Léon Bloy : « La Femme pauvre », texte intégral (2)

Léon Bloy

La Femme Pauvre

Deuxième partie – L’épave de la lumière

Libera me, Domine, de morte æterna, dum veneris judicare sœculum per ignem.

Officium Defunctorum.

I

Vous aurez toujours des pauvres parmi vous. Depuis le gouffre de cette Parole, aucun homme n’a jamais pu dire ce que c’est que la Pauvreté.

Les Saints qui l’ont épousée d’amour et qui lui ont fait beaucoup d’enfants assurent qu’elle est infiniment aimable. Ceux qui ne veulent pas de cette compagne meurent quelquefois d’épouvante ou de désespoir sous son baiser, et la multitude passe « de l’utérus au sépulcre » sans savoir ce qu’il faut penser de ce monstre. Continuer à lire « Léon Bloy : « La Femme pauvre », texte intégral (2) »

Léon Bloy : « La Femme pauvre », texte intégral (1)

Léon Bloy

La Femme pauvre

Pro defunctis fratribus, propinquis, et benefactoribus.

Dédicace

À Pierre Antide Edmond

BIGAND-KAIRE

capitaine au long cours

?

La voici, enfin ! cette Femme pauvre que vous avez tant désirée sans la connaître, et que j’ai placée — comme il convenait — sous l’invocation des Défunts.

Je ne sais pas d’homme plus étonnant que vous, mon cher Bigand, et cela, je l’écrirai, quelque jour, le plus somptueusement que je pourrai.

Votre amitié, que je n’avais pas prévue et que j’ai dû croire envoyée du ciel, est certainement une des rares merveilles qu’il m’aura été donné de voir sur terre.

À l’exception de notre grand peintre Henry de Groux, qui donc est descendu aussi profondément que vous et d’aussi bon cœur dans ma fosse noire ? Souvenez-vous que vous fûtes mon hôte, quand j’habitais la maison sans nom, la maison de putréfaction et de désespoir que j’ai essayé de peindre et dont vous avez, j’imagine, emporté l’horreur dans la splendide et sanglante Asie.

À vous donc, cher ami, ce douloureux livre qui me fut dicté par l’énergie de votre âme et qui serait, sans doute, un chef-d’œuvre, si je n’en étais pas l’auteur.

Que Dieu vous garde du feu, du couteau, de la littérature contemporaine et de la rancune des mauvais morts !

Grand-Montrouge, mercredi des Cendres, 1897.

LÉON BLOY.

La Femme pauvre

Première Partie – L’épave des ténèbres

Qui erant in pœnis tenebrarum, clamantes et dicentes : Advenisti, Redemptor noster.

Officium Defunctorum.

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Léon Bloy : Exégèse des lieux communs, texte intégral

Exégèse des Lieux Communs

Dédicace

À RENÉ MARTINEAU

Rappelez­-vous, cher ami, notre petite chapelle de Sainte-­Anne et de Saint­-René, si humble et si pauvre, là-­bas, près de l’Océan. En souvenir de cette chapelle et de l’hospitalité de Ker Saint-­Roch, je vous prie d’accepter la dédicace de ce livre, plus grave et plus douloureux qu’il n’en a l’air, où j’ai montré, comme il m’a plu, le mal dont on meurt.

Votre nom affronté au mien, dès cette première page, vous condamne à partager mes disgrâces. Ami de l’écrivain malfamé que vous osâtes nommer un vivant, comment échapperiez­-vous à votre destin ?

Notre rencontre fut un miracle appelé par la Douleur et on ne manquera pas de vous dire que la persistance de notre amitié en est un autre. Le plus étonnant prodige n’est-­il pas qu’un homme se soit évadé avec enthousiasme des Lieux Communs où l’on dîne pour venir héroïquement ronger avec moi des crânes d’imbéciles dans la solitude ?

Lagny, 31 décembre 1901.

Léon Bloy. Continuer à lire « Léon Bloy : Exégèse des lieux communs, texte intégral »

Léon Bloy : « Deux fantômes » – Histoire désobligeante

Deux Fantômes

par

Léon Bloy

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Peu de choses furent aussi affligeantes que la rupture de cette amitié.

Mlle Cléopâtre du Tesson des Mirabelles de Saint-Pothin-sur-le-Gland et miss Pénélope Elfrida Magpie se chérissaient depuis trente hivers. Elles avaient même fini par se ressembler.

La première appartenait à la race chevaline de ces bas-bleus invendables et sans pardon qu’aucun holocauste n’apaise. Continuer à lire « Léon Bloy : « Deux fantômes » – Histoire désobligeante »