La grande admiration de Napoléon pour Bossuet

napoleon

« Bossuet est la plus grande parole de l’univers chrétien et le meilleur conseiller des princes. Ce que j’ai appris de lui depuis mes difficultés avec Rome me le fait encore plus grand. Je l’avais cru d’abord un poète, un Homère biblique. On nous instruisait très mal à Brienne : j’avais quinze ans ; on ne me mettait dans les mains que d’insipides extraits de Domairon.

« Des extraits ! méthode pitoyable ! La jeunesse a du temps pour lire longuement et de l’imagination pour saisir toutes les grandes choses. Plus tard, je réparai cette lacune en lisant prodigieusement, mais avec peu de choix, au hasard d’une bibliothèque de garnison. Le grand côté de l’histoire ne m’apparaissait pas. À Valence, mon âme dormait encore ; et ce que j’écrivais, car j’écrivais beaucoup, était faible et pâle.

« Le jour où par bonheur je rencontrai Bossuet, où je lus, dans son Discours sur l’histoire universelle, la suite des empires et ce qu’il dit magnifiquement des conquêtes d’Alexandre, et ce qu’il dit de César qui, victorieux à Pharsale, parut en un moment par tout l’univers, il me sembla que le voile du temple se déchirait du haut en bas et que je voyais les dieux marcher. Depuis lors, cette vision ne m’a plus quitté, en Italie, en Égypte, en Syrie, en Allemagne, dans mes journées les plus historiques ; et les pensées de cet homme me revenaient plus éclatantes à l’esprit, à mesure que ma destinée grandissait devant moi. Mais en même temps, et c’est ce que je sens bien aujourd’hui comme le côté pratique du génie fondé sur le bon sens, voyez comme ce pieux évêque, si digne d’être cardinal et qui ne le fut pas, si grand défenseur de l’église contre les dissidents et les incrédules, s’est montré le champion fidèle de la royauté devant l’église. Tout ce que je lis de lui, tout ce que m’en ont dit le bon évêque de Casal et l’évêque de Nantes, me remplissent d’admiration. Si cet homme existait, il serait depuis longtemps archevêque de Paris, et le pape, ce qui vaudrait mieux pour tout le monde, serait encore au Vatican ; car il n’y aurait pas alors dans le monde de chaire pontificale plus élevée que celle de Notre-Dame, et Paris ne pourrait avoir peur de Rome.

« Avec un tel président, je tiendrais un concile de Nicée dans les Gaules. »

Napoléon

On peut lire ce texte dans le volume Bossuet, Élévations sur les mystères, Méditations et autres textes, 1760 p., qui vient de paraître dans la collection « Bouquins » chez R. Laffont.

Parution des Oeuvres de Bossuet chez « Bouquins »

Première édition majeure de Bossuet depuis plus de 80 ans, un fort volume de ses Œuvres est désormais paru dans la collection « Bouquins ». Il inclut de nombreuses oeuvres capitales dont la plupart sont introuvables, notamment les Elévations sur les Mystères, le Carême de Saint-Germain, l’Exposition de la doctrine catholique, les Lettres à Louis XIV, les Sentences pour Mgr le Dauphin, les Méditations sur l’Evangile, et, encore plus rares, les Poésies que Bossuet écrivait pour lui-même.

Publié sous la direction de Maxence Caron, ce volume de 1750 pages est présenté, annoté et préfacé par Renaud Silly o.p.

9782221145005

Présentation de l’éditeur :

« Ses contemporains virent en Bossuet (1627-1704) une figure tout droit sortie des temps héroïques de l’Église, capable de conjuguer action politique, direction spirituelle, développement de la pensée et culture des arts et lettres. Si le XVIIIe siècle put se sentir écrasé par son autorité et sa stature tant morale que spirituelle, le XIXe puisa chez lui une certaine idée de la grandeur française, dont il demeure une des incarnations les plus emblématiques.
Ce volume rassemble des oeuvres majeures, indisponibles depuis le XIXe siècle, de celui qui fut non seulement un grand écrivain, mais aussi un homme de grande influence auprès du pouvoir monarchique. Les Élévations sur les mystères et les Méditations sur l’Évangile manifestent une sensibilité frémissante. Dans ce commentaire de la Bible qui sollicite à chaque page le coeur et l’intelligence, l’érudition est d’autant mieux présente qu’elle reste imperceptible, entièrement coulée dans la maturité d’un vieil homme au sommet de son art.
Le Carême de Saint-Germain témoigne du génie oratoire de Bossuet à travers un cycle complet de sermons prononcés devant la cour de Louis XIV. L’éloquence sacrée y revêt une signification politique évidente. Le souci de rappeler aux rois leurs devoirs se lit encore dans les Lettres à Louis XIV et les Sentences pour Mgr le Dauphin, destinées à Monseigneur dont Bossuet était le précepteur.
L’Exposition de la doctrine catholique illustre la manière originale dont il s’adressa aux protestants, précurseur en cela d’un dialogue religieux fondé sur la connaissance mutuelle. Enfin, les Poésies, composées à la fin de sa vie, laissent apparaître un Bossuet intime, très différent de l’éclat coutumier de sa phrase et de ses concepts. »

Renaud Silly est dominicain et chercheur à l’Ecole biblique et archéologique de Jérusalem.

