’imbécile, c’est plus fort que lui.
–
Au motif de satisfaire la soif de doctrines en vogue et périmées, certains furent avides de déterminer quel trauma me fit devenir celui dont la parole, leur tenant l’infaillibilité d’une rationalité si neuve, contraignit leur irrationalité. Convaincus d’être des insensés, cela les arrangeait de me prendre pour un fou, et ils cherchèrent donc telles et telles accidentelles allégations qui, croyaient-ils, leur permettraient au moins un temps, en salissant là l’auteur de lui dénier toute relation au Logos, autrement dit de reculer la marche de la Manifestation et de dénigrer par l’insulte ou le silence, en un commun déni, la force d’un verbe que je recevais dans la dimension d’une chair inapparente et depuis la raison elle-même qui par volonté leur est un invisible percept.
À ceux qui fussent soucieux de se construire les représentations du désordre et du trouble en suite desquels je suis devenu celui qui tient tel langage, je ne susse mieux faire que les renvoyer à l’invisibilité substantielle et la teneur propre de la cause suprême que, sans que j’y mette donc moi-même le moindre effort, suppose et m’accorde l’existence même de leur question.
–
J’ai fait justice de tous les chichefaces qui, clos et raides comme des pitres solennels, se tenaient devant les portes de la pensée ; en lui tournant le dos ils n’en extrayaient que ragoût. Ils sont morts à jamais, ils sont morts à mesure même qu’ils veulent ignorer combien ils sont morts et combien leur renaissance nécessaire est ce qu’il ne faut point qu’ils ignorent. La Pensée a retrouvé ce qui est perdu : dans la Philosophie que je dis, la Vérité retrouve pour jamais, s’ils assentissent, beaucoup de ceux qui étaient perdus.
–
Je n’ai jamais cherché à satisfaire un quelconque désir d’être louangé, ni à m’attirer le rapide moyen que l’on trouve dans le dégoûtant suffrage de ceux – tous – qui industrieusement s’occupent à regarder s’ils sont regardés.
Écrire, en soi, ne m’a jamais concerné ni importé ; je ne veux qu’une seule chose à quoi l’écriture est utile et qui dépasse le regard de ma volonté propre : que ce dont je parle et qui se sert de ma raison comme de son secrétariat soit compris lorsque le temps sera venu, car « c’est à l’heure où vous n’y pensez pas que vient le Principe » (Lc. XII, 48).
Il ne me chaut nullement de savoir quelques-unes les décennies séparant mes pages de ce moment d’ignescence et de lumière qui, préparé par elles et par la force même de ce qu’elles portent, les extraira de la confusion où les aura laissées cette surnaturelle indigence dont l’ère entière est durablement marquée. Mon élément se tisse de fastes dont à l’oreille seule majeure les forces rectrices partout vont déjà timpanant, et qui sont ceux, précursifs, d’une renaissance en épansion après la fin du temps.
Maxence
8 décembre 2015
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Le Chant du Veilleur – Poëme Symphonique
(Extraits)
Quelle vitesse s’amoncelle en mon sang…
L’influx d’Esprit est considérable.
Quelle vitesse et quelle tendresse s’amoncellent en mon sang…
Car mon sang vibre, il résonne, il symphonise, il tonne : le sang porte tumulte de la Précédence spirituelle.
Toi, très-haut Seigneur, le Saint, Dieu, Tu transmets l’ineffable de la Tienne et for intime teneur.
Note tenue, immobile et bouillante, lumière d’énigme fraîche et brûlante
Très-haut Toi le Seigneur, Toi l’infinie la seigneuriale Stance
Note tenue, Basse qu’un regard pensant révèle déjà et toujours épandue,
Au plus haut lointain, proche, Tu Es,
Souverain,
et soutiens le sang d’homme dont chaque morcel Tu nimbes d’une amante mandorle.
Et Tu es Substance au-dessus des Cieux, et Tu es Substance devers l’homme,
accolant à sa peau le jaillissement de vie qui naît des supériorités immenses de Ta libre Décision.
Incalculable Transcendance, Substance proche insituable,
combien qu’impalpable omniprésente puisque c’est Elle omnimatutinale qui m’atteint,
Indicible Toi, très-haut Roy et très-haut Seigneur, Toi Celui qui est et qui dit seul à vrai : « Je suis », Toi, Dieu, la Différence infinie,
Tu transmets le mystère de Ton Nom et à l’Amour sans limites joins ainsi l’immensurable de Ton Renom,
Ta Grandeur, Ta Profondeur, Ta Largeur, Ta Transcendance.
C’est pourquoi l’humain se peut vers Toi tourner : Tu fus, Tu seras, et Tu es de toute pensée l’Initiateur vers Toi.
Tu es le Dieu du premier pas qui franchit tous les abîmes,
Tu transmets le transcendant mystère de Ton Nom en acheminant à l’entente de nos êtres la voix véridique de Ton Verbe,
et cette voix désigne la voie par qui vient au réel et se tient dressé possible
que Tu t’adresses à notre cœur architectural.
Et Ton Verbe nous est Parole
Et Ton Verbe dit :
« Dieu est de vérité seule grandeur, indicible il est invisible, son Nom venu à naissance parmi son œuvre est un Prénom, et ce Prénom est Sauveur : Jésus.
Dieu est Celui qui Lui-Même s’annonce, Lui-Même se révèle,
Lui-Même s’avance ;
l’homme qui se connaît voyant du Seigneur l’Envoyé, cet homme contemple le miroir saint en qui Dieu donne Seigneur et saisissable l’insaisissable de sa Substance.
Qui sait voir le Fils a vu le Père ».
La Voie de Vérité du Verbe !
Le Verbe près de Dieu, le Verbe qui est Dieu, le Verbe approché de nos âmes pour les faire la pensée !
Dieu si grand… Jésus si proche…
Quelle vitesse s’amoncelle en mon sang : l’Absolu y soutient la vie qu’il prononce et la convoque à penser l’écart qui sépare du Bonheur de son Éternité…
Quelle tendresse s’amoncelle en mon sang : le Seigneur y appelle manifester l’insondable de Miséricorde ou l’infinité des espaces qu’Il franchit à fin de me quérir…
Je le quiers parce qu’il me quiert.
Je ne puis accéder au sein de Son saint giron unitrine, fors
si par le concours de la liberté qu’Il me donne pour Lui ressembler, je Le laisse poursuivre son œuvre d’accession à moi-même.
Je ne monte que si je laisse Dieu descendre
Et en moi ne croît Dieu que si je sais le moi qui en moi n’est pas dissocié de l’âme,
si je sais me laisser gagner par cela venant de Celui qui fait le fond de la parole que je suis, par
L’infinité qui est en moi et qui est plus que moi et qui est la pensée, la réflexivité fractale dont sourd toute conscience et qui prend issue de Transcendance,
la liberté, de Dieu l’image.
Je ne monte vers le Seigneur que si le Seigneur descend.
Le Transcendant n’envoie Soi de Soi, et, en consistant l’informulable de sa hauteur, ne condescend que s’Il
me rend capable de souhaiter ressembler à l’image de Lui qu’Il met en moi ;
et l’Absolu ne m’augmente intimement Son aura que si je veux ressembler à l’image de Lui qu’Il met en moi.
Cette image est le plus-intime par lequel je peux dire « je », et auquel je me dois, et auquel « je » se doit.
O comme tout envibre de la Transcendante Basse Divine…
L’Esprit souffle dans le sang et le sang est pris dans l’aimante Différence de l’Esprit.
La Parole est Transcendance, et nous demande pourtant les mots.
Car nous devons dire la métamorphique Présence du Mystère directeur dont la Puissance mêlée d’Amour se fait christique.
