Bloc-notes de Maxence Caron : « Des passes bien propres »

Service Littéraire, numéro 151

Bloc-notes de Maxence Caron (septembre 2021) dans le Service Littéraire :

Des passes bien propres

Josef Engelhart, Loge im Sofiensaal

Des passes bien propres

 

Lorsque j’ai entendu parler de passe sanitaire, je me suis beaucoup réjoui. Et il y avait de quoi s’éjouir que les passes devinssent sanitaires ; s’ébaudir à l’idée qu’en pleine clitocratie l’État non seulement réouvrît les bordels, mais s’impliquât en outre dans l’hygiène et la qualité des établissements. Des passes sanitaires ! Fini la loi d’avril 46, dont Audiard disait que nous lui devions mai 68. Des passes propres, et bien hygiéniques : quelle émouvante et soudaine générosité de nos oligarques ministrants. Il est beau de voir ainsi la gent politique partager avec le peuple ses secrets privilèges de Polichinelle : lui offrir de sanitaires passes, lancer un programme national, insister vigoureusement pour que tout le monde par passes passe. Car il est impératif que tous aient leur tranche. Ainsi est-ce, en plein été, l’authentique fête de fraternité. C’est « l’immunité de groupe », qu’ils disent, et « l’immunité de groupe » c’est quand tout le monde a servi son pays par les passes, quand tout le monde a fait son service sanitaire : « l’immunité de groupe » c’est quand tout le monde, ayant fait ses passes, aura fait ses classes. « Après vous… », « dépêchez-vous ! », « je n’en ferai rien », « mais si mais si ! » : comme c’est touchant…

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Mais il semble que cette affaire de passe soit une tout autre histoire. J’ai entendu dire de drôles de choses. Dans le paradis de la cité des hommes où l’on boit, bouffe et se besogne, la pénétration n’est possible qu’à proportion de préservatif. C’est le principe de la précaution de principe : intelligent. Aussi, pour conserver sa citoyenneté dans un lupanar qu’habitent 70 millions de personnes, l’individu n’a droit à sa pénétration qu’au prorata de la préservativité des passes. J’ai même entendu dire que tout serait préalablement une question de lubrification vaccinale. C’est la condition pour entrer : sans vaccin pas de bousin, sans lubrification pas de pénétration. Car, voyez-vous, il y a des conditions à la circulation dans le bocson. Le petit président glabre a ainsi décrété les choses, et le ministre de la maladie a applaudi. Certains rechignent et ils sont donc d’extrême-droite : des sortes de fascistes préhistoriques qui voudraient pénétrer dans le bocson sans le certificat de lubrification. Rien que des arriérés teigneux, des « antibocs » que guette l’imminence d’une déchéance de nationalité. D’après le monumental ministre de la virose Olivan Véreux, il faut leur couper les vivres. Quant à « l’Élyséen », quant au président du pacte du projet démocratique, qui est un sage nourri aux meilleures sources hellènes, il demeure inflexible sur la lubrification, et il a raison : on ne rigole pas avec la lubrification ! En dépit de tout ce que l’on fait pour eux, ô les scandaleux ! en dépit de la gratuité bordelière de ces passes thérapeutiques, les gens murmurent et maugréent. « Mais pour qui sont ces masses qui sifflent sur nos passes ! » s’exclame un député de la minoritaire majorité. Il n’empêche : les gens partent en campagne quand même l’on s’occupe si bien de dorloter leur vie. Pourquoi cette ingratitude du peuple envers ses bienfaiteurs ? C’est à n’y rien comprendre. Et il n’est pas impossible que la situation dégénère… Enfin, nulle inquiétude, cela pourrait être pire : nous pourrions être gouvernés par des imbéciles.

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Me tenant loin du déversoir à simulacres à quoi s’emploie l’inculture inouïe du journalisme, je n’avais jamais vu ni entendu le covidien « président du conseil scientifique » : un hasard m’en met l’infatuée guignolade sous les yeux. C’est donc ce monceau d’ignorance quiète, c’est ce petit inquisiteur vicinal avec sa tête à brouter des strings, qui avec sa bande d’illuminés, a mis un masque sur chaque visage et converti la nation à la religion de la burqa prophylactique… Je ne sais que penser d’un peuple qui dit oui à ce genre de gourou fripé qu’on ne serait pas étonné de voir à la tête d’un camp de nudistes.

