Maxence Caron, Philippe Muray, Maurice Dantec, François Taillandier, et bien d’autres : en un ouvrage collectif inespéré, Jacques de Guillebon réunit les plumes dont certaines sont les plus originales et les plus libres de l’époque

L’homme a-t-il besoin du Christ?

A paraître en mars : Se procurer l’ouvrage

Jamais les fondements de l’existence et de la pensée n’ont paru aussi instables, et pour échapper aux formes sans cesse mouvantes de l’idéologie moderne, vingt personnalités proposent ici un regard neuf sur l’héritage chrétien à travers leur vie ou à travers leurs œuvres.
Revenir à ce qui constitue une part majeure de notre Histoire, tel est le fruit de leur réflexion. Par delà leur diversité, leur libre parole inspirée par l’Evangile, chacun d’entre eux appelle à un supplément d’âme et d’esprit critique, comme principe de civilisation.

Contributions de : Jacques de Guillebon – Gil Bailie – Matthieu Baumier – Jean-Louis Bolte – Maxence Caron – Maurice G. Dantec – Claire Debru – Chantal Delsol – Christian Ganachaud – Gwen Garnier-Duguy – Falk van Gaver – Christophe Geffroy – Jean-Claude Guillebaud – Fabrice Hadjadj – Philippe Le Guillou – Rémi Lélian – Philippe Muray – Florentin Piffard – François Taillandier, coord : J. de Guillebon.

« Trouvères en guenilles » : Chronique de Jacques de Guillebon sur la poésie mystique et sur la place du « Chant du Veilleur » dans la poésie contemporaine

Trouvères en guenilles

Comment ennuyer son lecteur, son auditeur, ou simplement ses amis ? En leur parlant de poésie, bien sûr. Nous n’allons donc pas nous en priver. Nous entendons poésie ici au sens le plus fort, le plus épineux, le plus profond, c’est-à-dire poésie écrite aujourd’hui et entachée de résonances mystiques. Poésie chrétienne, poésie catholique créée en ce moment, à qui aucune grande maison d’édition, aucun grand organe de presse ne voudra prêter nul secours. Car vous comprenez, la poésie, ça ne se vend pas et le ton est plus que jamais à ce que Rimbaud annonçait dans son dernier poème : « A vendre, à vendre, à vendre ! »

Ainsi nous parlerons de deux trouvères en guenilles, deux fols qui en Christ ont tellement confondu leur espérance qu’ils sont allés jusqu’à chanter l’Amour du Grand Roi sur le papier, en souhaitant que d’autres reprennent des lèvres et de la gorge leurs paroles, Florentin Benoît d’Entrevaux et Maxence Caron.

Le premier de ces larrons du verbe, jeune homme qui vit une existence érémitique en Ardèche, nous donne avec Vers l’Autre un recueil de cinq ans de poèmes publiés goutte à goutte dans la revue qu’il a fondée et dirige, Poésie Directe. Sa prosodie est infiniment dépouillée, franciscaine, sœur de la vraie pauvreté, humble et tout entière tendue vers ces monts d’où viendra le secours :

« J’AI SOIF… / ne crois pas que je n’entends pas / mais je n’ai que mes larmes
J’ai SOIF… / je reconnais l’une de tes dernières paroles / mais je n’ai que mes larmes / je voudrais bien te désaltérer, t’apaiser / avoir soif avec toi / mais je n’ai que mes larmes ».

Chant de Gethsémani, de la douleur et du renoncement, de la nuit de l’esprit, cet ouvrage est un sentier de guérison pour cœur contemporain en déroute.

Chez Caron, philosophe, homme de lettres et musicologue de la même génération, le verbe est plus haut, comme un Pantocrator qui répond à la Piéta de Benoît d’Entrevaux. C’est à l’« Incalculable Transcendance, Substance proche insituable », à l’« Indicible Toi, très-haut Roy et très-haut Seigneur, Toi Celui qui est et qui dit seul à vrai : “Je suis”, Toi, Dieu, la Différence infinie » que l’orant s’adresse. S’y conjoignent comme en une liturgie des Heures la soif de l’impossible musique absolue, la louange de l’Unique, et les lauriers de la doctrine sacrée.

