Les Oeuvres complètes de Corneille dans les « Classiques favoris »

PARUTION

Corneille, Oeuvres complètes

Précédées de Vie et vocation de Pierre Corneille par Romain Debluë

Présentation et notes d’André Stegmann, avec chronologie, index nominum, glossaire des vers célèbres, et le Corneille de Fontenelle, Les Belles Lettres, 2025, grand format relié, 1204 pages

« S’il vivait, je le ferais prince », disait Napoléon de Corneille (1606-1684) que, de son côté, La Bruyère avait déjà fait roi, « et un grand roi » ! Ces mouvements d’un enthousiasme aussi intarissable que leur nombre est incalculable, permettent de mieux comprendre que l’auteur du Cid et de Cinna, de l’Illusion comique et de Suréna, n’est pas seulement un grand écrivain : c’est un géant. Il est de la race des Cicéron, Virgile, saint Augustin, Dante et Shakespeare. 
Jusqu’au début de ce siècle, la France le lisait et le savait par cœur. Mais à mesure que fut établi un environnement de passions qui regardent la grandeur comme une injure, les commissaires des impulsions collectives voulurent déclasser Corneille : sauf par bribes, ou réadaptées, ses œuvres sont donc inaccessibles. En une génération le plus puissant des auteurs classiques est ainsi devenu un poète maudit. Et voici qu’avant-gardiste et révolutionnaire, le classicisme explosif du « vieux Corneille » apparaît tel un péril pour la paix civile.
Dans une langue miraculeuse, la gloire cornélienne est celle d’un théâtre qui réinvente toutes les formes du drame. Elle est aussi celle d’une pensée, que disent ses discours, ses lettres et son abondante œuvre poétique. Elle est enfin celle de son opus ultimum, lorsque se détournant de la scène, le grand homme réécrivit en vers les Psaumes et les offices du Bréviaire romain. Cet ensemble éclaire de cohérence le sens de chaque ouvrage : si les héroïques figures créées par l’auteur disposent ici des montagnes que la foi déplace, elles traversent à pieds secs l’abîme de faiblesses que seul surmonte le regard fixé sur les traces du Logos. La gloire de l’affirmation cornélienne expose le labyrinthe des déficiences humaines et n’y consent pas. Cette littérature éclatante s’appuie sur la rationalité comme un don divin fait à l’homme au-dessus de soi. Goethe s’en souviendra pour qui « la voix de Corneille porte si loin qu’elle reçoit et forge ce dont l’âme est héroïque ». Corneille lance un défi aux époques où les hommes se haïssent assez pour redouter la force de l’appel à l’humanisme intégral. 

À moins de quelque édition spécialisée en plusieurs volumes très onéreux, les Œuvres complètes de Corneille étaient introuvables. 400 ans après la venue au monde de sa première pièce (Mélite en 1625), les voici de nouveau accessibles, accompagnées d’un glossaire des vers célèbres, d’un index des personnages et d’un index nominum. L’ensemble est précédé d’un essai de Romain Debluë, qui constitue le premier texte d’envergure sur Corneille depuis Marc Fumaroli. 

« Maxence Caron, l’Architecte du Verbe », par Thibaut Matrat

Dans Service Littéraire, n° 195, septembre 2025

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Parution : Adam Smith dans les « Classiques favoris »

En librairie le 5 septembre 2025

Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la Richesse des nations, traduction de Germain Garnier entièrement revue.
Avec les commentaires de David Buchanan, Germain Garnier, John R. McCulloch, Robert Malthus, James Mill, David Ricardo, Jean de Sismondi et les notes inédites de Jean-Baptiste Say.
Notice biographique et éclaircissements historiques par Adolphe Blanqui, de l’Institut.
Broché, 1328 pages, Les Belles Lettres, 2025

Peu d’ouvrages ont eu une influence aussi immédiate et profonde que les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Chaque événement de notre époque ne cesse de retentir comme l’une de ses prophéties ou de ses variations. Quand Adam Smith (1723-1790) le fait paraître en 1776, il a peu publié et il est au soir de sa vie. Le livre se présente comme une enquête et un roman d’initiation où se trouve peint le tableau de l’activité humaine. Chaque contradiction de cette condition collective est débusquée puis analysée. À l’aide de concepts inédits, l’auteur établit dès lors une philosophie générale des lois naturelles sous-jacentes à tout désordre, car il faut en laisser s’exprimer les forces pour qu’au cœur de la discorde l’équilibre se dessine en un ordre libre et spontané. 

