Parution du livre-référence d’Alfred Eibel sur Fritz Lang

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« J’ai fréquenté Fritz Lang durant de nombreuses années. J’ai vu et revu la plupart de ses films. Le texte qui va suivre ne s’adresse pas à un public de cinéphiles. Les rapports souvent orageux avec Fritz Lang sont ici rapportés avec exactitude.

Les rapports souterrains entre la vie de Fritz Lang et les personnages de ses films font partie de mon interprétation personnelle. Les critiques que j’ai pu lire à propos de son oeuvre, nombreuses, se recoupent ici et là et pourtant diffèrent sur bien des points. Aucun ne détient la vérité absolue.
Je laisse de côté ceux qui, revoyant certains films, sont revenus sur leurs premières impressions. Leur enthousiasme a disparu. Certains considèrent l’oeuvre américaine du cinéaste comme un pis-aller dû à un exil forcé. Les quelques propositions que j’avance concernant les deux Tigre n’engagent que moi et peuvent aussi bien être refusées.

Les lettres que Fritz Lang m’avait adressées, figurant en fin de volume, sont suffisamment parlantes pour que je m’abstienne de les commenter. Enfin, reconnaissons que cet homme n’a pas cédé un pouce en rapport avec ce qu’il voulait exprimer ; plus souvent qu’on ne l’imagine avec des budgets dérisoires. Il s’en est accommodé en tirant le meilleur parti possible, restant lui-même. Ce fut à la fois sa force et son anémie. »

Alfred Eibel

Alfred Eibel, Fritz Lang, incluant la Correspondance inédite entre F. Lang et A. Eibel, traduite de l’allemand par l’auteur, Klincksieck, 2017

Alfred Eibel lit le « Portrait de l’Artiste en Glenn Gould »

Glenn GouldPortrait de l’artiste en Glenn Gould, de Maxence Caron

Se promouvoir en public, dans quel sens ? Pourquoi Glenn Gould s’est-il retiré des salles de concert ? Ce qui est posé, au-delà du cas Glenn Gould, est la question de l’artiste en matamore du clavier s’efforçant à transmettre au public ce qu’il attend d’un artiste en représentation. Sans doute Glenn Gould (1932-1982) a-t-il ressenti lors de ses concerts, une distance, une écoute distraite, non pas ce qu’on appelle une « absorption ». Or, c’est de cela qu’il est question dans le livre de Maxence Caron.

Terré chez lui pendant vingt ans, Glenn Gould solitaire ne pouvait que se féliciter de ce que Georges Petros appelle « une retraite sans flambeaux ». L’idée de carrière devait le gêner. Il renverse la proposition : ce n’est pas l’artiste qui attend fébrilement d’être vu et reconnu ; au contraire, c’est l’interprète qu’on ne voit pas, qu’on écoute, seul à seul, qui facilite cette perméabilité entre l’interprète et l’auditeur solitaire, ouvrant grandes les oreilles, toute sa personnalité recueillie, dans la situation non pas de celui qui subit mais de celui qui s’épanouit en écoutant.

Compositeur, écrivain, sociologue, théoricien, moraliste, Glenn Gould fait passer à travers ses enregistrements, ce qui pour lui est le rôle que la musique devrait tenir, celui d’une communion et pourquoi pas d’une conversion. Affiner son jeu, reprendre un nombre de fois nécessaire un passage pour arriver non pas à une impeccabilité mais à ce que les fibres du corps vibrent et apaisent. N’a-t-on pas souligné il y a fort longtemps que Vladimir Horowitz avait renoncé aux concerts pour arriver non pas à une exécution parfaite et mécanique, mais à un partage entre le compositeur et l’interprète.

Le disque a l’avantage de n’être que l’œuvre. Deux solitudes à l’écoute l’une de l’autre. La tentation des sociétés d’enregistrement est de savoir manipuler un enregistrement dans le but de livrer au mélomane ce qu’il attend, un beau absolu. On comprend que Glenn Gould a mis la technique au service de son jeu, non pour atteindre le meilleur de l’acoustique, mais pour atteindre le bonheur, exprimer ce que le pianiste a toujours ambitionné, la tonalité juste. En somme, quelque chose de mouvant, loin d’une beauté mécanique que tant d’interprètes délivrent à la satisfaction d’un public par un travail techniquement bien exécuté, c’est-à-dire rond, lisse, auquel il n’y a rien à redire, laissant apparaître un manque d’âme.

