Le Bloc-notes de Maxence Caron (été 2023)

Après la grandiose publication de sa Correspondance aux Belles Lettres en 2018, les Œuvres de Bonnefoy paraissent dans « la Pléiade ». Nécessaire et magnifique ouvrage. Il fut conçu par l’auteur même (mort en 2016). Les publications d’œuvres poétiques complètes sont devenues trop rares pour que soit facultatif d’apprécier ce volume dans toute sa portée, au-delà même de nos préférences. Bonnefoy proteste de près d’un siècle d’existence au service du verbe : cela se lit ! Et pour ceux à qui la réalité d’une bibliothèque n’est pas encore devenue étrangère, cela y entre. Disons notre gratitude à l’éditeur. Lors en effet que Gallimard n’omet pas de laisser travailler les gens de talent ou n’abandonne pas le pouvoir à d’impuissants préfets éditoriaux, alors, mieux qu’excellent, le résultat est toujours définitif. 

À cet égard, une leçon immédiate et paradoxale se prend de la lecture des œuvres de Bonnefoy. Un centième des œuvres que publie Gallimard est composé de véritables auteurs, et constitue ainsi, en soi, la spectaculaire condamnation de tout ce qu’imprime par ailleurs l’éditeur. À rebours de son habituelle complaisance envers les auteurs calamiteux, en un grand dédoublement schizophrène qui est peut-être une forme d’expiation, la maison Gallimard lance là, au-dessus de sa tête, la vigilance de Bonnefoy qui, dressant un œil d’art, se fait toujours un devoir de ne pardonner aucun compromis : c’est face aux choix de son propre éditeur que s’érige l’intemporalité de ce livre dont nous voyons Bonnefoy brandir la borne désapprobatrice. Ce fait compose une thématique explicite au cœur même des œuvres ici rassemblées. Faut-il dès lors admirer le courage d’un éditeur qui supporte la publication dont le contenu l’humilie ? Ou déplorer qu’il soit dans la situation de se devoir donner la discipline ? 

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Depuis soixante ans on nomme « progressiste » celui qui, non content de n’écouter plus que le chimpanzé qui est en lui, prend ses préjugés pour des axiomes. 

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Lorsque l’on se fut mis à crier partout que des hommes descendaient des singes, beaucoup eurent forcément la tentation de rechercher des suspects. 

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L’on entend parfois, grossièrement, et comme pour cacher une vérité immense, que « les Juifs » ont crucifié Jésus. Quelques Juifs, oui, dont certains notables hiérosolymitains qui, s’ils étaient nés au XIXe siècle, eussent fait la proie préférée des pourfendeurs de bourgeois. Les Juifs n’ont pas crucifié Jésus mais les Juifs ont annoncé Jésus. Les Juifs ont prêché Jésus. Les Juifs ont converti le monde à Jésus-Christ. Et se mêlant à ceux dont ils sauvaient les vies in æternum, d’eux-mêmes les Juifs se sont appelés Chrétiens. D’où ces paroles considérables que prononça la bouche de la Vérité : « Salus ex Iudaeis est, le Salut vient par les Juifs. » (Jn IV, 22)

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Le neurasthénique est un individu à qui il semble avoir souvenir du lendemain. À l’échelle collective c’est une population dépressive. Caïn était dans sa tombe et ne regardait pas Dieu… 

Maxence Caron

Service Littéraire n° 172, juillet-août 2023