Nous avons déjà parlé de Maxence Caron que nous dépeignions en chercheur d’or. Ce jeune philosophe est aussi un critique talentueux et sans indulgences pour les menues lâchetés ou pour les grandes trahisons de ses collègues en érudition. Philosophe et critique, ainsi le montre son dernier livre, La pensée catholique de Jean-Sébastien Bach. Ce spécialiste de Heidegger et de Hegel se demande dans chacun de ses livres : qu’appelle-t-on penser ? Il faut être effet prendre au pied de la lettre le titre provocateur de ce livre. C’est avant tout de pensée qu’il s’agit. Et tant mieux si cette pensée s’exprime non pas par des concepts austères, mais à travers la musique ! « Pensée catholique » ? N’est-ce pas pousser le bouchon un peu loin, direz-vous peut-être ? On sait que Bach était officiellement luthérien. Mais Maxence Caron prouve, par des arguments divers, dont l’addition me semble vraiment démonstrative, que la célèbre Messe en si, dont la Cantor de Leipzig voulait faire son testament musical et spirituel, a été conçue très consciemment comme une hymne à la catholicité de l’Église.
Mais qu’est-ce que la catholicité ? Pour répondre à cette question sans tomber dans l’étroitesse confessionnelle, Maxence Caron impose un détour par la métaphysique, qu’il conçoit non comme une connaissance géométrique, à la manière qui rendit célèbre l’écriture d’un Spinoza, mais plutôt comme une médiation analogique, selon la suggestion heideggérienne. Médiation alimentée ici par une parfaite connaissance technique de la musique qui s’exprime dans l’œuvre de Bach.
Grand dénicheur de pépite, Maxence Caron commente chaque mouvement de l’œuvre et nous fait découvrir la puissance intérieure du génie de Bach. Juché sur cette musique sur les ailes de l’aigle, il tisse dans un lyrisme admirable la robe sans couture que nul ne saurait déchirer sans s’exposer à une forme de démesure. Ce grand couturier du Verbe n’est pas seulement critique (et ironique), il est aussi le porte-voix du génie, mettant en mot l’univers labile de sa musique, et nous entraînant, d’images en ferveurs, dans une méditation sur un artiste dont ne connais nul précédent – et dont le lecteur attentif ne peut sortir indemne.
A lire évidemment en musique dans le grand lâcher-prise de l’été, ce livre est une stèle impressionnante sur notre parcours estival de culture buissonnière.
Joël Prieur