Se découvre ainsi le système possible d’une politique venue du centre caché de la nature de toutes choses, une politique absolue et absolument souple, qui dissout l’agressive vanité des relations communes dans l’autorégulation vertueuse d’un dialogue universel. Il s’agit de rendre à soi-même la sympathie inhérente à cette économie naturelle, afin qu’elle se répande parmi les hommes et fasse prospérer leur travail parmi les nations. Adam Smith invente ici d’un même trait l’économie politique, la géopolitique et la philosophie de l’histoire. 

Ce somptueux livre Sur la richesse des nations est l’œuvre d’un esprit puissamment fondateur, à telle enseigne qu’après Adam Smith on ne parlera plus jamais de ce dont il a parlé sans d’abord parler de lui. Depuis deux siècles et demi, la hauteur de cette œuvre ne cesse de raconter en détail le fonctionnement, les erreurs et le destin des civilisations. Bien au-delà de Marx, Adam Smith est l’auteur qui, dans le silence, a le plus influencé et qui influence le plus ceux dont les décisions pèsent sur la marche du monde. 

Les traductions complètes de ce grand livre sont peu nombreuses. Et en dépit de leur inélégance les récentes traductions ne gagnent guère en précision. La traduction la plus belle et la plus fidèle est celle de Germain Garnier soigneusement révisée par Adolphe Blanqui. Introduite et annotée par les grands auteurs de la pensée économique moderne (Blanqui, McCulloch, Mill, Malthus, Ricardo, Sismondi, Say…), voici en son intégralité la meilleure édition de ce chef-d’œuvre, car elle était introuvable.

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Parution du « Chant cathédral »

Parution de la 1e partie du Chant cathédral (chants 1 à 40).
La 2e partie (les chants 41 à 100) a été achevée récemment par Maxence Caron et paraîtra dans les prochains mois.

Le Chant cathédral : Poëme épique et perpétuel, (chants 1 à 40), Les Belles Lettres, 2025, 1120 pages

NB : certains libraires en ligne indiquent 650 p., c’est une erreur : pour les détails s’en référer toujours au site de l’éditeur : 1120 p.

« Je dis le chant nouveau dont la tonalité jusqu’alors introuvable a dépassé le ventre des avenirs humainement déductibles. »

Maxence

Présentation de l’éditeur :

« Avec ses 40 000 versets, Le Chant cathédral est le plus long poème jamais écrit par un homme seul. Dans cette épopée qui est à la fois celle de l’humanité, du sacré, de l’histoire, de l’Ultime, et du langage creusant en un style illimité la profondeur de son propre mystère, Maxence Caron déploie une œuvre d’art totale. Les quarante premiers chants qui composent ce volume sont répartis en neuf livres (parmi lesquels le Chant de solitude, la Cantate anadyomène, les Symphonies de psaumes…) et font sentir à toutes nos facultés la présence inouïe d’un monde que le bruit du siècle jusqu’alors recouvrait.

Après avoir voulu donner ses fondations définitives à la philosophie en une tétralogie monumentale (publiée aux Belles Lettres entre 2018 et 2023), l’auteur peut laisser le Poëme s’épanouir comme la vocation qui se joint à la source même de la pensée. Ne requérant du lecteur aucune initiation, la poésie occupe la plus haute place : si la Philosophie dévoile en effet le lieu de la Vérité, le Poëme, lui, habite ce lieu. Lorsque la philosophie découvre l’emplacement du sanctuaire, la poésie y entre pour y vivre. Le Chant cathédral vit ainsi dans cet excès de grâce que sa parole trouve, ce pourquoi ce grand Poëme qui se fond en un souffle qu’on n’avait plus entendu depuis les origines, est affaire de « trouveurs » – ou, disait-on jadis, de « trouvères ». Par la force de son style et sa richesse instauratrice, par cette puissance verbale en incessant renouvellement, Le Chant cathédral est œuvre de l’ivresse dont vit, par-delà le temps, la vocation d’un « trouveur » consacré.

