Alfred Eibel lit le « Portrait de l’Artiste en Glenn Gould »

Glenn GouldPortrait de l’artiste en Glenn Gould, de Maxence Caron

Se promouvoir en public, dans quel sens ? Pourquoi Glenn Gould s’est-il retiré des salles de concert ? Ce qui est posé, au-delà du cas Glenn Gould, est la question de l’artiste en matamore du clavier s’efforçant à transmettre au public ce qu’il attend d’un artiste en représentation. Sans doute Glenn Gould (1932-1982) a-t-il ressenti lors de ses concerts, une distance, une écoute distraite, non pas ce qu’on appelle une « absorption ». Or, c’est de cela qu’il est question dans le livre de Maxence Caron.

Terré chez lui pendant vingt ans, Glenn Gould solitaire ne pouvait que se féliciter de ce que Georges Petros appelle « une retraite sans flambeaux ». L’idée de carrière devait le gêner. Il renverse la proposition : ce n’est pas l’artiste qui attend fébrilement d’être vu et reconnu ; au contraire, c’est l’interprète qu’on ne voit pas, qu’on écoute, seul à seul, qui facilite cette perméabilité entre l’interprète et l’auditeur solitaire, ouvrant grandes les oreilles, toute sa personnalité recueillie, dans la situation non pas de celui qui subit mais de celui qui s’épanouit en écoutant.

Compositeur, écrivain, sociologue, théoricien, moraliste, Glenn Gould fait passer à travers ses enregistrements, ce qui pour lui est le rôle que la musique devrait tenir, celui d’une communion et pourquoi pas d’une conversion. Affiner son jeu, reprendre un nombre de fois nécessaire un passage pour arriver non pas à une impeccabilité mais à ce que les fibres du corps vibrent et apaisent. N’a-t-on pas souligné il y a fort longtemps que Vladimir Horowitz avait renoncé aux concerts pour arriver non pas à une exécution parfaite et mécanique, mais à un partage entre le compositeur et l’interprète.

Le disque a l’avantage de n’être que l’œuvre. Deux solitudes à l’écoute l’une de l’autre. La tentation des sociétés d’enregistrement est de savoir manipuler un enregistrement dans le but de livrer au mélomane ce qu’il attend, un beau absolu. On comprend que Glenn Gould a mis la technique au service de son jeu, non pour atteindre le meilleur de l’acoustique, mais pour atteindre le bonheur, exprimer ce que le pianiste a toujours ambitionné, la tonalité juste. En somme, quelque chose de mouvant, loin d’une beauté mécanique que tant d’interprètes délivrent à la satisfaction d’un public par un travail techniquement bien exécuté, c’est-à-dire rond, lisse, auquel il n’y a rien à redire, laissant apparaître un manque d’âme.

Maxence Caron résume ce qui est en jeu écrivant « Gould transpose la vie d’une œuvre dans sa propre vie qui est elle-même pensée du fondement de toute vie ». L’on songe au livre de George Santayana Le dernier puritain où il est dit que le « puritanisme n’a jamais été simple timidité, fanatisme ou dureté calculée ; c’était quelque chose de profond, de spéculatif : haine de toute simulation, mépris de toute mascarade ».

Laissons de côté un instant la musique, Beethoven, Jean-Sébastien Bach, dont Maxence Caron dit que « l’art de Bach cherche en musique autre chose que la musique ». Installé dans un monde de plus en plus tonitruant qui efface le monde du silence, l’homme Gould a voulu retrouver un état second qui permet à l’interprète à travers la partition à devenir le compositeur, à faire de la musique « une médecine » ; « une guérison » pour employer le mot de Glenn Gould. À quoi l’artiste doit-il renoncer aujourd’hui pour atteindre ce qu’on appelle « rédemption » ? On l’aura compris, le livre de Maxence Caron s’impose à ceux pour qui la musique est synonyme de recueillement, et pour qui elle devraitêtre le révélateur de l’artiste lui-même.

Alfred Eibel

A consulter : les Chroniques d’Alfred Eibel sur le site de sa revue en ligne.

