Parution des « Immédiates », nouvelle oeuvre de Maxence Caron

Maxence Caron vient de publier dans La Cinquième Saison le recueil de pensées et d’aphorismes : Immédiates, I. La Cinquième Saison est la revue des Editions de l’Aire, l’un des grands éditeurs historiques de littérature que compte la Suisse.

Cet ouvrage sera suivi de Immédiates, II, à l’automne dans la même revue.

Il est prévu que les Immédiates III puis IV paraissent ensuite au printemps et à l’automne de 2025.

Pour lire Immédiates, I, vous pouvez vous procurer le numéro 24 de La Cinquième Saison, ou vous abonner à la revue.

Pour ceux qui n’ont toujours pas compris

Information parue le 19 juin partout et ailleurs : « En cas de débordements après les élections, E. Macron pourrait activer l’article 16 de la Constitution. » 

En regard, cet extrait magistral du Bloc-notes de Maxence Caron dans le Service Littéraire, en date de février 2024 :


« L’élyséenne stratégie du Pdt. Maquereau pour 2027 n’a pas encore fait l’objet d’une analyse lucide. Les choses sont pourtant claires aux yeux du non-rééligible aigrefin. Lorsqu’il aura tout accompli pour abaisser sa fonction au caniveau et se rendre imbuvable à son peuple, ce à quoi s’emploie et se surpasse la bassesse de son naturel, lorsqu’il aura provoqué cette victoire électorale des héritiers du fascisme, qu’il prévoit et prépare, alors, en un instant, les « insoumis » de la gauche totalitaire lanceront leurs milices contre le parti tout juste élu ; ils ont en effet ce marxiste espoir que naisse une conscience de classe et que les communautés allogènes les rejoignent afin de leur offrir la prise du pouvoir. Cette atmosphère de coup d’État qu’espère la gauche de gauche, commencera à l’annonce des résultats du scrutin, alors même que l’ancien mandat est actif et que la passation de pouvoir est lointaine. La Présidence de la République n’aura donc plus qu’à invoquer « l’intérêt supérieur de la nation » pour que l’article 16 de la Constitution apparaisse comme un moindre mal, et que soient ainsi votés les pleins pouvoirs au sortant. Parmi les soupirs de soulagement et le plus légalement du monde, voici finalement désigné dictateur extraordinaire celui même qui n’avait plus droit à l’exercice de l’autorité. 
La situation de tension entre les deux extrémités de « la droite » et de « la gauche » étant installée pour longtemps par la tyrannie centriste même qu’est devenu l’État occidental, il n’existera jamais aucun motif suffisant pour que les institutions entendent dispenser le pays de la nécessité d’une tyrannie. Au peuple on dira que c’est pour son bien et pour le salut de la république : « Lorsqu’un mauvais coup se mijote, il y a toujours une république à sauver », explique Le Président de Simenon joué par Gabin. 
C’est beau comme un mois de juillet 1940, et ce ne sera qu’un mois de mai 2027. L’humanité a-t-elle entre-temps appris quelque chose ? Non. Mais moi j’ai appris ceci : à quoi bon laisser aux peuples le vote s’ils n’en usent qu’à élire des dictateurs afin d’être protégés des despotes. »

Dissoudre, dissiper… : la macroéconomie française en 2 ou 3 aphorismes

9 juin 2024
Avoir dissout si lamentablement l’Assemblée suffit à prouver que le responsable d’un tel caprice est indigne de toute responsabilité collective. 

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Une dissolution de l‘Assemblée nationale… : voilà qui est cher payer la galanterie que veulent s’offrir derrière le masque d’une cohabitation deux coquets dont les marâtres s’opposent. Au XXIe siècle, on devrait pouvoir s’aimer au-dessus des partis, et faire librement sa transition de gendre. L’honneur de la dépravation fût de préférer à la dissolution de l‘Assemblée la dissipation des Chambres. 

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En hommage au « mois des fiertés »
Quel auteur fantastique eût conçu qu’un jour les ligues de vertu devinssent des milices sodomites… (Mon maître Marc Fumaroli les appelait « le Syndicat ».) Quel conteur de l’extrême eût osé imaginer que les donneurs de leçons se muassent en mili-tantes, et que le parti de l’ordre bâillonnât la liberté au nom de l’anu.
L’anuversité des corps en saignant se cultive. 