Maxence Caron

Bloc-notes : « Le suave et rafraîchissant bourgeois »

Service Littéraire, numéro 150

Bloc-Notes de Maxence Caron (juillet-août 2021) dans le Service Littéraire :

Le suave et rafraîchissant bourgeois

membres-du-jury-goncourt-en-2008

Le suave et rafraîchissant bourgeois

 

De l’USA et de la France. Que penser d’un pays où l’on vous apprend à écrire un roman… Mais que penser d’un pays où l’on n’en sait rien…

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Quand une femme n’a rien à dire elle parle des femmes. Cela fait beaucoup de livres, et jamais d’œuvres.

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Pourquoi tant de mauvais livres ? Pourquoi tant d’ouvrages qui ne servent absolument à rien ? Un mauvais livre n’est autre qu’une mauvaise action continuée. Un mauvais livre est la prolongation de quelque crime que plébiscite la bourgeoise emporcination des consciences. Le majoritaire surgeon de bourgeois, arrivé de sa planète en sucre, demande ce crime pour y dicter son style et en fabriquer une morale. À qui, plumitif, veut plaire, il est impératif de ne pas importuner la masse de cette imbécillité. Le oui bourgeois n’est jamais oui, son non n’est jamais non : le bourgeois est tiède comme une vanilleuse bouillie à nourrissons. Il n’habite pas la pensée, il n’a pas de pensée : restent uniquement l’ordinaire et la concalculation de son scepticisme moyen, ambitieux et crispé, souriant et craintif. Et ce coassement en lui de la bête immonde, le bourgeois le prend pour sa méthode infaillible, pour une vocalise avant l’aria. Une fois devenu un principe littéraire, ce scepticisme est en effet ce dont le Français croit qu’il n’est possiblement un Français que s’il en fait sa vertu. Cette vertu cependant ne l’est à ses yeux que depuis le stupide XVIIIe siècle et n’est qu’un singe des protestantes occlusions de l’Angleterre intestine ; elle est la « clarté », le « classicisme » et « l’épure » dressés contre le mystère, l’inventivité, le baroque et la surabondance. On la connaît la lugubre ritournelle stylistique ! C’est ce que devient la littérature entre les mains du tépide et malfaisant bourgeois. On en a plein les recommandations littéraires, qui pensent (c’est-à-dire ignorent) comme des bourgeois, et rêvent d’être prises pour « artistiques ». Épure, classicisme, etc. : Rabelais, pour sûr et comme disait Céline, on lui a bien fait rater son coup ! En un siècle où nul ne sait plus écrire le moindre mot qui sonne, où tous tremblent devant l’ambition qu’une œuvre exige de son auteur ou de son lecteur, et tandis que Valéry, Proust, Joyce et Mallarmé font les couvertures des journaux de ceux qui refuseraient de les éditer, le rabâchage en faveur du saint classicisme épuré et la promotion du doctorat en tiède clarté, qui ne sont que le soupir de soulagement poussé par l’incompétence gigantale et majoritaire du gueux, n’ont guère de difficultés à constituer le discours de la méthode la plus stérile qu’on ait vue depuis les rois fainéants. Ainsi communiquent les sémaphores de la fange, et ils appellent cela « littérature ». Il s’agit de la leur mais elle est devenue la seule. Pourquoi parler de nouvel ordre mondial quand c’est le sempiternel ordre bourgeois. Ô le suave et rafraîchissant bourgeois… Toujours lui, métamorphosé selon l’espace et le temps, et toujours là, répétitif, autoprolongé, réincarné. Comment parvient-il à amasser de la sorte la durée et à ne jamais rien apprendre ? Que faudrait-il pour que cessât de l’écrire celui qui ne se prononce qu’en haïssant la parole ? Mystère de cette iniquité. Le bourgeois se réincarne en blatte ou en phacochère, mais le phacochère est plumitif et la blatte autrice… : aussi, le cercle se referme d’une métempsycose qui, de la base à la fosse en passant par le marécage, soutient chacun des enfants de sa chaîne de production. Et dans le troupeau mondial de ce bestiaire censeur, les gardes sont bien vachers.

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Du bruit que fait la populace, disait un sage, il n’est pas plus raisonnable d’écouter celui qui sort par en haut que celui qui sort par le bas.