Parution du « Traité de Musique » de Maxence Caron : « Portrait de l’Artiste en Glenn Gould »

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Maxence Caron, Portrait de l’Artiste en Glenn Gould – Tractatus de Musica, postface de Romain Debluë, Ed. P.-G. de Roux, 2014.

« Voici « l’art de la fugue » par Maxence Caron, un récit en forme de fugue précisément. Qui fait surgir, de la nuit du monde, les voix les plus intimes et les plus contradictoires, puis les entraîne à parler toutes ensemble sans que jamais la conversation s’interrompe… Et pour cause, n’est pas le mystère d’une présence plus haute qu’elle appelle et interroge à l’infini ? Fort de cet enseignement, tiré de la musique de Bach, Glenn Gould (1932-1982) ne cessa de fuir toute sa vie. Sa fugue la plus célèbre se produisit à trente-deux ans. Quand, au faîte de sa gloire, il décida, en parfait anti-Faust, de claquer la porte des salles de concert pour la solitude de son studio d’enregistrement. Car le bruit des applaudissements l’empêchait désormais de percevoir le souffle créateur traversant l’oeuvre qu’il servait. Face à la technologie, Gould sut aussi être l’anti-apprenti sorcier, le « chasseur spirituel » qui, hostile à toute tentation de clef-en-main et d’illusion de puissance, élevait le cœur et l’âme au secret d’une écoute supérieure. Dans le triptyque poursuivant l’histoire de la fugue, l’on retrouvera, sous le regarde de Glenn Gould tour à tour musicien, compositeur et écrivain, le paradis de Bach, l’enfer de Mozart et le combat héroïque, salvateur, de Beethoven.

Philosophe, musicien, poète, romancier, spécialiste de Bach et pianiste précoce qui fut premier prix de Conservatoire à 14 ans, Maxence Caron est à 37 ans l’auteur d’une vingtaine d’œuvres parmi les plus originales et déroutantes de notre époque. »

Lire l’argumentaire sur le site des Editions Pierre-Guillaume de Roux

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2è Prélude et Fugue du « Clavier bien tempéré » : exergue du « Contrepoint de Hegel »

Maxence Caron joue les Prélude & Fugue en do mineur du Clavier bien tempéré (Livre II, BWV 870-871) :

La page d’exergue du Contrepoint de Hegel (on l’entend ici à 2 mn et 15 s) :

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Parution chez Vrin : « Le Contrepoint de Hegel », de Maxence Caron

« Je ne m’intéresse pas ici à l’histoire d’une pensée mais à son inconscient musical. Il s’agit de faire apparaître le jeu de résonance musicale au sein duquel l’écriture d’une pensée a trouvé son espace. Cette neuve façon de regarder penser est une lecture contrapunctique. Le contrepoint est l’art suprême, la plus haute syntaxe mentale : vérité valable pour le romancier, le poète, pour le musicien bien sûr, elle le sera désormais aux yeux de qui entend penser.
Le contrepoint est rupture avec les voies familières, car il n’est pas discursif : il est l’art de l’entremêlement des registres, la connaissance de leur liberté et de leur simultanéité, il est l’art de résonner. Les réverbérations offertes par les structures de l’espace musical ouvrent le cœur des doctrines philosophiques d’une façon jusques alors ignorée.
La pensée de Hegel, présentée comme un « cercle de cercles », doit être conçue plus profondément comme un contrepoint de contrepoints. Et au sein de cette fugue hégélienne, pas une ligne dont le sujet ne soit la mélodie tissée pour faire face à la déchirure hölderlinienne.
Ce livre écoute la pensée de Hegel se développer comme une fugue, dont, au sein de la structure de contrepoint qui l’anime, le thème récurrent est composé par la parole de Hölderlin : à chaque développement de l’édifice contrapunctique hégélien, les mots du poète viennent hanter chaque pièce du palais. Car Hölderlin est l’angoisse de Hegel. »

M. C.

Directeur de collection aux Éditions du Cerf, membre du Comité de lecture de la collection Bouquins, Maxence Caron est auteur d’une vingtaine d’œuvres.

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Voir le site des Editions Vrin