Bossuet : Panégyrique de sainte Thérèse d’Avila

Anonyme (Portugal), Sainte Thérèse, Vision de la très-sainte Trinité

Prêché le 15 octobre 1657, dans la cathédrale de Metz, en présence de la reine mère, du frère du roi, de ses ministres, etc. En 1657, la Cour alla passer l’automne à Metz, se rapprochant de l’Allemagne dans le but d’exercer sur l’élection de l’empereur une influence favorable à la France.

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Nostra autem conversatio in coelis est.
Notre société est dans les cieux.

Philippiens, III, 20.

Dieu a tant d’amour pour les hommes et sa nature est si libérale, qu’on peut dire qu’il semble qu’il se fasse quelque violence quand il retient pour un temps ses bienfaits, et qu’il les empêche de couler sur nous avec une entière profusion. C’est ce que vous pouvez aisément comprendre, par le texte que j’ai rapporté de l’incomparable Docteur des Gentils. Car encore qu’il ait plu au Père céleste de ne recevoir ses fidèles en son éternel sanctuaire qu’après qu’ils auront fini cette vie, néanmoins il semble qu’il se repente de les avoir remis à un si long terme, puisque le grand Paul nous enseigne qu’il leur ouvre son paradis par avance : et comme s’il ne pouvait arrêter le cours de sa munificence infinie, il laisse quelquefois tomber sur leurs âmes tant de lumières et tant de douceurs, et il les élève de telle sorte par la grâce de son Saint-Esprit, qu’étant encore dans ce corps mortel, ils peuvent dire avec l’Apôtre que « leur demeure est au ciel et leur société avec les anges : » Nostra autem conversatio in cœlis est.

C’est ce que j’espère vous faire paraître en la vie de sainte Thérèse; et c’est, Madame, à ce grand spectacle que l’Eglise invite Votre Majesté. Elle verra une créature qui a vécu sur la terre comme si elle eût été dans le ciel ; et qui étant composée de matière, ne s’est guère moins appliquée à Dieu que ces pures intelligences qui brûlent toujours devant lui par le feu d’une charité éternelle, et chantent perpétuellement ses louanges. Mais avant que de traiter de si grands secrets, allons tous ensemble puiser des lumières dans la source de la vérité ; prions la sainte Vierge de nous y conduire ; et pour apprendre à louer un ange terrestre, joignons-nous avec un ange du ciel. Ave.

Vous avez écouté, mes Frères, ce que nous a dit le divin Apôtre, qu’encore que nous vivions sur la terre dans la compagnie des hommes mortels, néanmoins il ne laisse pas d’être véritable que « notre demeure est au ciel, » et notre société avec les anges : Nostra autem conversatio in cœlis est. C’est une vérité importante, pleine de consolation pour tous les fidèles; et comme je me propose aujourd’hui de vous en montrer la pratique dans la vie admirable de sainte Thérèse, je tâcherai avant toutes choses de rechercher jusqu’au principe cette excellente doctrine. Et pour cela je vous prie d’entendre qu’encore que l’Eglise qui règne au ciel et celle qui gémit sur la terre semblent être entièrement séparées, il y a néanmoins un lien sacré par lequel elles sont unies. Ce lien. Messieurs, c’est la charité, qui se trouve dans ce lieu d’exil aussi bien que dans la céleste patrie ; qui réjouit les saints qui triomphent, et anime ceux qui combattent ; qui se répandant du ciel en la terre et des anges sur les mortels, fait que la terre devient un ciel et que les hommes deviennent des anges.