Maxence Caron

Bloc-notes : « La virose et ses nouveaux moines »

Service Littéraire, numéro 149

Bloc-Notes de Maxence Caron (juin 2021) dans le Service Littéraire : La virose et ses nouveaux moines

Lundens, Gerrit, 1622-after 1683; Interior with a Surgeon Operating on a Man's Back

La virose et ses nouveaux moines

Quand meurt un homme d’excellence, et un homme d’excellence meurt toujours prématurément, il faut voir là un châtiment : tous sont en effet privés de lui, et sans les meilleurs la situation empire. Je pense ici à notre ami défunt, Pierre-Guillaume de Roux.

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Étonnante masse humaine, menée par les vicissitudes de ses matières… Sur la rumeur d’un virus qu’il n’a jamais vu l’homme craint pour son existence ; mais pour l’éternité de sa vie il ne craint pas Dieu, dont tous les grands hommes confessèrent la gloire. Ô la piteuse piétaille de ces gens qui génufléchissent devant un invisible microbe dont ils acceptent sans preuve la réalité, et qu’ils laissent pendant des années infliger à leur vie d’impensables mortifications – tandis que pour aimer Dieu aucune preuve ne leur suffit, aucune contrainte ne leur est acceptable… Comme tous ces esprits forts sont mémorables, aujourd’hui aplatis devant une invisible idole au nez qui coule, avec moins de preuves de sa substance qu’ils n’en ont pour connaître l’Absolu, dont ne dépendent pas quelques mois d’existence supplémentaires mais le Salut et l’Éternité ! Rien n’accuse davantage que ces nouveaux moines l’extrême faiblesse d’esprit. Face à cette endémique absurdité comportementale, il serait décent que se taisent tous ceux qui nous repassent leur rogomme ritournelle sur l’absurdité de l’existence. Est-ce cécité volontaire de calomnier l’existence et de ne pas voir qu’entre elle et pareil préjugé, ce n’est pas l’existence qui est absurde mais l’argument ? Lorsqu’en une même niaiserie dans la relation à l’invisible, le refus de Celui qui est et dont dépend le sens de toute affirmation, côtoie la préférence de se choisir un virus pour idole ascétique, alors de l’existence de Dieu une preuve par l’absurde paraît en tout son éclat. Rien ne dépasse en absurdité les raisonnements que dicte l’erratisme païen des superstitions sceptiques.

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Naturellement imbécile, la condition humaine est naturellement dubitative, et l’on ne compte plus le nombre de sots qui se disent philosophiquement sceptiques : ils rejettent ce qui est le plus universel afin, bien qu’en meutes, de passer pour des hommes d’esprit et des individualités fortes. Ce tour d’imagination sur lequel fait fond le scepticisme, n’est qu’une complaisance à s’enliser dans la contradiction de parler par dogme après avoir déclaré incertaines toutes choses : voilà certes une manière commode de sélectionner à l’avance ses conclusions. Ce dogmatisme de l’incertitude est fait pour ouvrir un droit sous-ventru à la jouissance sans limites : on ne pense plus, on se vautre puis, moutonnier rejeton de la porque et du bouc, l’on court après les plaisirs exigus en affectant un air de désespoir inspiré. Ci-gît debout éventé le scepticisme moderne ! Il est l’opinion absolument automatique, vous la trouverez chez tous. Il est ce qui unit parfaitement le bavardage de l’intellectuel et le discours des concierges, qu’on ne distingue plus depuis longtemps. Il est le prétexte des accroupis à croupir, et il n’est parole de rien. L’homme sceptique : plaisant flatulacier qu’une bonne bière borne…

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Or voici que les hommes ont inventé une civilisation entièrement fondée sur le doute et qu’ils font croître avec la foi d’un charbonnier perverti. Voici dans l’institution sceptique et la personnalité laïque la continuelle célébration des demandes pansues. Chacun se fait de l’errance une idole et vit avec un souvenir du bonheur qu’il reporte sur la tripe. Dans la déchirure fixe où cette chute compose, le paradoxe paraît lorsque, confronté aux conséquences de ses décisions, le sceptique contemporain gémit de voir effondrées les valeurs traditionnelles : navré de conséquences dont il incarne les causes, il voudrait oublier qu’il est lui-même le premier ennemi des dieux qu’il pleure. L’obscur ennemi qui lui ronge le cœur croît et se fortifie du sang que le scepticisme contemporain ne perd pas !

Maxence Caron

Bloc-notes : « L’avenir de rien »

Service Littéraire, numéro 148

Bloc-Notes de Maxence Caron (mai 2021) dans le Service Littéraire : L’avenir de rien

NB : si l’on veut lire le Bloc-Notes d’avril, il faut acheter le numéro d’avril.