D’une vertigineuse créativité, Maxence Caron est l’un des grands stylistes de notre langue. Tout à la fois lyrique et colérique, affectueux et pamphlétaire, prévenant et altier, il sait aussi bien manier l’ironie et le sublime : sachant jouer de tous les registres émotionnels et tenant en main tous les instruments de musique, il invente ici une poésie orchestraleque l’on n’a jamais vue. Une renaissance littéraire s’y accomplit, dans la victoire du verbe. »

Sur le site des Belles Lettres

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Bloc-notes de Maxence Caron, mars 2025

Actualité littéraire? Certes, et parlons franc. Quoi de neuf ? Nonnos. Oui : Nonnos de Panopolis. Personne ne l’a lu puisqu’il faut perdre son temps à tripoter dans ces sortes d’argiles aux pieds bruyants et qui ont nom Zola, Gide ou Jules Verne. Toutefois, quelques pauvres gens d’exécrable goût et d’intelligence incertaine, ont lu Nonnos et ce ne sont à peu près que tous les auteurs de la Renaissance, puis leurs successeurs. Ils le placent en toute simplicité au sommet de la littérature universelle. Son influence est antérieurement visible sur les œuvres maîtresses d’un Boccace ; et elle devient nettement dominante chez Milton : encore des noms dont nous savons qu’ils ne pèsent rien au regard de ce dont il est conseillé de conseiller la lecture au chaland !

Ainsi, au Ve siècle, refermant l’Antiquité ou inaugurant le Moyen Âge, Nonnos se fait auteur de deux poèmes magistraux. Le premier, les Dionysiaques, en une langue dûment ivre d’inventivité, raconte la vie même de Dionysos, dont le poète fait un sauveur d’humanité en péril. Et le second, tout juste paru aux Belles Lettres, est la Paraphrase de l’Évangile selon Jean. À tout esprit pesant, ce grand poème catholique semble d’emblée prendre l’inverse direction des Dionysiaques, quand il apporte au contraire la ressource de leur langue grisante à l’immense ivresse préalable dont l’inouï de la parole biblique bouleverse les grammaires antiques. S’il est vrai que la langue, le logos, est notre seule patrie, voici ce qu’en écrit Nonnos en relisant le Prologue de saint Jean : « Intemporel, inaccessible, à l’ineffable commencement était le Verbe (Logos) ; et le Verbe lumière de Dieu né de lui-même, lumière née de la lumière, du Père était indivisible, siégeant avec lui sur un trône qui n’a pas de fin ; et engendré d’en haut le Verbe était Dieu. » L’auteur chrétien de cette majestueuse paraphrase peut-il être également l’homme des Dionysiaques ? En vérité, on ne peut en être l’auteur qu’à cette condition ! Et telle question n’agite que les culs mal bénis à qui paraissent pertinents les lacis dont les labyrinthes conduisent à cette conclusion qu’excréta le quaker Nietzsche avant de sombrer officiellement dans la folie : « Dionysos contre le Crucifié. » Dionysos contre le Christ ? Eh bien non, encore rathée. Ce seront les Dionysiaques avec saint Jean, l’unité catholique et hiérarchisée dont Hölderlin fit un grand hymne, Patmos, et dont les premiers mots affirment que « Dieu est proche et difficile à saisir ». La grandeur s’est construite avec Nonnos et sans Nietzsche. Elle ne fut cachée à personne – sauf aujourd’hui à tous, puisque abjurant la vérité chrétienne et méprisant les langues latine, hébraïque et grecque dont nous sommes, l’on nous somme de lire Aragon, Gide et Jules Verne qui jamais rien ne trouvèrent, pas même le centre de la terre… 

C’est donc Nonnos ou pas de civilisation. Et il faudrait que cessassent à présent de pleurer sur la mort de l’humanité ceux qui refusent de faire les leurs, car du fond fièrement proféré de leur nullité lectorale, ils mettent exactement en œuvre l’extinction qu’ils déplorent. Tel individu qui, tout en excitant le détriment des fondations, gémit ainsi sur sa petite France perdue dans la prairie ou sur le grand Occident occis, est un tartuffe que pétrit une fort dégoûtante farine. Et combien pourtant sont-ils ceux qui prodiguent leurs conseils alphabétiques en s’abîmant activement dans le néant littéraire… S’il n’est qu’une patrie, le Logos, que penser de la santé rationnelle de ceux qui prêchent de littérature en ignorant délibérément la catholicité de la pensée, en délaissant la communion pontificale, en ignorant la flamboyante relation que portent à leur objet les mots hébreux, en fuyant la force syntaxique des vers latins et la beauté liturgique des paroles grecques ? La conséquence en est connue : elle est notre époque. Voici, pour finir, le symbole du remède, et gageons qu’à ces insensés il semblera aussi dérisoire que leur souvenir l’est à l’histoire : le jour où il sera inutile d’apprendre à quiconque l’existence et l’unité des deux grands poèmes de Nonnos de Panopolis, c’est que le changement du monde aura retrouvé face. 

Maxence Caron

Service Littéraire, n° 190, mars 2025

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Voir sur le site de l’éditeur : Nonnos de Panopolis, Paraphrase de l’Evangile de saint Jean, Belles Lettres, 2025