La Parole attend que nous requérions de nous l’incessante vigilance à la Présence afin qu’être enfant
et fils du Seigneur par l’intercession du Fils royal engendré, issant identique de la Gloire patricielle,
soit se trouver entre les bienheurantes mains de la grâce transfigurante
qui du plus haut des cieux, et du plus loin et autre que le plus haut des cieux, jusques à nos terres, circule amoureuse et déifère.
Le Verbe aime vouloir notre verbe
Il veut nous voir sortir des tombeaux la parole et nos âmes.
Le temps est venu de confesser la Vérité
Le temps est de confesser Dieu
Confesser sa puissance, confesser sa bonté
Confesser l’œuvre de ses mains en vœu de relever nos existences affaissées
Confesser les alarmes terribles, confesser qui vient de l’Absolu l’ineffable Joie.
Il faut chanter veilleur la Confession de foi.
Nos mots et nos notes, le phrasé de nos versets, tous veulent dire le Lieu d’où leur espace est décidé, ils plongent au Nom divin.
La pensée, qui unit tous les dons apportés à l’ouverte voûte humaine, la pensée…
La Décision du Transcendant fit son domaine et le secret regard vers ce domaine est condition de tout intime ou tout extime acte de parole,
il est condition de toute structure pensante.
La pensée, qui unit tous les dons apportés à l’ouverte voûte humaine, la pensée…
Il faut toute l’inexplorée musique sise au cœur de Pensée pour répondre la requête du Verbe qui m’enjoint pronominal.
J’ai libéré la pensée, en fin des temps, je l’ai délivrée de toutes ses contrefaçons, j’ai déjoué la prison dans quoi l’homme s’enferre,
car j’ai démasqué l’engeance spéculatoire qui fait captive la Vérité et d’un mouvement contraire, en retour se rend captive en agressant le propre fond de l’âme régie par la quintessence trinitaire.
Après cette œuvre de Salut offerte à la pensée et à l’histoire qui n’en est plus, après avoir restitué à soi la pensée et à sa profondeur,
il me faut libérer dans la pensée sa propre même teneur de vibration :
Se placer en soi-même pour dire Dieu qui descend et qui monte, se regarder lieu magnifique d’Ascension et de Pentecôte,
s’installer au séjour où la Lyre trinitaire symphonise concertante, et, intangible splendeur, ne dédaigne jamais d’attester Sa Gloire prévenante,
c’est avoir entendu
et c’est entendre
un contrepoint neuf.
C’est donner à la parole la musique de sa miniscente recollection dans la pensée,
transmettre combien l’on a vu l’âme faire une, et entre les facultés connaissantes les cloisons s’effondrer.
C’est parler un verbe qui est la symphonie.
Que la merveille de la divine harmonie, tant insaisissable que dicible,
ineffable pleinement mais pleinement déployant, pour les voies de notre Salut, la douceur d’une demande à notre parole,
Que l’harmonie divine, dépassant toute forme d’harmonie connue et issue de nature, envoyant à notre finitude la missive d’une langue neuve et nue,
d’un verbe beau, concord et discord, pour dire le libre fond de surnature transférée dont surgit la nature,
Que la divine harmonie qui apparaît à la fois si antémémorialement ancienne et si nouvelle d’éternité, et qui est métharmonique,
bouleverse nos sonorités et nos façons,
et les scaphandriers usés de ces opinions qui en elles-mêmes ont toutes gâché la raison.
Que la Déité emplie plénitude d’une transsubstante Substance dont toute banalité est bannie,
d’un feu tout céleste échauffe mon génie !
De Toi l’Absolu vibrante
et de ce qu’elle porte souffrante et forte
l’âme chrétienne dans la ténèbre des saisons terminales !
Je veux Te dire, ô mon Seigneur et mon Dieu, la vie que Tu m’as donnée, la beauté que Tu y perces.
Et je Te chanterai aussi, à Toi seul, pour Toi seul, à Toi et en Ton Fils, le sort que prodigue le monde à Ton enfant redevenu,
en l’universel que porte son individuelle condition remise à Tes Mains,
car je porte l’insigne et le sceau de christianisme en cette ère détritique qui à T’oublier, Seigneur, se donne ses aisances.
Je Te chanterai.
Le regard perçant du Logos va jusques au fond des cœurs.
*
Au son de Tes ors, je me suis éprouvé misère autant qu’aimé
Je me suis entendu sauvé.
Je dis.
J’aime la couronne dont tu pares ce qu’en nous tu fais fleur,
éteignant, en l’Étreinte d’Hypostase,
nos pourritures, flétrissures, meurtrissures
pour en dégorger un suc amiable.
Nous, qui avons été vieillard, délaissons nos anciennes croyances
et rajeunissons en vue du Salut.
J’ai toujours passé pour bien étrange.
Nous autres, poëtes de cet avenir sans cesse naissant, pensons et parlons extravagamment aux apparences
et avant même que Ta grâce ne révèle dans notre tortueux pèlerinage son amoureuse précédence.
Laissant le supposé éclat du monde pour les regards passants d’un avare, et cherchant nûment et continûment en mon cœur un domaine et plus riche et plus ample et plus rare
afin d’en faire don à Celui qui d’amour le donne
et, aveuglément, par l’œuvre essaimé poëtique, à tous ceux que Miracle adonne et adonnera par Ta gracieuse Volonté au métier d’homme ;
Laissant aussi abonder en moi la moisson d’un désintéressement que j’eus toujours inhérent, et victime heureuse du Ciel qui d’un habitus de gratuité m’a gratifié,
que tant de très-tristes individus payants et désarmés ont agrémenté de toutes les troubles épithètes,
J’ai toujours passé pour bien étrange.
*
Pages – Le Sens, la musique et les mots
*
TABLE DES TITRES
– Prélude
Pensée, Musique et Verbe
– I. Le Te Deum de Bruckner – Le Sens, la musique et les mots
– II. La Septième Symphonie de Bruckner
– III. Julien Gracq – Sens historique d’un décès
– IV. Rimbaud : la subversion de conversion
– V. La pensée de Brahms à la lumière de ses Symphonies
1. Sens d’une querelle d’art : la Première Symphonie de Brahms, entre beethoveniens et wagnériens
2. La Deuxième Symphonie : l’inquiète tendresse d’un regard face à la profondeur d’un monde à psalmodier
3. La Troisième Symphonie : Brahms peintre orchestral de la Trinité créatrice
4. Dire l’invisible Médiation du Verbe : la Quatrième Symphonie et la signification générale du système symphonique de Brahms
– VI. Ce que dit l’œuvre de Heidegger, par-delà quelques encontreux Caractères
– VII. Sens inconnu du Cimetière marin de Valéry
– VIII. Le Triple Concerto de Beethoven
– IX. La Première Symphonie de Beethoven comme première des symphonies
– X. Billet sur Furtwängler
– XI. Bach : le Troisième Concerto Brandebourgeois, Furtwängler, et les baroqueux
– XII. Beethoven et la grâce de l’Héroïque
– XIII. La Septième Symphonie, préfiguration de la pensée beethovenienne accomplie
– XIV. Jean-François Marquet, Maître des lettres et de la pensée
– XV. Aux mauvaises heures pour l’œuvre de saint Augustin, deux recensions de représailles
1. Métraduire un chef-d’œuvre : Saint Augustin et la gent marécageuse
2. Jean-Luc Marion et sa béchamel pseudaugustinienne
– XVI. L’union libre de Breton et la contradiction du Surréalisme
– XVII. Dimension des Toccatas et fugues pour orgue de Bach
– XVIII. Schubert pénultième
– XIX. Les métamorphoses de l’identité : fondement et rythme cachés du système de Hegel
– XX. Les Ouvertures d’Egmont et de Coriolan : les dialectiques de Beethoven
– XXI. Beethoven : la Pastorale et la Cinquième, un système de pensée
– XXII. Céline : apocalypse, âme et musique
– XXIII. Chopin et la dissolution intime du concerto
– XXIV. Les Polonaises de Chopin et l’accueil de la Terre promise
– XXV. L’unité esthétique et aristocratique de l’œuvre de Nietzsche
– XXVI. La Symphonie Alpestre de Richard Strauss : relation de l’âme au mystère, et à soi-même véridique en retour
– XXVII. Cinq grandes œuvres : cinq recensions
1. Un séminaire de Heidegger sur Nietzsche
2. Littérature française et connaissance de Dieu
3. Saint Thomas d’Aquin et la langue de l’ineffable
4. Jean-François Marquet : La littérature hantée par la philosophie
5. Marc Fumaroli : Voyages dans les arts et les images
– XXVIII. Mozart en sol mineur : lumière infuse et combat spirituel
– XXIX. A l’école de Jean-Pierre Zarader
– XXX. Restituer Mahler en Beethoven : aux sources et sens de la Symphonie « Résurrection »
– XXXI. Regard sur Joseph de Maistre
– XXXII. Pascal : résonances de l’irréfutable
– XXXIII. La pensée de Bach
La Messe en si mineur – Le Sens, la musique et les mots
– Postlude
La Transcendance et le précipice
*
Prélude
« La littérature, l’art, c’est-à-dire la pensée à l’œuvre, est la lutte d’homme, l’aspect de l’universel combat spirituel afin qu’être convoqués à l’Essentiel soit conscience, malgré le vacarme d’un monde où se voit multiplement et diversement contredite la vocation de verticalité faisant de l’humain le lieu d’un regard vers ce qui le passe infiniment mais l’appelle uniment à se laisser accueillir.