Car, ô sainte Jérusalem, heureuse Eglise des premiers nés dont les noms sont écrits au ciel, quoique l’Eglise votre chère sœur qui vit et qui combat sur la terre n’ose pas se comparer à vous, elle ne laisse pas d’assurer qu’un saint amour vous unit ensemble. Il est vrai qu’elle cherche, et que vous possédez ; qu’elle travaille, et que vous vous reposez ; qu’elle espère, et que vous jouissez. Mais parmi tant de différences par lesquelles vous êtes si fort éloignées, il y a du moins ceci de commun, que ce qu’aiment les esprits bienheureux, c’est ce qu’aiment aussi les hommes mortels. Jésus est leur vie, Jésus est la nôtre ; et parmi leurs chants d’allégresse et nos tristes gémissements, on entend résonner partout ces paroles du sacré Psalmiste : Mihi autem adhœrere Deo bonum est : « Mon bien est de m’unir à Dieu. » C’est ce que disent les saints dans le ciel, c’est ce que les fidèles répondent en terre : si bien que s’unissant saintement avec ces esprits immortels par cet admirable cantique que l’amour de Dieu leur inspire, ils se mêlent dès cette vie à la troupe des bienheureux, et ils peuvent dire avec l’Apôtre : « Notre conversation est dans les cieux : » Nostra conversatio in cœlis est. Telle est la force de la charité, qu’elle fait que le saint Apôtre ne craint pas de nous établir dans le paradis même durant ce pèlerinage, et ose bien placer des mortels dans le séjour d’immortalité. Continuer à lire « Bossuet : Panégyrique de sainte Thérèse d’Avila »

Bossuet : « Abrégé de l’Apocalypse »

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ABRÉGÉ DE L’APOCALYPSE.

I. — Pourquoi cet abrégé : l’Apocalypse est une espèce d’histoire de l’Eglise, divisée en trois temps.

Comme nous nous sommes arrêtés à chaque partie de l’Apocalypse, ou pour prendre de temps en temps quelque repos dans cette espèce de voyage, ou plutôt pour considérer, à mesure que nous avancions, le progrès que nous avions fait, il faut encore nous arrêter à la fm de toute la course, puisque c’est après avoir vu tout ce divin Livre que nous pouvons nous en former une idée plus juste par une pleine compréhension de tout l’ouvrage de Dieu qui nous y est représenté.

En voici donc l’abrégé. Jésus-Christ paraît : les églises sont averties : c’est Jésus lui-même qui leur parle par saint Jean pour leur apprendre leur devoir, et en même temps son Saint-Esprit leur fait des promesses magnifiques. Jésus-Christ appelle saint Jean pour lui découvrir les secrets de l’avenir, et ce qui devait arriver à son Eglise, depuis le temps où il lui parlait jusqu’à la fin des siècles et à l’entier accomplissement de tout le dessein de Dieu (Apoc., I, II, III). Il y a trois temps de l’Eglise bien marqués : celui de son commencement et de ses premières souffrances, celui de son règne sur la terre , celui de sa dernière tentation (Chap. IV, jusqu’au XX), lorsque Satan déchaîné pour la dernière fois, fera un dernier effort pour la détruire (Chap. XX); ce qui est suivi aussitôt par la résurrection générale et le jugement dernier (Chap. XX, II, 12). Après quoi il ne reste plus qu’à nous faire voir l’Eglise toute belle et toute parfaite dans le recueillement de tous les Saints et le parfait assemblage de tout le corps dont Jésus-Christ est le chef (Chap. XXI, XXII).

II.— Premier temps. Les commencements de l’Eglise. Deux ennemis abattus au milieu de ses souffrances, les Juifs et les gentils : ces deux ennemis marqués très-distinctement par saint Jean.

Dans le premier temps, qui est celui du commencement de l’Eglise et de ses premières souffrances, toute faible qu’elle paraît dans une si longue et si cruelle oppression , saint Jean nous en découvre la puissance en ce que tous ses ennemis sont abattus, c’est-à-dire les Juifs et les gentils : les Juifs au commencement, et les gentils dans la suite de cette prédiction jusqu’au chapitre XX (Chap. VII, VIII ; chap. IX, 14, jusqu’au chapitre XX).

Ces deux ennemis sont marqués très-distinctement par saint Jean : les Juifs, lorsqu’il nous fait voir le salut des douze mille de chaque tribu d’Israël, pour l’amour desquels on épargnait tout le reste de la nation; d’où vient aussi qu’en tous ces endroits il n’est nulle mention d’idoles, parce que les Juifs n’en connaissaient pas et ne péchaient en aucune sorte de ce côté-là; et les gentils aussitôt après, à l’endroit où il fait venir avec des armées immenses les rois d’Orient et les peuples d’au-delà de l’Euphrate (Chap. IX, 14 et suiv), qui est aussi celui où pour la première fois il est parlé « d’idoles d’or et d’argent (Chap. IX, 20, 21), » et où les gentils sont repris, parmi les plaies que Dieu leur envoie, de ne s’être pas corrigés d’adorer les œuvres de leurs mains et les démons, non plus que des autres crimes que le Saint-Esprit nous représente partout comme des suites inséparables de l’idolâtrie (Rom., I, 21, etc.).

