Bossuet : Panégyrique de sainte Thérèse d’Avila

Anonyme (Portugal), Sainte Thérèse, Vision de la très-sainte Trinité

Prêché le 15 octobre 1657, dans la cathédrale de Metz, en présence de la reine mère, du frère du roi, de ses ministres, etc. En 1657, la Cour alla passer l’automne à Metz, se rapprochant de l’Allemagne dans le but d’exercer sur l’élection de l’empereur une influence favorable à la France.

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Nostra autem conversatio in coelis est.
Notre société est dans les cieux.

Philippiens, III, 20.

Dieu a tant d’amour pour les hommes et sa nature est si libérale, qu’on peut dire qu’il semble qu’il se fasse quelque violence quand il retient pour un temps ses bienfaits, et qu’il les empêche de couler sur nous avec une entière profusion. C’est ce que vous pouvez aisément comprendre, par le texte que j’ai rapporté de l’incomparable Docteur des Gentils. Car encore qu’il ait plu au Père céleste de ne recevoir ses fidèles en son éternel sanctuaire qu’après qu’ils auront fini cette vie, néanmoins il semble qu’il se repente de les avoir remis à un si long terme, puisque le grand Paul nous enseigne qu’il leur ouvre son paradis par avance : et comme s’il ne pouvait arrêter le cours de sa munificence infinie, il laisse quelquefois tomber sur leurs âmes tant de lumières et tant de douceurs, et il les élève de telle sorte par la grâce de son Saint-Esprit, qu’étant encore dans ce corps mortel, ils peuvent dire avec l’Apôtre que « leur demeure est au ciel et leur société avec les anges : » Nostra autem conversatio in cœlis est.

C’est ce que j’espère vous faire paraître en la vie de sainte Thérèse; et c’est, Madame, à ce grand spectacle que l’Eglise invite Votre Majesté. Elle verra une créature qui a vécu sur la terre comme si elle eût été dans le ciel ; et qui étant composée de matière, ne s’est guère moins appliquée à Dieu que ces pures intelligences qui brûlent toujours devant lui par le feu d’une charité éternelle, et chantent perpétuellement ses louanges. Mais avant que de traiter de si grands secrets, allons tous ensemble puiser des lumières dans la source de la vérité ; prions la sainte Vierge de nous y conduire ; et pour apprendre à louer un ange terrestre, joignons-nous avec un ange du ciel. Ave.

Vous avez écouté, mes Frères, ce que nous a dit le divin Apôtre, qu’encore que nous vivions sur la terre dans la compagnie des hommes mortels, néanmoins il ne laisse pas d’être véritable que « notre demeure est au ciel, » et notre société avec les anges : Nostra autem conversatio in cœlis est. C’est une vérité importante, pleine de consolation pour tous les fidèles; et comme je me propose aujourd’hui de vous en montrer la pratique dans la vie admirable de sainte Thérèse, je tâcherai avant toutes choses de rechercher jusqu’au principe cette excellente doctrine. Et pour cela je vous prie d’entendre qu’encore que l’Eglise qui règne au ciel et celle qui gémit sur la terre semblent être entièrement séparées, il y a néanmoins un lien sacré par lequel elles sont unies. Ce lien. Messieurs, c’est la charité, qui se trouve dans ce lieu d’exil aussi bien que dans la céleste patrie ; qui réjouit les saints qui triomphent, et anime ceux qui combattent ; qui se répandant du ciel en la terre et des anges sur les mortels, fait que la terre devient un ciel et que les hommes deviennent des anges.

Car, ô sainte Jérusalem, heureuse Eglise des premiers nés dont les noms sont écrits au ciel, quoique l’Eglise votre chère sœur qui vit et qui combat sur la terre n’ose pas se comparer à vous, elle ne laisse pas d’assurer qu’un saint amour vous unit ensemble. Il est vrai qu’elle cherche, et que vous possédez ; qu’elle travaille, et que vous vous reposez ; qu’elle espère, et que vous jouissez. Mais parmi tant de différences par lesquelles vous êtes si fort éloignées, il y a du moins ceci de commun, que ce qu’aiment les esprits bienheureux, c’est ce qu’aiment aussi les hommes mortels. Jésus est leur vie, Jésus est la nôtre ; et parmi leurs chants d’allégresse et nos tristes gémissements, on entend résonner partout ces paroles du sacré Psalmiste : Mihi autem adhœrere Deo bonum est : « Mon bien est de m’unir à Dieu. » C’est ce que disent les saints dans le ciel, c’est ce que les fidèles répondent en terre : si bien que s’unissant saintement avec ces esprits immortels par cet admirable cantique que l’amour de Dieu leur inspire, ils se mêlent dès cette vie à la troupe des bienheureux, et ils peuvent dire avec l’Apôtre : « Notre conversation est dans les cieux : » Nostra conversatio in cœlis est. Telle est la force de la charité, qu’elle fait que le saint Apôtre ne craint pas de nous établir dans le paradis même durant ce pèlerinage, et ose bien placer des mortels dans le séjour d’immortalité. Continuer à lire « Bossuet : Panégyrique de sainte Thérèse d’Avila »