Cette lutte, créatrice pour l’artiste et nourrissante pour le lecteur ou pour tout un qui s’accepte à contemplation, comporte une dimension première qui est celle, rare et irremplaçable, de l’admiration. Admiration pour l’Essentiel, dont on ne saurait s’emparer mais seulement recevoir ce qu’il nous offre ; admiration pour les hommes qu’Il choisit afin d’offrir ce qu’Il donne de Soi.
Cette admiration est interface : à celui qui met son cœur à évoluer en proximité de ce que le Sens rayonne de l’inconnu et constamment pressenti contenu de cette Promesse qu’Il dépose au fond de nos âmes de Lui prescientes ; à celui qui aime ce qui est, à celui qui se tient devers le mystère du Sens et de son inaccessible facture d’Eternité, tout ce qui n’est pas l’Essentiel devient insolemment ridicule, et c’est ainsi qu’apparaît le second aspect de l’interface d’admiration : la dénonciation des impostures. La déclaration d’amour à la déclaration de l’être est régie par la contemplation de la Vérité et cette contemplation démasque aussi tout ce qui voudrait se faire passer pour elle. La béatitude esthétique n’est pas désincarnée, elle est en lutte : béate au sens fort, elle n’est pas sotte, et il est des contextes où agir en beauté est aussi réagir contre la laideur.
Il n’y a aucun plaisir, au milieu de la description des grandeurs, à employer parfois sa plume à la désignation des petitesses, mais, comme le remarque judicieusement Pétrarque dans son Invective contra medicum, lorsque l’on se tait, ce dont, dit-il, on a évidemment grand désir en raison du mépris et de la lassitude que l’on éprouve pour tant de mesquines façons d’agir et de penser, l’on risque toutefois d’en voir maint se féliciter de votre silence.
Ainsi les textes qui composent ces Pages, issus cohérents de mêmes ou de diverses époques mais issant de la part d’un même œuvre travaillant interne, ont-ils été réunis sous le double chef engendré par l’acte pensif de l’admiration active. Essais indépendants et inédits, donc de taille libre, ou chroniques issues de différentes demandes de presse, donc de taille limitée par les impedimenta, ils sont tous orientés vers le Sens et tournés par l’auteur dans la direction qui intéresse la pensée. On n’y trouvera guère d’opinions communément admises ; qu’on ne s’y attende pas à y être conforté ou réchauffé au poêle calfeutrant de quelque conception adoubée, car tout n’y est qu’expression de préoccupations absolues et fut écrit parallèlement à l’édification d’un système de philosophie original dont les nervures, sans y être le moins du monde appliquées, ne peuvent pas ne point transparaître.
Veux-je opérer ici pour autant, et comme il est de coutume en cet emplacement livresque, mon inaugurale et dévalorisante petite profession de subjectivisme ? Point et au contraire. Il est évidence que la subjectivité gouverne toute écriture mais personnalité n’est pas délire individualiste, et il est autre évidence que ce qui définit l’homme, à savoir l’unité possible de l’universel et du particulier, la personnalité peut être elle-même tout en se déployant dans le véridique : il est évidence que celle d’entre les subjectivités qui ne donne pas dans l’idiosyncrasie, en dépit de toutes ses éventuelles hardiesses, est précisément celle qui, plaçant son objet au-dessus de soi et son intérêt en dehors de soi, se reconnaît porter, comme tout homme, et exprimer, comme tout homme qui le désire accepter, l’image d’un Sens qui la dépasse et qui se dit à travers l’orchestration des sons et des mots, à travers la musique ordonnée de l’âme. Cette musique est à l’œuvre sans distinction dans toute production de l’art, parmi lesquelles sont la philosophie, la littérature, et la musique proprement dite. La quête de ce Sens imprimé dans l’homme et exprimé de manière plus ou moins adéquate à travers telle œuvre ou telle autre, est la finalité de ce recueil. Le Sens est parfois lisible à même une œuvre, parfois présent dans les contradictions d’une autre, une tierce peut par ailleurs offrir un élément fondamental tout en en occultant un autre, et un fort mauvais travail montrer a contrario et en un saisissant contraste le champ dans lequel on ne trouvera rien de ce qui tisse la vocation humaine à la Vérité et que l’art donne dans la Beauté.
Ces Pages contrarient et sont écrites à l’époque où l’on veut faire croire que tout est cloison entre les différentes et libres activités créatrices de l’esprit, entre la pensée, la littérature et l’art, alors que tous trois conspirent en une même œuvre vivante, une œuvre déjà faite, une œuvre à goûter, à aimer, une œuvre à poursuivre – l’histoire du rapport de l’homme à l’Essentiel et son avenir ; cette œuvre dont le cœur, abreuvé à la Quintessence et guide d’âme et d’esprit, se trouve né pour devenir capable de la voir ou de l’avoir. Que l’on lise ces Pages en voulant bien se ramentevoir l’unité du cœur d’homme en quête et en découverte du Sens dans le refus des impostures et la traversée de la Beauté. Car l’incarnation de la Vérité est la Beauté, et nous n’avons pas voulu montrer autre que celle-ci ni parler d’autre que de celle-là. Vérité, et œuvres de l’art comme lieu d’incarnation : le Sens parmi la musique et les mots, qui, dûment orchestrés sont littérature dans la musique de la pensée. »
(Pages, « Prélude : Pensée, Musique et Verbe »)
*
La Vérité Captive – De la philosophie
NB : nous ne citons d’extraits que de la longue préface, qui prend fin p. 287 (l’ouvrage en fait 1120). La lecture de l’histoire comme refoulement de la Différence transcendantale est si riche qu’elle ne se prête pas au jeu des citations hors contexte, mais à l’étude.