L’avenir de rien

À l’exception du leur, nos chefs n’ont pas assez de pays à qui demander pardon. Aux pieds de nations à qui ils n’ont rien fait ils viennent à résipiscence, et dont les habitants les ignorent. Mais pour le désastre de leurs récidives en calamités jamais ils ne songeassent à pénitence envers leur propre peuple dont ils sont les suppliciateurs si vétilleux. Cette impénitence est un outrage de l’État envers son souverain. Ce sont provocation et désordre de celui-là même qui est choisi par le peuple non pour l’agiter mais pour garder sa paix. La componction exotique que nourrit l’incontrition nazionale : telle est la prévarication.

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Il est difficile de savoir comment pense une époque à la fois asexuée et pansexuelle. D’inquiétantes attitudes collectives accompagnent ainsi la dénonciation de nouveaux crimes dont les « ministres aux égalités » peinent à établir la définition. Je fus surpris d’entendre certaines ribambelles réclamer là non seulement la suppression de la prescription des faits mais, dans la foulée, parler de réveiller la peine de mort. H.G. Wells publia en 1909 son roman Ann Veronica, dont Gallimard vient de publier la première traduction intégrale dans un beau volume de sa collection Quarto. On y croit trouver quelque histoire d’amour mais en tout sujet le génie analytique et vaticinateur de l’auteur de la Guerre des mondes écrit cette science-fiction qui, avec un siècle d’avance, parle mieux de nous que nous-mêmes : dire l’amour c’est donc y prédire nos états affectifs. Aussi, dans le chapitre sur les suffragettes : « Il n’y a qu’une façon de sortir de tout cela, dit Ann Veronica se rongeant les ongles. Je croyais être simplement en révolte contre mon père, mais c’est de tout l’ordre sacré des choses qu’il s’agit. Et son esprit se déchaîna en une colère sauvage à la pensée des conditions imposées de nos jours à l’existence féminine. » Ce « certain ordre sacré des choses » à qui en veulent, quel que soit son contenu, les Ann Veronica, a devoir de faire revenir cette peine capitale que réclament leurs inassouvissements. Si le meurtre d’État est heureusement aboli, pour combien de temps. Quel paradoxe de réintroduire un tel thème lorsque tous les côtés sexués de tels dossiers judiciaires sont rendus si nébuleux par leur matière psychopathologique, dont livrée à une herméneutique sans fin, l’on ne saura pas si celle-ci s’est orientée vers l’exploration de l’adéquat abîme d’âme ! Faut-il avoir régressé pour parler peine de mort… C’est mettre ses incertitudes à haut prix que de voir en elles, inéluctables, de quoi assassiner un homme par voie de loi et sur le fond de gouffres injudiciarisables. Dans le doute universel dont est frappée la justice humaine, je tiens pour seul équitable et certain qu’il est moins tragique de laisser vivre un coupable que de hasarder l’exécution d’un innocent. Inacceptable en soi la peine capitale, dont l’envie revient mais chez les « progressistes », l’est à plus forte raison pour répondre, dans l’inhérente équivoque, à la colère de quiconque. « Tuer pour empêcher qu’il n’y ait des méchants c’est en faire deux au lieu d’un » (Pascal).

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« La femme est l’avenir de l’art », ai-je aperçu il y a quelques jours comme slogan de je ne sais quoi d’officiel et de « culturel ». C’est intéressant. Je note toutefois ceci : lors en un domaine qu’on n’est guère le passé de quoi que ce soit, on n’est certainement l’avenir de rien.

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Si pendant la dernière guerre mondiale il y avait eu ce fléau maniaque que constituent les hypnoses de l’information continue, et au totalitarisme de quoi seul le plus dément des nationaux-socialistes avait d’abord dû rêver, il y eût eu plus de victimes par neurasthénie que ne compterait de morts la réunion des boucheries militaires. Perverse technique de destruction et semblable à celle qui voit une armée introduire un virus chez l’ennemi afin de démolir par contagion, ces hypnoses permettent la répansion et le contrôle des épidémies de fantômes et de simulacres dans la morbidité des âmes. Les contemporains planétaires sont évidemment trop intelligents pour s’être laissé prendre à cette guerre mondiale-là…

Maxence Caron

Bloc-Notes : « La démocratie fait-elle bon usage de soi ? »

Service Littéraire, numéro 146

Bloc-Notes de Maxence Caron (mars 2021) dans le Service Littéraire : La démocratie fait-elle bon usage de soi ?