On le sait trop, et c’est pourquoi on ne veut se l’avouer, il faut pour entendre cette poésie qui devient enfin ce qu’elle a toujours été, une prière surabondante, du temps, du silence, de l’otium, un désir de paix intérieure. Tout ce dont l’époque nous prive qui nous promet au contraire comme Méphistophélès à Faust les délices de la vis sans fin du monde.

La question demeure posée, même si nous refusons d’y répondre : pourquoi nous autres Français, ne lisons plus de poésie et en produisons si peu d’universelle (je sais, nous avons tous des fonds de tiroirs débordant de péans, de dithyrambes, d’épithalames et de chagrins d’amour, en alexandrins, en hendécasyllabes et même en iambes pour les plus branchés) ? C’est tout de même extraordinaire un pays où l’on produit pas moins de six cents romans au temps des vendanges et, sinon le sinistre Yves Bonnefoy qui à 90 ans bien tassés n’a toujours rien à déclarer, aucun poète organique, réenchanteur, qui fasse l’unanimité. On objectera que nous avons quelques chanteurs harmonieux, mais c’est souvent que l’on confond poésie et bluette, la bluette ne pouvant être qu’une part inférieure du grand chant. Alors quoi ? Temps de cancres réalistes, époque de performance, moment ultrarationaliste, chute de la vigueur de la langue française ? Oui, tout cela est bien vrai. Oui. Mais – je dis ça pour les deux lecteurs qui m’ont suivi jusqu’ici – entre nous, le fond c’est que nous ne savons plus prier. Et peuple qui ne prie ne chante non plus.

Jacques de Guillebon

La Nef, mars 2011

Jacques de Guillebon parle de « La Vérité captive »

Le jeune homme Caron n’est pas inconnu à nos lecteurs, à qui il arrive de sévir dans nos pages en de fumants articles qui jamais ne laissent indifférents. L’agrégé et docteur en philosophie, directeur-fondateur de la prestigieuse collection Les Cahiers d’Histoire de la Philosophie aux Editions du Cerf a le culot, à peine atteint l’âge du Christ, de prétendre posséder sa propre philosophie. Une tare qu’une époque de marée basse intellectuelle pardonne rarement. Indiscret amoureux de la langue, Maxence Caron est aussi travaillé par le désir de répandre un peu partout cette dilection. Un second défaut au temps des triomphants sabirs informatisés

Maxence Caron posséderait sa propre philosophie, écrivons-nous : oui, mais elle est recevable en tant qu’elle est entièrement inspirée et même infusée de l’ancienne et seule théologie catholique. Ce qui fascine dans cet ouvrage : après la déconstruction des quarante dernières années, qui venait après la période du doute nietzschéen et du questionnement interminable sur l’Être de Heidegger (dont Caron est un spécialiste dessillé), qui eux-mêmes arrivaient dans une époque informée par le mot de Grotius, où penser « etsi Deus non daretur », comme si Dieu n’existait pas, était, disait-on, nécessaire, Caron au contraire, dans ce pavé de plus de 1 000 pages, où il se fait l’apôtre de la « Différence fondamentale », c’est-à-dire de celle qui bée entre la créature et son Créateur et qui seule permet de continuer à penser sous le soleil, Caron fait sien le mot de Joseph Ratzinger : penser aujourd’hui « velutsi Deus daretur », comme si Dieu existait, est la seule issue pour une philosophie qui n’a momentanément débouché que dans un lieu d’épais brouillard où tout lui échappe, la vérité bien entendu, mais le sujet lui-même.

Maxence Caron s’est lancé dans une entreprise titanesque qui réclamera sa vie. Espérons qu’il en ait la force. Il en a déjà le talent.

Jacques de Guillebon
La Nef, n° 210, décembre 2009

Références : Maxence Caron, La Vérité captive – De la philosophie, Cerf, 2009, 1120 pages.