Grande interview de Maxence Caron sur Le Chant du Veilleur :
Jacques RIVIÈRE
De la foi
À PAUL CLAUDEL
I
ÉLOGE DE LA FOI
Le doute passe communément pour une marque de pénétration ; il témoigne, croit-on, d’une intelligence plus forte, plus agile, mieux portante que la foi. – Au contraire, je prétends qu’il est une idée mal attachée à l’esprit ; et les tiges sont malades auxquelles les feuilles ne tiennent pas solidement. Le doute est l’incapacité de nourrir ce que l’on pense. Un événement arrive quelque part où je ne suis pas ; on me le raconte ; j’en forme en moi l’idée, je me le représente ; si je ne le crois pas, c’est que je ne trouve pas en moi assez de réalité pour égaler la sienne, c’est que je suis plus pauvre, plus pâle, plus problématique que lui. Il se passe en moi quelque chose que je ne parviens pas à atteindre ; je n’ai pas la ressource qu’il y faudrait. L’événement recommence en moi ; et j’en suis le spectateur impuissant et endormi ; je manque de courage pour l’animer une seconde fois.
L’homme qui sort, un matin, devant sa porte et qui, regardant le monde, se dit : « Peut-être que ces choses que je vois ne sont pas » – que peut-il vouloir signifier par là, sinon : « Dans mon esprit trop décoloré toute cette gloire, en se reflétant, n’arrive pas à plus de vivacité que n’en ont les images des songes. Elle n’y revit que sous forme d’idées, c’est-à-dire faible et incertaine comme moi-même. » Il ne peut pas empêcher qu’il soit le moins fort. Du monde et de lui, c’est le monde qui a raison, parce que c’est le monde qui dépense le plus. – Lui, il est pareil à ces malades dont l’infirmité est de ne pouvoir pas s’en tenir à ce qu’on leur demande, à la question que l’on traite ; ils cèdent, ils s’en vont de côté, ils dérivent tout de suite, ne parvenant pas à soutenir le tête-à-tête et la fixité. Le doute, c’est le refus de regarder en face, c’est le clin d’yeux de l’homme qui s’abrite avec son bras d’un éclat trop vif, c’est la digression et le détour. Continuer à lire « Jacques Rivière : « De la foi », à Paul Claudel »
Paul CLAUDEL
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Richard Wagner
RÊVERIE D’UN POÈTE FRANÇAIS
En auto par un soir d’automne sur une route du Japon.
À droite. – Mon cher Jules, je vous demande pardon de vous tirer de votre somnolence, mais j’ai énormément de choses à vous dire.
À gauche. – Je suis tout oreilles.
À droite. – Vous souvenez-vous de cette conversation que nous eûmes à Lausanne en 1915 avec Stravinsky ?
À gauche. – À propos de Wagner, je suppose…
À droite. – Le reproche que Stravinsky adressait à la musique de Wagner…
À gauche. – C’est une pâte, – disait-il. – Je m’en souviens. Continuer à lire « Claudel et Wagner »
CLAUDEL
Préface aux Œuvres
d’Arthur Rimbaud
Arthur Rimbaud fut un mystique à l’état sauvage, une source perdue qui ressort d’un sol saturé. Sa vie, un malentendu, la tentative en vain par la fuite d’échapper à cette voix qui le sollicite et le relance, et qu’il ne veut pas reconnaître : jusqu’à ce qu’enfin, réduit, la jambe tranchée, sur ce lit d’hôpital à Marseille, il sache !
« Le bonheur ! Sa dent, douce à la mort, m’avertissait au chant du coq, – ad matutinum, au Christus venit1 – dans les plus sombres villes. » – « Nous ne sommes pas au monde ! » – « Par l’esprit on va à Dieu !… C’est cette minute d’éveil qui m’a donné la vision de la pureté… Si j’étais bien éveillé à partir de cette minute-ci… » (et tout le passage célèbre de la Saison en Enfer)… « Déchirante infortune ! »
Comparez, entre maints textes, cette référence que j’ose emprunter à Sainte Chantal (citée par l’abbé Brémond) :
« Au point du jour, Dieu m’a fait goûter presque imperceptiblement une petite lumière en la très haute suprême pointe de mon esprit. Tout le reste de mon âme et ses facultés n’en ont point joui : mais elle n’a duré environ qu’un demi Ave Maria. »
Arthur Rimbaud apparaît en 1870, à l’un des moments les plus tristes de notre histoire, en pleine déroute, en pleine guerre civile, en pleine déconfiture matérielle et morale, en pleine stupeur positiviste. Continuer à lire « Claudel préface Rimbaud »