La démocratie fait-elle bon usage de soi ?

« Définissez la politique. — Certes ! La politique est cette activité qui, par l’expression légale des instincts les plus bas, rend systématiquement plus probable le pire. Vous votiez ? J’en suis fort aise. Eh bien ! expiez maintenant. » C’est ainsi toujours de soi que souffre, à travers l’exercice d’un pouvoir qu’elle élit et laisse faire, la nonchalance stupéfaite et bestiale du vulgaire.

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Le normalien est cette race à part : la race du tout-venant. Toujours tatillon, jamais génial, le normalien bredouille la forme de conscience qu’attend de soi la majorité. Normalien n’est pas un titre, c’est un état d’esprit. C’est parce qu’il y a des normaliens, soit de nombreux esprits femelles, que l’on réimprime certains auteurs dénués de tout génie, mais dont les manies à ausculter pour eux-mêmes, en un narcissisme sans fin, les facettes de leurs impuissances, ont produit en creux quelques remarques pertinentes sur l’être de l’art, qu’ils n’ont jamais regardé que de loin. En ce sens, et de même que chez un méticuleux normalien, on apprend de ces choses-là en regardant Michel Leiris scruter ce dont il est incapable : comme l’agrégé que sécrète la rue d’Ulm, c’est là l’homme de la rue qui, avec un air pincé de collectionneur avaricieux, parle de ce qui le dépasse et croit pouvoir rêver d’en participer un peu. L’on croise ainsi quelques sentences instructives dans le Journal de Leiris récemment réimprimé chez Gallimard dans la collection Quarto, et notamment cette belle et juste pensée sur la différence nette entre les poètes et les auteurs de diaire, qu’il s’applique à lui-même : « Me voilà devenu chroniqueur, au lieu d’être poète : écriture d’après coup : écriture qui relate, transcrit, et non écriture qui produit. » Il est rare, en effet, qu’un poète ait écrit un journal. Et, si ce que publia Leiris ne vaut pas un rotin, l’on ne perdra toutefois pas son temps à ne négliger pas cette chose idiosyncrasique qu’il ne publia pas.

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La Vérité est Vérité d’être antécédente et première. Elle est Vérité de nous précéder en tout et jusqu’à l’impulsion par laquelle nous est suscité le désir de la chercher, de la rencontrer, d’aller vers elle. L’alogie capitale, et qui est un radical contre-sens d’iniquité, le péché d’irrationalité originelle, la faute automatique de notre esprit, sa plus grave erreur, partout répandue et qui fait un déluge de crachats typhonnant entre les bouches humaines amassées autour du vide de leur flux de caquet, cette alogie consiste à transformer notre vacuité en un tribunal osant se mêler de juger la précédence initiale et d’évaluer Dieu. À chaque instant de la vie le drame de l’homme se joue dans la rationalité du type de relation qu’il consent devoir à la Vérité : il la place avant ou après lui. Aucune morale ne compte ni ne vient avant cette réalité. Et l’homme ne sait rien s’il ne connaît ceci : ce n’est pas à nous à établir la part que nous devons d’obéissance à l’Absolu. Le cathédrant c’est l’autorité de la raison, et celle-ci n’ignore que volontairement combien la volonté de la Vérité a son rang au-dessus des humaines contestations.

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La démocratie pléthomane fabrique de l’imbécile. Et la peste dont ces imbéciles sont malades c’est la crédulité de savoir sans penser. Ils ont beau ne jamais chercher pour leur cerveau que la première occasion de s’anonchalir et s’avachir, cependant, ignorants et grégaires, ils ont l’opinion de savoir. D’où ces défilés de bavardages animés par d’abasourdissants balochards, dont ne point s’extraire des débats est perdre son âme. La sagesse, c’est de se rasseoir en soi, mais les natures triviales sont garrotées par la certitude que se montrer est une récompense immortelle. Il faudrait que me vînt compassion du vulgaire abusé de ses folies, mais comment ? Il veut si délibérément ses insanités et avec un tel cœur : il les préfère ! Et c’est en toute conscience qu’au regard de l’océan de vive essence qui lui est ouvert, il va à la souille et plonge à la cloaca. Vasarde, la démocratie commence et finit dans l’exercice de gueule.

Maxence Caron