Voilà donc les deux sortes d’ennemis dont l’Eglise avait encore à souffrir, bien distinctement marqués. Les Juifs, qui ne cessaient par leurs calomnies d’irriter les persécuteurs, comme saint Jean l’avait remarqué dès le commencement de son Livre , lorsqu’il écrivait aux Eglises (Apoc., II, 9), et les gentils ou les Romains, qui, ne songeant, qu’à accabler l’Eglise naissante, allaient plus que jamais l’opprimer « par toute la terre (Apoc., III, 10) » qui était soumise à son empire, comme le même saint Jean l’avait dit aussi au même endroit.

III.  — Les sauterelles, ou les hérésies entre ce qui regarde les Juifs et ce qui regarde des gentils.

Entre ces deux ennemis, incontinent après les Juifs et avant que d’avoir nommé les gentils et les idoles, nous trouvons dans les sauterelles mystiques (Chap. IX, depuis le vers. 1 jusqu’au vers. 14) une autre sorte d’ennemis d’une espèce particulière, où nous avons entendu les hérésiarques placés à la suite des Juifs dont ils ont imité les erreurs, et devant les gentils qu’à la vérité ils ne semblaient pas attaquer directement, comme devaient faire ces rois d’Orient qu’on voit paraître au même chapitre , mais qui ne laissaient pas de leur nuire beaucoup en obscurcissant le soleil, c’est-à-dire avec la gloire de Jésus-Christ, les lumières de son Evangile et de son Eglise ; par où s’augmentait l’endurcissement des gentils, qui, selon que l’a remarqué saint Clément d’Alexandrie, disaient en parlant des chrétiens : « Il ne faut pas les en croire, puisqu’ils s’accordent si mal entre eux, et qu’ils sont partagés entant d’hérésies; ce qui retarde, » poursuit ce grand homme, « les progrès de la vérité, à cause des dogmes contraires que les uns produisent à l’envi des autres (Strom., lib. VII). »

IV. — Saint Jean passe aux violences et aux punitions de l’empire persécuteur : les Perses montrés comme ceux d’où devait venir le premier coup.

Il était bon une fois de faire voir que l’Eglise triomphoit de cet obstacle, comme de tous les autres. Saint Jean après l’avoir fait d’une manière aussi vive que courte et tranchante, s’attache ensuite à représenter les persécutions romaines comme l’objet dont les hommes étaient le plus frappés, pour faire éclater davantage la force de l’Eglise en montrant la violence de l’attaque , et afin aussi de faire admirer les sévères jugements de Dieu sur Rome persécutrice, avec l’invincible puissance de sa main qui abattait aux pieds de son Eglise victorieuse une puissance redoutée de tout l’univers.

Tout le chapitre IX, depuis le verset 14 jusqu’au chapitre XX, est donné à ce dessein. Pour préparer les esprits à la chute de ce grand Empire, saint Jean nous montre de loin les Perses, d’où lui devait venir le premier coup. Le caractère dont il se sert pour les désigner n’est pas obscur, puisqu’il les appelle les rois d’Orient et leur fait passer l’Euphrate (Chap. IX, 14; XVI, 12), qui semblait fait pour séparer l’Empire romain d’avec eux. C’est là que le saint apôtre commence à montrer combien les Romains furent rebelles contre Dieu, qui les frappait pour les corriger de leur idolâtrie ; ce qu’il continue à faire voir en récitant les opiniâtres persécutions dont ils ne cessèrent d’affliger l’Eglise.

V. — La persécution commence à paraître au chapitre XI avec la bête : la bête représentée aux chapitres XIII et XVII, montre la persécution en général, et plus particulièrement la persécution de Dioclétien.

Elles commencent à paraître au chapitre XI ; et comme jusqu’ici on nous a donné des caractères bien marqués et bien sensibles des Juifs et des gentils, on ne nous en a pas donné de moins clairs pour désigner la persécution romaine. Le plus marqué de ces caractères a été celui de la bête, qu’on ne nous représente parfaitement que dans les chapitres XIII et XVII, mais que néanmoins on a commencé à nous faire voir dès le chapitre XI comme celle qui mettait à mort les élus de Dieu et les fidèles témoins de sa vérité. Il nous faut donc ici arrêter les yeux sur les caractères de cette bête, que nous voyons beaucoup plus clairs et mieux particularisés que tous les autres.

On est accoutumé par la prophétie de Daniel à reconnaître les grands empires sous la figure de quelques fiers animaux : il ne faut donc pas s’étonner si on nous représente l’Empire romain sous cette figure, qui n’a plus rien d’étrange ni de surprenant pour ceux qui sont versés dans les Ecritures. Mais le dessein de saint Jean n’est pas de nous marquer seulement un grand et redoutable empire : c’était aux saints principalement et aux fidèles de Jésus-Christ qu’il était redoutable. Saint Jean nous le montre donc comme persécuteur et avec son idolâtrie, parce que c’était pour l’amour d’elle qu’il tourmentait les enfants de Dieu. Continuer à lire « Bossuet : « Abrégé de l’Apocalypse » »