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Au cours de son histoire moderne, le peuple de France ne connut jamais d’« Union sacrée » qu’en août 1914 (et ce fut la « trêve des partis ») — quand, voyant l’ennemi surgir de rien que l’on pût raisonnablement justifier, il se sentit  gratuitement agressé par ce jaunâtre Irmensul allemand qui lui déclarait la guerre. Confronté à la scélératesse dénaturée des striges teutonnes, ce qui restait de la nation franque s’entendit quelques instants et pour une fois : ce fut la seule, et ce fut la dernière. 
Mais un siècle plus tard — et c’est aujourd’hui — un narcissique nain frappé d’autant de méontophilie que d’ignorance capitale, un thanatomorphe poulpiquet à qui manque d’avoir été à peu près civilisé, s’essaie sans la moindre intelligence à tramer le fatras : il ourdit la confusion générale dans le très-sérieux espoir de constituer l’union sacrée autour de lui, qui n’est rien. Ce que l’Occupation même n’a pas su faire naître, il se croit de le pouvoir en se contentant d’exhiber sa pauvre imbécillité souriante. Perdu dans sa jungle ombilicale, il se figure que susciter le désordre sera la chiquenaude qui suffira à créer désir de sa personne. 
Bas les mains, que personne ne vote ! Tout cela est sale. 
Lorsque les hontes sont bues, les solutions sont dissoutes.

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« Un homme serait complètement esclave si tous ses gestes procédaient d’une autre source que sa pensée, à savoir ou bien les réactions irraisonnées du corps, ou bien la pensée d’autrui. » (Simone Weil, 1934) 
C’est exactement à ce multitudinaire format d’énergumène que l’on donne suffrage d’aller réélire ses maîtres : plongés dans l’ignorance de tout, haïssant la transcendance, ils ne se sentent plus la moindre conscience, mais ils se sentent un devoir d’aller voter. 

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Quand un homme est médiocre, il a beau s’évertuer à mal faire, s’appliquer à être mauvais, tâcher au nullissime, l’on verra tout de même qu’il est médiocre. C’est ce qui rend l’art contemporain aussi incompétent à élever la voie grégaire au rang de rédemption pour les impuissants. 

Maxence Caron

Le Bloc-notes de Maxence (juin 2024)

La Journaliste, par Otto Dix

Si tu veux être heureux, commence par l’être.

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Irréfutable preuve de la supériorité féminine : depuis que l’homme est devenu une femme comme les autres, les femmes intelligentes ont disparu. 

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La presse se fabrique un pandémonium prétendument littéraire de figures vulgaires dont l’inconsistant niveau a pour but de ne surtout pas dépasser le sien. Elle a pu se donner ainsi tout contrôle sur ce que, dans le but de cacher que son néant en était l’origine, elle nomma d’un mot : « littérature contemporaine ». Alors déferlèrent ces succès d’imbéciles fabriqués pour les besoins de la presse, et dont, pas même pour un cirque, nulle ère de l’histoire n’eût voulu. Ces sots sont sérieusement et pompeusement désignés comme des auteurs : personne ne sait dire pourquoi, mais qu’importe ! La chose est décidée avant que la question ne soit posée. Il y avait naguère le bourgeois, ce poussah d’éducation lourde mais réelle ; il y a maintenant la vacuité du journaliste que nourrit son inculte bachotage de circonstances. 

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Peu d’intelligences sont en mesure de comprendre que sainte Thérèse de Lisieux (morte à un peu plus de vingt ans et Docteur de l’Église), c’est beaucoup plus important que Rimbaud. Les gens font ce qu’ils peuvent, c’est pour cela que c’est accablant. Et ce qu’ils peuvent, pour l’instant, c’est Rimbaud. 

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En un phénomène aussi répétitif qu’éblouissant, l’écrivain majeur, le penseur capital, trente ans après sa mort, sera acclamé par la presse comme prophète incompris de la presse. Par le même grégarisme qui le lui faisait mépriser, la paresse de presse fera éloge de son style incomparable. Les enfants de ceux qui refusaient de parler de lui renieront le conspirateur silence de leurs parents. Ils dénonceront ce qu’avant eux l’on fit subir au génie, mais en faisant subir la même chose aux génies qui vivent en même temps qu’eux… Jamais l’intemporel n’est ainsi promu, en son incarnation, par le petit clan des échotiers, que lient, par mentalité et profession, les esclavages de leurs pactes mondains. 

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Pour un face-à-face qui sera le moyen de leur châtiment, leur mort apportera aux faibles d’esprit la seule preuve qu’ils obtiendront de Dieu. 

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À l’égard de la gent journalistique je laisse toute espérance : jamais un chiotte infernal ne gargouillera la louange du paradis. Quant à mon sort médiatique, il est scellé… Je n’ai pas aimé le monde, j’ai aimé la vie : voilà qui est impardonnable aux yeux des morts qui s’enterrent entre eux toute la journée dans une tiédeur que Dieu vomit. 