*
Table des matières de La Vérité captive – De la philosophie :
Préface
LA TRANSCENDANCE ET LE PRÉCIPICE
DE L’ÊTRE
Chapitre I
Le démon de la misosophie
9
Chapitre II
Renaître : la Pensée de la Différence fondamentale
73
La Vérité captive
NOSOLOGIE DE L’OUTRE-MODERNITÉ
Chapitre I
Les idiomes immanentistes : Tableau de la pensée française
contemporaine en trois figures
299
1 – Lévinas et le sanatorium calomnieux
299
2 – Derrida : le marécage des marges
326
3 – Jean-Luc Marion : d’un don dont rien
347
Intermède introductif
Aux récentes sources des lèpres illustrées
439
Chapitre II
Hölderlin : la piété double
449
Chapitre III
L’effondrement hégélien : l’absolu au rouet
641
Chapitre IV
Mallarmé : le crime clairvoyant
779
Chapitre V
Heidegger : la lueur insensée
903
Intermède conclusif
Fin de captivité
1041
Commencement
Aller au Principe
1057
Chant de l’âme dans le Corps mystique
1111
*
La célèbre première phrase :
« Infirmes amants de l’inessentiel qui comme jamais choyons la déchéance, chérissons de choir et renchérissons sur nos chutes, il est un fait que nul n’est plus besoin de se hisser jusqu’à la figure d’un sublime misanthrope pour reconnaître que nous tombons. »
*
« Les motifs de ce tournoyant abîmement de l’humain dépendent de certaines décisions et notamment de cette décision fondamentale qui en lieu et place de tout autre principe ou de tout autre préférence, choisit de valoriser le mouvement et de mesurer la valeur de toute chose selon sa conformité avec lui. La modernité spéculative dans laquelle nous vivons peut se définir par ce symptôme qu’à notre connaissance personne n’a voulu relever, le symptôme d’une passion immédiatement bienveillante pour le multiple, le transitif, le fluent. Cette passion dominante, véritable borne à l’aune de laquelle s’apprécie toute construction conceptuelle, semble par avance absoudre de toute éventuelle inconséquence interne une pensée dont les conclusions y aboutiraient ou refléteraient le filigrane de son exigence. Elle semble pardonner à tout système de pensée le moindre grippement de ses rouages, elle lui remet la faute d’être médiocre ou d’user de procédés rhétoriques, de violences logiques, de solécismes spéculatifs, pourvu que son aspiration première soit assouvie ; tout écart d’imagination ou de raison dans le processus intrinsèque et la démarche inhérente à un système philosophique en devient l’attendrissante motion d’originalité quand le but de s’adonner à un concept reflétant la transitivité vitale y est clairement lisible. A l’époque où toute conclusion est connue, il ne reste plus qu’à enrichir les marges de la démarche qui y conduit en usant d’emprunts fantaisistes ou en y déboutonnant la langue afin de se distinguer. A l’époque où telle conclusion est d’ores et déjà posée, tel canevas seul admis, où les chemins littéraires se constituent comme autant de formes aux possibilités rythmiques prédéfinies et d’odes à la gloire du même dictateur, où il n’est alors plus nécessaire de briller pour hanter les couloirs de la renommée, il ne reste plus que les défauts pour se singulariser ; il ne reste plus qu’à frénétiser l’insignifiance.
[…]
L’idéologie immanentiste du mouvement perpétuel s’insinue partout et constitue une nouvelle et consensuelle pierre de touche pour l’évaluation d’une pensée.
Pour la laisser ainsi se rompre et s’éparpiller,
Avons-nous donc une âme de rechange ? [Claudel]
Pas une pensée de nos jours, mais également pas une pensée au moins depuis Kant, qui échappe en effet à cette valorisation du mouvement vital et ne puise sa légitimité d’exercice dans cette mise au pinacle d’un tissu dynamique dont toute philosophie est affirmée devoir épouser les sinuosités, à défaut de quoi elle se voit accusée de ne pas parler de son objet. Ainsi Fichte insistant sur cette notion de Tathandlung qui, de son suffixe transitif à son contenu conceptuel, témoigne que la vision de ce que doit être la grandeur humaine demeure ainsi inséparable d’une quête infinie qui rende la vie « vivante » – cette notion posant un inaccomplissement transcendantal afin que la réalité humaine se déploie sans cesse et que le mouvement, quand bien même motivé par un idéal autre, devienne malgré tout une fin en soi où la réflexion se satisfait ; ainsi Hölderlin achevant Hyperion par un éloge des structures propres au flux organique : « Les artères qui partent du cœur y reviennent : tout n’est qu’une seule vie, brûlante, éternelle » ; Hegel proférant son fameux « penser la vie, voilà la tâche ! » et inoculant au cœur même de l’Absolu, comme sa condition d’exercice et sa validité à l’existence, l’indélébile marque d’une processualité dynamique ; Marx inondant l’inerte matière de l’épicurisme d’une inhérente teneur dialectique la rendant « pensable », comme s’il était entendu de toute éternité qu’à la pensée ne pouvait parler et correspondre qu’un domaine mouvant ; Nietzsche et son « concept » de « volonté de puissance » dont – au terme d’une méthodique culpabilisation de toute conscience qui refuserait, au profit d’une staticité présupposée sans retenue comme l’attribut principal de l’être, que le devenir fût fin dernière et origine première – le caractère perpétuellement fluent doit être consacré par une pensée qui en mette l’absurde au pinacle (c’est le sens de l’« Eternel Retour ») ; Husserl et la prise en garde obsessionnelle de la méthode réductive afin de mettre en évidence les transitivités internes à la conscience et en quelque sorte la ponctuation du flux ; Bergson et l’affirmation du privilège de la « durée vécue » sur toutes les formes spatio-réductrices tendant à occulter l’élan de vie considéré comme la source de tout acte opéré par le monde ou l’homme ; Heidegger dont la compréhension de l’être met exclusivement en avant la transitivité propre au mouvement d’éclosion et à la dynamique du jaillissement, tandis que l’homme est défini non plus en tant que pôle de personnalité mais comme point de présence (Dasein) d’une incernable transitivité et intermédiaire d’une temporalité quintessencielle vers son espace propre. La philosophie contemporaine, depuis l’idéalisme allemand jusqu’à nos jours, est prise dans un présupposé impensé qui, sans aucun préalable discernement critique, lui fait explicitement préférer la transitivité. »
(La Vérité captive, p. 26-28)
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« La philosophie contemporaine est une décision affective contre la Vérité. Elle est la résolution de se passer de penser, de se passer de la recherche des causes, de préférer collectionner des éclis. Elle est la résignation de s’arrêter là où le vice et l’inconséquence trouvent leur compte, la résignation d’arrêter la recherche des causes au moment où l’on pressent ou conçoit que leur mise en évidence doit entraîner un changement de vie et de pensée. Elle succombe à toutes les tentations d’une paresse fondamentale. « Il y a dans ce bois des fleurs pâles qui font mourir ceux qui les cueillent » [1]. Cette « philosophie » cherche les causes de tel ou tel phénomène, y compris celles de certains phénomènes complexes, puis cesse brutalement et arbitrairement sa progression au Principe, si bien que le fait de s’arrêter ainsi sans raison apparaît finalement comme étant bien plus arbitraire que l’arbitraire dont on tente d’accuser toute pensée qui préférerait se porter vers une cause ultime. »
