Article de Robert Kopp dans la « Revue des deux mondes » sur la parution de la Correspondance de Joseph de Maistre

Les éditions des Belles Lettres publient ce mois-ci les « Correspondances » de Joseph de Maistre, qui nous éclairent « sur l’homme, sur l’oeuvre, sur la formation de l’homme et de l’oeuvre ainsi que sur la relation entre le monde et le penseur ».

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Joseph de Maistre épistolier

par Robert Kopp

Si l’on juge un auteur par la qualité de ses lecteurs, Joseph de Maistre (1753-1821) compte parmi les tout premiers. En effet, on compte parmi ces derniers non seulement Chateaubriand, Madame de Staël, Auguste Comte, Sainte-Beuve, Barbey d’Aurevilly et Baudelaire, mais aussi Valéry et Roland Barthes. C’est qu’il est possible d’admirer un écrivain sans nécessairement partager ses idées.

Ceci dit, grâce à une série de travaux récents, Joseph de Maistre échappe enfin au cliché de l’austère doctrinaire catholique, de l’apologiste de la guerre, de l’Inquisition et du bourreau ; il est apprécié pour la hauteur de ses vues et l’acuité de ses observations concernant l’époque troublée qu’il a traversée.

Grâce à Pierre Glaudes, l’essentiel de son œuvre est facilement accessible depuis dix ans dans un volume de la collection « Bouquins ». La place y manquait toutefois pour faire un sort à l’importante correspondance qui, dès le lendemain de sa mort, a retenu l’attention. Sainte-Beuve, qui a consacré deux grands articles à Maistre dans la Revue des Deux Mondes (15 juillet et 1er août 1843), n’a pas manqué d’y puiser, et ce sont les deux volumes, Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre, publiés en 1851 qui ont conquis Baudelaire. « De Maistre et Edgar Poe m’ont appris à raisonner », peut-on lire dans une célèbre page de Fusées. À ces volumes aussi, Sainte-Beuve a d’ailleurs consacré un article, cette fois-ci dans le Constitutionnel.

Mais c’est dans la grande édition des Œuvres complètes en 14 volumes, publiée chez Vitte et Perrussel, à Lyon, qu’a été réunie cette importante correspondance ; elle y occupe les tome IX à XIV. Elle constitue toujours l’édition de référence. Indisponible depuis longtemps – même dans le Reprint de Slatkine de 1979 – , elle vient d’être reprise dans la collection « Les Classiques favoris » aux Belles Lettres. Un superbe volume compact et relié de plus de 1500 pages au prix très abordable de 75 €.

« Loin d’être un simple observateur, Maistre joue un rôle non négligeable au services des anciennes monarchie. »
Certes, depuis un siècle et demi, d’autres lettres ont fait leur apparition et ont été publiées généralement dans des revues, dont l’excellente Revue des études maistriennes qui paraît depuis 1975 et qui est à son quinzième numéro. Mais l’essentiel se trouve dans l’édition Vitte et désormais aux Belles Lettres. Quelques huit cent lettres adressées à sa famille, dont il était séparé pendant onze années de charges diplomatiques en Russie, à son souverain, Victor-Emmanuel Ier, roi de Sardaigne, à l’Empereur de toutes les Russies, Alexandre Ier, auprès duquel il cherche à jouer au mentor, au chevalier de Rossi, à la princesse Galitzin, à Bonald, à Lamennais.

On assiste ainsi à toute la politique européenne de l’Empire et de la Restauration, à l’ascension fulgurante de Napoléon, et à sa chute, aux alliances et renversements d’alliances entre les puissances. Loin d’être un simple observateur, Maistre joue un rôle non négligeable au services des anciennes monarchie. Mais on apprend aussi quelle a été sa vie souvent difficile, ne fût-ce que matériellement.

En attendant une nouvelle édition complète et commentée de cette correspondance capitale, où se mêlent à un point extraordinaire le public et le privé, ce volume comblera tous ceux qui s’intéressent à l’histoire, à la politique, à la religion d’une époque charnière. Peu de témoins n’ont disposé de postes d’observation aussi larges, et rares sont ceux qui savaient transmettre leurs analyses dans une langue aussi élégante et précise.

(in Revue des deux mondes)