Maxence Caron

Service Littéraire, n° 182

Le Bloc-notes de Maxence dans le Service Littéraire : mai 2024

Yann Moix vient de déclarer que « notre époque est d’une bêtise sans nom », comme si ce n’était pas la chance de sa vie. Car c’est en couchant avec la bêtise sans nom qu’il s’en est fait un. Je ne sache pas une seule civilisation qui eût fait place à un tel accumulateur d’inaptitudes. Ce Gaudissart ingrat perd l’occasion d’un peu de noblesse en médisant de l’époque qui le rend possible. 

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Un opulent volume des œuvres de Ionesco paraît dans la collection Quarto de Gallimard : l’on y trouve son théâtre, des textes autobiographiques, un scénario, des illustrations… L’affaire est cohérente, brillante, élégante. Inutile de démontrer l’évidence, ainsi disons-le tout net : acquérir un tel livre est un devoir d’honnête homme. Voudrait-on se dispenser des impressionnantes vocalises dont Ionesco dote ses scrupuleux clowns, ou de sa généreuse peinture des gesticulations humaines ? Mais depuis sa disparition il y a 30 ans, l’auteur des Chaises et de Jeux de massacre ne reçoit plus l’onction des modes. Ionesco fut naguère au cœur des succès populaires, et il dut traverser après sa mort une nécessaire métamorphose. Contrairement à tous ces scribes dont le babil a réuni cent mille clients de leur vivant mais ne parvient pas à en retenir un seul après leur mort, Ionesco a désormais les véritables lecteurs dont jouissent les œuvres impérissables. Son accession à l’intemporel a paisiblement eu lieu, mais ce qui est assuré et serein est silencieux aux foules. La même illusion qui fait croire aux gogos que la plénitude est un vide leur fait dire que son œuvre a décliné alors, au contraire, qu’elle est entrée dans la vie de ceux qui en ont une. Au sommet il y a moins de monde, mais on voit mieux les cieux. 

Laissons au gros public la fable du « théâtre de l’absurde » : cette notion dérisoire fut inventée par les thuriféraires du progrès pour dévaloriser la portée apocalyptique de la dérision. Ionesco y est étranger : enracinons son art dans la vérité de ses généalogies littéraires. Tout est dit dans ses Notes et contre-notes : face aux phrases creuses des méthodes « Assimil anglais », l’auteur explique la genèse de son œuvre : « M. Smith mange des pommes de terre », « Mme Smith est chez le coiffeur… », de ces vacuités il fait un cadavre exquis, dans la pure tradition surréaliste. C’est le début des années 50 et Breton a depuis longtemps étouffé le surréalisme sous sa toge de consul rébarbatif. Malgré des encouragements, l’humour tragique dont use virtuosément Ionesco n’est pas de nature à recevoir la bénédiction plénière du censeur hiératique, et d’autant moins que les racines poétiques de l’auteur de La Cantatrice chauve, par-delà le surréalisme, vont au céleste tellurisme de Dada : à 35 années de distance, le chef-d’œuvre du jeune Ionesco ressemble au théâtre de Tzara, à telle enseigne qu’on croirait parfois lire Les aventures de M. Antipyrine. Les deux itinéraires sont distincts mais l’humus est le même. L’inflammation des mots met ici en scène une humanité indigne de sa parole, indigne de la richesse qu’elle reçoit du Verbe. L’humain fomente la monnaie de la communication pour tuer l’or de la communion au Logos. Comme dans le diagnostic établi par la révolte dadaïste, l’homme que dessine Ionesco bouche le ciel et s’entend à détruire dans de violentes formes d’aliénations la lumineuse munificence dont il naît. L’humain brise la force du Verbe quand il en devrait être l’épiphanie. Ce péché originel, Dada le conjure par une réconciliation des choses au sein d’un fusionnel éclat de mots. Mais utilisant les ressources dialectiques de la scène et de ses affrontements, Ionesco y projette d’immenses dialogues de sourds en un fracas de personnages ahuris. Avant que ce ne soit notre tour, ils subissent les conséquences de mutations abominables auxquelles nous ne désirons si ardemment de demeurer aveugles que parce que nous en sommes coupables. Le théâtre que dresse Ionesco est cette conflagration qu’embrase, dans le mépris du Logos, la croissante complaisance de l’humanité envers ses bassesses. 

Maxence Caron

Service Littéraire, n° 181, mai 2024