1. Breton/Soupault, « Eclipses », in Les Champs magnétiques.
(La Vérité captive, p. 41-42)
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« Penser la Différence fondamentale entre le Transcendant et le transcendement, entre le simple être en soi-même d’un Principe que sa plénitude excepte de toute confusion avec quoi que ce soit d’autre, et le mouvement qui naît de la contemplation de cette plénitude par le monde, entre l’être dans son être et l’être dans son effet ou son opération, c’est laisser agir dans la pensée ce pourquoi elle pense, c’est-à-dire non plus la tourner vers son objet comme le font les multiples phénoménologies de l’x ou de l’y, mais la donner comme objet à ce qui devient le sujet même de son activité, à l’éminence qui commande sa réflexivité et cet élan même par lequel il lui est possible d’appliquer le schème de l’éminence à un principe autre que le seul Eminent qui mérite ce nom. C’est à bien peu de reprises, pour ne pas dire jamais effectivement, que la pensée a tenté de fonder la réflexivité, y compris et surtout la réflexivité qui la constituait en propre comme pensée de ce en quoi elle acquérait cette réflexivité. La pensée qui pense la Différence fondamentale et transcendantale entre le Principe et son effet ne relève plus du regard porté sur les choses ni sur l’organisation des choses, mais du regard porté sur le Regard invisible et ultime en qui la pensée de toute éternité se regarde pour se voir comme la pensée et être la pensée – car être et se voir pour la pensée ne sont qu’un : la réflexivité. Si la plupart des autres pensées sont tributaires du monde et de son organisation, penser la Différence transcendantale entre le Transcendant et le transcendement inaugure une ère où la pensée, ayant accepté que son initiative s’ouvrît à hauteur de ce qu’elle est, n’est plus seulement au monde ou à l’ouverture du monde, mais au lieu de sa propre émergence à soi dans le Principe dont la structure d’indépendance, consacrant un hiatus infranchissable entre l’être comme être et le monde comme monde (quand bien même ce dernier serait apprécié dans son unitotalité), sépare le discours sur l’Essentiel de toute dépendance vis-à-vis de quoi que ce soit et consacre la pensée en la rattachant à un principe qui en déploie la libre réflexivité. »
(La Vérité captive, p. 56)
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« Sortir de la configuration selon laquelle l’esprit choisit de se reporter sur le transitif ou l’immanent, c’est repérer le point d’inflexion où se joue la possibilité de telles valorisations. Ce point d’inflexion c’est la philosophie elle-même dans sa contradiction historique, qui consiste à rechercher l’ultime en fonction d’autres critères que lui-même, le rechercher ailleurs qu’en son essence, n’en vivre l’essence que dans certains de ses effets et non en elle-même et pour elle-même. La contradiction historique de la philosophie consiste à prendre appui sur le Principe pour vivre non pas du Principe mais de ce dont le Principe conditionne le déploiement, si bien que la philosophie se situe toujours en décalage par rapport à son propre désir. »
(La Vérité captive, p. 91)
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« C’est parce que Dieu est seulement Dieu, et non pas telle ou telle fonction, c’est parce que le Principe est Celui qu’Il est et rien d’autre, c’est parce qu’Il est être et non pas la diffusion, le don, le jaillissement, le flux, etc., c’est parce qu’il est uniquement l’être, c’est parce qu’il est la Différence et l’exclusivité de sa Transcendance, que sa Déité toute-puissante crée ce qui d’abord n’est pas [1]. Sa Gloire principielle suffit. C’est pourquoi ce Principe n’enjoint pas l’âme, et avec elle toute la philosophie, à lui faire une autre prière que celle-ci : « Demande-Moi ma Gloire » [2]. C’est dans la stance de cette Gloire, c’est dans la substance de cette Transcendance, dans la Différence pure, dans la décision de l’être dont la Personne s’excepte de tout ce qui existe, que tout élan à jaillir trouve seulement sa possibilité et en une différence qualitative intégrale par rapport à Celui dont il dépend. L’acte du jaillissement trouve sa possibilité dans ce qui n’est absolument pas lui et le transcende à tous égards, dans ce qui, Différence fondamentale, constitue l’horizon de décision dont la gratuité du don dépend si elle veut avoir sens et faire existence. Et le Principe « est en Lui-même » et par définition « infiniment plus que ce qu’Il réalise » [3]. Il est le Transcendant. »
1. Cf. Marie de la Trinité, Carnets 1942-1946
2. Ibid.
3. Ibid.
(La Vérité captive, p. 118)
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« La différence [ontologique] heideggerienne est un cas particulier de la Différence fondamentale entre transcendant et transcendement : Heidegger prend l’étant en son sens de chose, donc comme une chose inerte, mais afin d’exprimer pleinement sa réalité il faut au contraire prendre l’étant comme un vivant, donc comme un étant aspirant nativement à son lieu, à son essence. Dans le cadre de la Différence fondamentale, l’étant n’est pas pris abstraitement comme une chose inerte, mais comme et dans la dynamique de transcendement, dans son mouvement vers son fond, et ce mouvement vers le fond est référé comme il se doit à la transcendance du Principe. La « différence ontologique » heideggerienne laisse en dehors de soi une dimension fondamentale de la réalité de l’étant, son mouvement, ce que la Différence fondamentale n’écarte point qui prend en charge ce mouvement et le rapporte au fondement de sa possibilité. Sur la base de cette prise en garde, la différence seulement ontologique (être / étant) devient la Différence fondamentale (transcendant / transcendement) : au nom du vitalisme du second membre on fait émerger la nécessité du premier ; le vitalisme contemporain dûment orienté par la pensée aboutit ainsi non pas à se promouvoir jusqu’au Principe mais à trouver sa possibilité comme sa borne dans la mise en évidence du Transcendant pur. Il aboutit à la Différence fondamentale en qui il nie être originaire. »
(La Vérité captive, p. 124)
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« La pensée est cette capacité de recul réflexif qui permet de sillonner en une surnaturelle vélocité l’univers entier car
Dieu me donne l’agilité du chamois,
Il me tient debout sur les hauteurs [1].
Notre pensée est infusée de la présence du Principe et c’est en sa Différence transcendantale que la pensée se constitue comme réflexivité, prise de champ, liberté, rétrocession infinie. La pensée est attachée en son fond à l’Infini dont elle est l’image, ce pourquoi « la racine de l’intelligence est impérissable » [2]. La pierre sur laquelle Jacob repose sa tête avant de s’endormir de ce sommeil où lui est manifestée l’Echelle sans fin qui relie la terre à l’abîme du Transcendant, cette pierre est, après cette nuit, nommée par lui Béthel, soit la porte du Ciel sans fin, ou plus précisément la maison de Dieu qui est par-delà tous les cieux [3] ; la tête de l’homme est bien ici le lieu où le Principe choisit d’élire sa demeure et de faire descendre le mystère de sa Différence fondamentale ; notre pensée repose sur l’assise d’infinité qui la joint à cette Transcendance d’où elle tire sa capacité fractale et réflexive d’infinie rétrocession, sa liberté. […]
La réflexivité est omniprésente, et elle s’alimente à la conscience insue de la Différence fondamentale qui lui donne l’élan de détachement par lequel les choses deviennent les objets de ses thématisations, critiques et adhésions. Il y a une intelligence transcendantale en qui se tient la pensée pour pouvoir se déployer ; elle ne la choisit pas, elle l’incarne. Qu’elle en ait conscience ou non, qu’elle le veuille ou non, qu’elle l’admette ou non, la pensée ne respire qu’en elle. Pas un pas sans cette lumière qui lui donne réflexivité et liberté. Cette intelligence supérieure et prévenante franchit sa Différence pour se donner aux âmes qu’elle prononce à son image. »