Maxence Caron résume ce qui est en jeu écrivant « Gould transpose la vie d’une œuvre dans sa propre vie qui est elle-même pensée du fondement de toute vie ». L’on songe au livre de George Santayana Le dernier puritain où il est dit que le « puritanisme n’a jamais été simple timidité, fanatisme ou dureté calculée ; c’était quelque chose de profond, de spéculatif : haine de toute simulation, mépris de toute mascarade ».

Laissons de côté un instant la musique, Beethoven, Jean-Sébastien Bach, dont Maxence Caron dit que « l’art de Bach cherche en musique autre chose que la musique ». Installé dans un monde de plus en plus tonitruant qui efface le monde du silence, l’homme Gould a voulu retrouver un état second qui permet à l’interprète à travers la partition à devenir le compositeur, à faire de la musique « une médecine » ; « une guérison » pour employer le mot de Glenn Gould. À quoi l’artiste doit-il renoncer aujourd’hui pour atteindre ce qu’on appelle « rédemption » ? On l’aura compris, le livre de Maxence Caron s’impose à ceux pour qui la musique est synonyme de recueillement, et pour qui elle devraitêtre le révélateur de l’artiste lui-même.

Alfred Eibel

A consulter : les Chroniques d’Alfred Eibel sur le site de sa revue en ligne.

Parution du « Bréviaire de l’Agnostique », de Maxence Caron, préface d’Alfred Eibel

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« Si je ne m’étais pas régalé à plusieurs moments de ma vie d’aphorismes, je n’aurais pas préfacé ce livre. Maximes, sentences, proverbes, j’en ai fait une large consommation. Le jeune Maxence Caron m’a fait lire son manuscrit, qu’il écrivit plus jeune encore, il y a un peu moins de vingt ans. Il en avait dix-huit. Je m’y suis immédiatement immergé, à la manière de ces chercheurs d’or qui passent des rivières au tamis pour en extraire le précieux métal. Je me suis senti concerné par ces textes. J’ai écouté la voix de l’auteur. Ce qu’il note a quelque chose d’indiscutable. »

Extrait de la Préface d’Alfred Eibel

Lire l’argumentaire sur le site des Editions Pierre-Guillaume de Roux

Le « Journal inexorable » de Maxence Caron, par Alfred Eibel

Michel-Ange - Ezechiel. 1510

Il serait audacieux, mal venu, de résumer en quelques lignes un Journal de ce calibre, celui d’un homme qui ne se situe ni côté cour ni côté jardin, un philosophe de la liberté, un croyant, qui veut échapper, on le comprend, à ce qui l’obligerait, dans la société actuelle, à se conformer à la pensée unique, pour ne pas paraître hérétique. Si vous ne jouez pas du clairon dans le but de rassembler et de hurler avec les loups, vous subirez un sort identique à celui de la reine Hatchepsout dont on fit disparaître le nom de tous les monuments. Se présentant comme un anarchiste de droit divin, Maxence Caron ne rate pas une occasion contredisant. Il ne flatte pas le désir bourgeois, il n’est aux bottes de personne, il se défie des penseurs avec fond de teint qui apparaissent régulièrement à la télévision. Il se crispe, entend il quand réputations ont ses faveurs. C’est son côté Julien Benda. Lecteur de Claudel, il est un catholique comme on n’en fait plus. Nicolas Berdaïev (1874-1948) spirituelle de l’homme moderne. Maxence Caron évoque ce qui le relie à Dieu, à la musique ; car voici un homme que Beethoven bouleverse, pour qui Mozart est « profondément atteint par la lumière », et, passionné de cinéma, tient Fritz Lang pour un créateur sans rival. A l’écriture d’un classicisme exemplaire, s’ajoute sa part fulminante et frénétique, héritée de Céline, qui fait monter l’adrénaline d’un livre qui surprend par ses bourrasques.

Alfred Eibel

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