1. Psaume XVII, 34.
2. Sagesse, III, 15.
3. Genèse, XXVIII, 10 sq.
(La Vérité captive, p. 186)
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« Il y a dans la Différence ce qui diffère et ce qui est offert, et l’offert est précisément ce qui diffère. Il y a donc dans la Différence elle-même un Principe de transmission du Principe, et ce Principe est le Principe lui-même, le Fils qui ouvre à la manifestation l’essence qu’il est avec le Père. »
(La Vérité captive, p. 193)
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« La Sagesse est centre, elle est l’antémémoire et l’avenir certain. Centre de l’histoire, elle est au commencement et à la fin. La Sagesse vient, et la pensée de la Différence fondamentale est le prologue de cette venue, la philosophie terminale ; c’est ainsi qu’au travers de l’outre-modernité effondrée, nous sentons « une fois de plus vivre et vaincre, triomphal, insubmersible, ce vaisseau qu’on appelle Eglise catholique et qui porte à son grand mât l’insigne du Crucifié » [Claudel]. Par la pensée qui place l’humanité face à la Différence fondamentale du Principe, par la pensée qui manifeste le caractère omni-transcendantal de la Différence propre à l’abîme de la Déité, chacun voit désormais le Cœur de magnificence auquel il doit sa vie, et goûte la réalité de l’insondable Amour franchissant qui vient à sa rencontre. L’abîme de l’Amour apparaît, et c’est par la réponse qu’il donne à cet Amour que chacun vient au jugement de soi-même pour l’éternité ; c’est dans cet abîme que chaque être vient trouver sa place glorifiée ou pénale. Avant-scène du Règne, la pensée de la Différence fondamentale, assise sur les cendres de l’outre-modernité et les yeux tournée vers le Royaume inamissible, annonce l’unification finale de la pensée avant la venue terminale du Logos ; initiant et regardant les courbes de la Foi et de la raison se réunir dans l’unicité de la pensée, le philosophe libre et véritable est prophète de la Sagesse qui vient. »
(La Vérité captive, p. 287)
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Microcéphalopolis
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« Nous sommes l’homme de la grande patience. Nous sommes l’homme de la dernière attente. Assistés par le Souffle, soutenus par le saint Afflux pneumatique, l’Esprit envoyé Dieu par le Dieu qui se fait agonie afin qu’une humanité seule éprise de se dissocier de la mort achemine sa misère en l’unique et miséricordieux giron qui l’exhaussera, portés par l’haleine de Trinité, nous respirons. Archiques et migraineuses, bouillantes de lumière contenue, nos têtes dardent les orages inchoatifs.
La dernière catastrophe immine. À nos oreilles vibrent déjà les basses fondamentales de cieux buccinaux.
Quelques-uns, une poignée, une pincée, aucuns : nous sommes si peu mais nous sommes encore à composer ce corps de résistance pensive face au gras décomposé, l’enflé cadavre d’une ère d’étale horreur dont plus rien n’entend souligner l’incalculable culpabilité. »
(Première page de Microcéphalopolis)
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« Ivrogne d’élite et drogué aux micro-satisfactions bourgeoises, l’ensouché assèche tous les flots de manifestation de l’intellect ; adepte de la paresse compulsive et de l’avachierie, le bon aryen fricasse des chiffres au lieu de s’adonner au Nombre ; mugisseurs qui en guise de destin historique se virent assigner de parcourir une courbe dont le point de départ fut, idiots, de se croire universellement beaux et l’accomplissement de se trouver tout jouissants d’être laids, les microcéphaliens de souche se frivolent et s’érotent en prenant des airs concentrés, sombrant au fin fond des cataclysmes hormonaux, s’enfonçant dans la haine de la pensée, dans le mépris de leur âme, employant leur énergie à équarrir les instruits et les sages ; le putanat gît, mais c’est une chance pour Microcéphalopolis qui fut érigée à seule fin d’établir bourgeoisement les progressifs et contraignants droits de la fange. »
(Microcéphalopolis, p. 12)
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« Présu en Dieu, préordonné en sa Bonté, la liberté tournée par sa consolative grâce vers ce qu’Il veut nous donner, nous sommes encore en santé. Le Fils brûle de la Gloire dans les siècles des siècles, Il montre la Promesse à notre âme couverte d’ulcères et soignée en son Sang. Par la grâce du Trin-Un qui nous donne joie de le savoir présent, nous obvions aux angoisseux gémissements dont résonne le gouffre microcéphalien. Que notre féaulté soit entière à Son Règne afin que nous brillions avec Lui au si proche jour de Son Apocalypse. Dieu provient en présence. Éternité, ineffablement manifestée.
Génie, toi, si tu fusses encore en un coin du monde, ne manque pas d’entendre et de prononcer ce choral de sens qui descend et qui monte à vue d’homme en un vertige d’amour recentrant. Et toi, si tu fusses quiconque qu’un essentiel espace éperonna ou dont ton insatisfaction fondamentale attesta la présence, la joie du Visage sacré, que l’humilité pensive apprend à voir comme source et possibilité transcendante de toutes les dispensations d’infini, la joie du Visage sacré fût tressaillie d’inscrire ton être en son Éternité. L’homme est fait pour le Coeur de Dieu qui lui donne sa Transcendance afin qu’il se laisse par Elle intégralement conduire.
Quant à Microcéphalopolis… La meurtrière plaisanterie durera peu, elle est le temps accordé au tentateur pour éprouver l’amour dont l’homme est susceptible ; l’horrible comédie touche à sa fin et l’histoire est finie, l’ennemi, infiniment condamné, hurle avant son exécution, se forçant à avaler son dernier repas. Les cendres sont agitées par un accru sirocco, elles encrassent les âmes complices ou volontairement victimes. Le monde s’abîme et s’en contente, mystérieusement, le monde s’abîme jusques à ce que percent, soudain, du seul Seigneur les foudroyants Regards, miséricordieux brasiers incarnadins et triomphaux. »
(Microcéphalopolis, dernière page.)
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La pensée catholique de Jean-Sébastien Bach – La Messe en si
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TABLE
– Musique et Messe : l’ultime sens de l’œuvre d’art
– Bach catholique
– La Messe en si : récapitulation et transfiguration catholiques des liturgies
– La Messe comme autobiographie
– Bach et Beethoven : la Messe en si et la Missa solemnis
– L’unité religieuse du double testament de Bach : entrelacs de L’Art de la fugue et de la Messe en si mineur
– Le Kyrie
– Le Gloria
Gloria in excelsis Deo
Et in terra pax hominibus bonae voluntatis
Laudamus te
Gratias agimus tibi
Domine Deus
Qui tollis
Qui sedes
Quoniam tu solus
Cum Sancto Spiritu
– Le Credo
Credo in unum Deum
Patrem omnipotentem
Et in unum Dominum Jesum Christum
Et incarnatus
Crucifixus
Et resurrexit
Et in Spiritum sanctum
Confiteor
Et expecto
– Le Sanctus et l’Agnus Dei
– Envoi
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[Penser l’Et incarnatus de la Messe en si]
« La Deuxième partie du Credo commence donc avec l’Incarnation, et de même que le Credo s’inaugurait par une station auprès de quelques mots infinis sur l’unicité de Dieu, « Credo in unum Deum », de même cette Deuxième partie, après la transition assumée par la confession de foi au Fils dont la Gloire porte en elle la possibilité d’une prolongation de l’Amour engendré, à l’extérieur de la Déité trinitaire, cette Deuxième partie commence par une station auprès du mystère qui la régit et qui, après celui de l’unicité du Dieu chrétien, continue de qualifier cette unicité en montrant combien sa Transcendance porte en elle la miséricorde de l’Incarnation. Cinquante mesures d’une somptueuse lenteur sont consacrées à l’énonciation de l’Et Incarnatus est de Spiritu Sancto ex Maria Virgine, et homo factus est.
La structure de ce morceau est on ne peut plus précise. L’instrumentation d’abord, réduite au minimum avec deux violons et le Continuo, car l’Incarnation n’est pas tapageuse, elle agit dans le secret, elle est annoncée dans le secret, dans l’intimité du dialogue de l’Ange Gabriel et de la Vierge, puis dans l’intimité de l’union de l’Esprit-Saint avec celle immaculée que son « fiat verbum » élève au rang de Mère de Dieu. Le chœur est répartit en cinq voix, mais tout est chanté en nuance douce, discrète, secrète, nocturne au sens de Péguy, et la présence de la totalité des registres n’est pas le signe d’une exploitation de la virtuosité de ses compétences mais au contraire de l’infinie nuance dont est aussi capable l’adjonction et la juste gestion des registres. Les motifs instrumentaux aux violons et au Continuo sont bâtis en ostinato, répétant inlassablement la même structure rythmique, d’une part, et souvent tonale, d’autre part, avec les quelques emprunts harmoniques d’usage. Ainsi le Continuo pose-t-il inlassablement et imperturbablement, avec une régularité rythmique sans faille, du début et quasiment jusques à la fin, trois notes, trois noires – qui sont parfois la même note pendant de nombreuses mesures –, indiquant par là, dans ce mouvement à 3/4, que, si l’Incarnation est la mission du Fils, la volonté de la Trinité toute entière y est cependant bien présente. Le Fils est Verbe, il est la Parole, il dit Dieu, il exprime et annonce la Trinité, chacun de ses actes sur terre est en soi une parole fondamentale expliquerait saint Augustin, et chacune de ces paroles de quintessence porte donc en elle la marque de la Trinité. Il n’est donc pas surprenant que l’Incarnation, première parole de la Parole qui se fait muette en un enfant afin de dire la miséricordieuse humilité de Dieu, il n’est guère surprenant que l’Incarnation porte ici en soubassement sonore le ternaire d’une basse continue symbolisant la Trinité que porte avec soi le Fils et qu’Il annonce. Quant aux violons, leur structure en ostinato est différente mais non moins inlassable qui court de même et comme en une ode de Claudel du début jusques à la fin – à une rare et très relative exception dans les dernières mesures où les deux registres sont en décalage contrapunctique mais dessinent un canon. Toujours un même rythme de cinq croches sur un départ à contretemps, exposant un accord parfait ou de septième descendant, agrémenté de notes de passage à valeurs d’appogiatures. Le geste même de l’Incarnation y est tout simplement musicalement donné : cette descente lente et progressive, amortie par les appogiatures afin de ne pas avoir la raideur immédiate de l’accord parfait et de faire ainsi sentir l’attentive douceur de l’englobante Médiation, cette venue dans le monde de Celui qui « de coelis descendit », se déroule comme par paliers afin de signifier la lenteur de secret avec laquelle Dieu épouse l’humanité, sans violence ni tapage, mais dans la douceur d’une union préparée par les siècles et par ce cri de la condition humaine qui est parvenu jusques au Cœur de Dieu qui le suscite, des paliers qui montrent combien la descente de Dieu en l’homme est minutieuse et cachée, aussi peu glorieuse a priori que la condition humaine exigeant qu’une telle Incarnation ait lieu pour obtenir le Salut, car l’Incarnation sera glorieuse en révélant l’Amour nécessaire pour assumer l’union à une telle inglorieuse condition ; la lenteur de cet accompagnement violonistique déploie des paliers harmoniques divers afin de montrer la richesse de minutie avec laquelle le Fils de Dieu se fait Fils de l’homme, harmoniques dont la lenteur a également pour sens l’union de Dieu avec tous les pans d’humanité, la christification de chaque degré d’être de l’être-homme que le Fils vient habiter étant soulignée par cette à la fois traînante et décisive descente harmonique.
Reste le rôle des chœurs, répartis en cinq registres dont la ligne est indépendante, créant un contrepoint d’autant plus splendide que, contrairement aux précédents mouvements de la Messe en si, parmi lesquels de considérables morceaux de bravoure, ce contrepoint est d’une sobriété et d’une stabilité harmonique au sein duquel Bach s’interdit volontairement tout effet autre qu’en pleine nuance : tout doit être d’une subtilité telle que le caractère discret, humble et nocturne de l’Incarnation soit ici totalement lisible. L’évolution musicale se fait donc par des déplacements harmoniques au sein de petits intervalles : un minimal déplacement d’une seule note au sein de la masse chorale globale permet de marquer une inflexion qui emporte l’ensemble de cette masse vers un autre motif expressif. Bach utilise par ailleurs les cinq registres vocaux pour montrer combien l’Incarnation concerne la totalité de l’humanité, diffusant son projet sotériologique dans l’universalité de l’humain représenté ici par toutes les couleurs chorales. On ressent lors l’effluve infini de l’Amour divin qui, tout en se répandant tour à tour dans chaque registre, ouvre la région de l’âme humaine à recevoir d’être inondée des prémisses de la Vie éternelle, ou plutôt inonde de la Vie éternelle elle-même cette région mais de manière encore cachée afin que ne la trouvent que ceux qui la cherchent et le prouvent par le baptême.
Le chant du chœur subit différents moments. Le thème de l’Incarnatus est descendant et arpégé, sur un accord parfait ; le thème de la Vierge est ascendant et chromatique ; le thème de l’homo factus est consiste en une ascension plus grande, annonciatrice des futures victoires, car il remonte les notes de l’arpège utilisé pour le thème de l’Incarnatus. La symbolique est claire concernant l’Incarnatus. L’Incarnation c’est le Fils qui franchit la Différence de la Transcendance trinitaire, traverse les cieux, pour s’unir à la condition humaine et prendre chair. Il se fait homme : l’inversion symétrique entre le thème de l’Incarnatus et celui de l’homo factus est nous rappelle que lorsque le Fils qui est Seigneur et Dieu, épouse la condition d’homme, il offre à cette dernière la possibilité de monter avec Lui, et par l’intermédiaire de l’attente de sa grâce, auprès du Père dans la Sainte Société Trinitaire. En descendant, le Fils demeure aussi en haut, vrai homme et vrai Dieu ; en descendant, Dieu dans la condition d’homme, il ouvre à l’homme de s’unir à la vie divine en s’unissant à Lui le Fils, soit en donnant toute initiative à Dieu afin de le laisser répandre sa grâce à travers la communion à son action qui est de se faire réceptacle de la volonté du Père et de le laisser agir seul en nous. La relation de symétrie harmonique entre le début et la fin de ce mouvement montre précisément combien l’Incarnation ouvre le Salut. Et la tierce picarde qui intervient dans les dernières mesures, illumine d’un rayon de lumière le sens de cette Incarnation qui apparaît d’abord comme le début d’une longue geste sacrificielle, et que Bach replace ainsi rapidement dans la Joie que ce drame ouvrira sur la terre comme au ciel.
Reste le thème de la Vierge Marie, ascendant et chromatique, apportant une présence d’intensité spéciale lorsqu’il intervient. C’est précisément là que se confirme ce que Bach a déjà musicalement dit de sa foi dans le mystère marial. Que des motifs ascendants s’inaugurent avec la Vierge Marie, ascendants et progressifs puisque marchant pas à pas en un chromatisme rigoureux, que la Vierge Marie soit celle qui, chez Bach et en cet endroit précis, initie le mouvement ascendant qui s’accomplira sous la forme d’accords parfaits à la fin du morceau avec l’homo factus est – est très significatif. L’Incarnation est déjà une douleur pour le Fils, elle est déjà l’étouffement propre à la Passion, mais lorsque le lieu d’accueil est l’entraille virginale immaculée et libre de tout péché, le Fils retrouve au sein même de la terre le sein de la Vie éternelle dans le sein d’une femme que la théologie mariale a pu appeler « la puînée du Seigneur ». Naître dans le sein de l’Immaculée Conception, c’est retrouver la douceur de la grâce propre à la Vie trinitaire, c’est donc amoindrir la douleur de l’Incarnation, une douleur qui en outre n’est pas vécue lors de l’enfantement par la Femme exempte du péché donc de ses conséquences, c’est-à-dire les souffrances de la parturition. La pente descendue par l’Incarnation est donc remontée par l’avènement du Fils dans le sein de l’Immaculée Conception, d’où les thèmes ascendants qui caractérisent les moments où la Sainte Mère de Dieu est nommée par le chœur, thèmes dont l’aspect ascendant est traité chromatiquement pour montrer que les appogiatures du thème de l’Incarnation, signifiant la lente descente du Fils dans la chair, sont ici reprises sous différentes formes selon le registre vocal, afin de signifier également que la naissance dans le sein virginal conserve la divinité du Fils et permet ainsi de ménager la lente remontée vers l’« in excelsis » que sera cette vie terrestre du Fils prenant naissance en l’Immaculée – lente remontée que signifie le chromatisme ou les appogiatures qui mettent en œuvre un chromatisme. La vie terrestre du Christ prend naissance en la Vierge et remonte lentement vers Dieu par un chemin qui est la succession des mystères. Le chromatisme répond à la discrétion mystiquement nocturne de l’Incarnation, et l’action de la Vierge dans l’Incarnation, décisive, fondamentale, fut malgré tout d’une entière discrétion, répondant à ce dont elle était dépositaire et qu’elle mettait au monde afin de donner à Dieu le Fils fait homme, de remonter lentement vers lui-même, ce que dit la simplicité symétrique de l’accord parfait reproduit par l’homo factus est. De ces deux symétries, celle concernant la musique accompagnant l’Ex Maria Virgine est plus riche que le bref extrait en accord parfait de l’homo factus est, et d’autant que le premier est condition du deuxième : par la conservation de la divinité du Dieu Fils dans le sein de la Vierge elle-même conçue immaculée car incorporée à la grâce (kékaritomènè) ou puînée du Seigneur, le Fils qui se fait homme est tout autant demeuré Dieu et sa descente au cœur de l’humain est l’ouverture du Salut pour l’humain qui se met à la suite du Christ dont la descente depuis le ciel, où il demeure toujours simultanément à sa présence humaine, est ainsi disposition d’une géographie de l’ascension. L’ouverture de cette possibilité est dite en toute clarté par l’accord parfait énoncé symétriquement à la fin du mouvement dans l’homo factus est. Le rôle que Bach accorde à la Vierge est primordial qu’il souligne musicalement, tandis que sa musique nous apprend à lire le fond de sa théologie propre, qui n’est autre que la plus pure doctrine catholique. Bach est tellement attaché à la figure de la Vierge – en dehors de toutes considérations luthériennes de la question, propos dont il n’a cure – qu’il lui consacrera le célèbre Magnificat, et que, dans le cadre de la Messe en si, un procédé architectural virtuose et typique de la manière de Bach est employé pour manifester la connaissance et la foi mariales du compositeur : à chaque énoncé de l’Ex Maria Virgine – soit deux fois dans l’ensemble –, Bach consacre sept mesures à cet extrait du texte. Et deux fois sept, c’est quatorze, la signature arithmologique de Bach, qui montre ainsi son degré d’implication dans sa foi en la Virginité sainte de la Mère de Dieu, et atteste une fois de plus la perfection doctrinale de son catholicisme.
Bach écrit donc ici la musique de la descente dans la pureté et la douleur, la musique de la Passion qu’est déjà la naissance humble et glorieuse, car glorieusement humble, de Dieu dans la finitude tout en recevant cette dernière depuis le sein immaculé de la Vierge Marie conçue sans péché. Ainsi la musique évoque-t-elle à la fois une grande paix et une grande douleur ; la dramatique y contrebalance les triomphaux accents du Gloria, car descendre en humanité est pour le Christ une douleur, épouser la condition des créatures vivant en ce corps de mort dont parle saint Paul est déjà une mort. Cette mort qu’est la naissance du Christ à l’humanité est déjà pleinement dépeinte ici, mais, en cette atmosphère sépulcrale, toutefois, une grande sérénité se dégage, alors que nous sommes pourtant loin de la Résurrection puisque le Christ, à proprement parler, n’est pas encore né homme, il est descendu dans le sein de la Vierge. Cette ambiance de paix provient donc non pas de la Gloire à venir, beaucoup trop lointaine chronologiquement à échelle humaine, et que ne permet pas encore d’appréhender l’événement d’incarnation, mais provient de ce en qui descend le Fils divin, le lieu où il fait sa demeure pour naître à l’humanité : les entrailles mariales (les entrailles sont dans l’Ancien Testament le symbole de la foi). Le paradoxe de la Passion et de la Paix vécue en l’Incarnation, et magnifiquement illustré par la musique de cet Incarnatus, s’explique en l’Immaculée. Entrant au sein de la Vierge, ce sein immaculé, ce lieu du monde où le péché n’est pas, ce lieu que Dieu s’est suscité pour pouvoir naître au milieu du péché tout en demeurant exempt du péché, c’est-à-dire en pouvant demeurer Dieu tout en devenant homme, ce lieu est le lieu de paix où, épousant la finitude, le Fils ne perd point cependant son infinité – ce qui explique que la dramatique musicale évoquant la descente du Fils dans la vallée des larmes humaines soit empreinte également d’une belle paix, et que toutes les dynamiques musicales, ici nombreuses, comportant un mouvement descendant afin de mimer la prévenante con-descendance de Dieu, soient aussi magistralement baignées d’une sorte d’amortissement constant : le Fils ne vit pas une chute en s’incarnant, mais arrive entre les bras de l’Immaculée qui l’accueille avec l’étreinte de la perfection au milieu de ce monde délabré par le péché.
Le paradoxe christologique, le paradoxe des deux natures du Christ, est entièrement présent et lisible en l’Immaculée. Ainsi sérénité et douleur se côtoient-elles explicitement au sein du même mystère amoureux dont Dieu seul peut vivre l’infinité sacrificielle afin que nous soient de nouveau ouvertes les portes par lesquelles il nous mènera sur le chemin de Sa Vie, nous incapables de monter jusques à Lui. »
(La pensée catholique de Jean-Sébastien Bach, « Et Incarnatus »)
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Saint Augustin – La Trinité
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« L’étymologie du mot « foi » n’est pas « opinio » mais « fides ». L’opinion, la fameuse « doxa » remise à sa place depuis Platon et de la lutte contre laquelle naît précisément l’attitude philosophique, appartient au domaine de la conjecture assumée, de la supposition faite principe ; en elle rien de rationnel. La « fides », au contraire, ne fait étymologiquement signe vers aucune assomption d’incertitude concernant l’objet, mais souligne la fidélité assumée par toute personne qui, ayant conscience de la versatilité et de l’inconstance de l’âme humaine autant que de la véracité et de l’éternité de l’objet de la foi, prend la décision de vivre de la vérité. […] La foi ne commence pas à l’endroit où l’intelligence finit, mais se donne comme l’attitude par laquelle l’intelligence pose sa propre activité comme possédant un sens intrinsèque. Permettre à l’intelligence de déployer sa vie n’est possible que par l’affirmation de la valeur de ce propre déploiement ; il est impossible de penser si l’on ne croit pas à la valeur même de l’acte de penser ; il est insensé de penser en affirmant continuellement, comme le fait le relativisme, qu’il est impossible de penser. Face à cette inconséquence, la foi, intelligence en quelque sorte intelligente ou consciente d’elle-même et de son fond, est une décision pour l’intelligence, pour la compréhension, donc pour la philosophie. La foi répond ainsi à ce qui est au plus profond de l’homme, et l’objet de la foi, dit saint Augustin, « la conscience le crie ». »
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« Nous avons ainsi constaté deux éléments essentiels : le désir de l’homme est signe de l’appel de Dieu pour l’homme (c’est en quelque sorte la preuve de la présence de Dieu), et le fait que Dieu appelle est révélation du déploiement trinitaire de sa nature unique (preuve de l’essence trinitaire de toutes possibilités de présence et de relation de Dieu à l’homme). Le Père est, dans le Fils, volonté de monstration ; le Saint-Esprit est monstration de la volonté de monstration. Par le déploiement des Personnes, Dieu fait entrer son essence indicible dans la manifestabilité (Fils) et dans la manifestation (Saint-Esprit). »