Le Bloc-notes de Maxence dans le Service Littéraire : mai 2024

Yann Moix vient de déclarer que « notre époque est d’une bêtise sans nom », comme si ce n’était pas la chance de sa vie. Car c’est en couchant avec la bêtise sans nom qu’il s’en est fait un. Je ne sache pas une seule civilisation qui eût fait place à un tel accumulateur d’inaptitudes. Ce Gaudissart ingrat perd l’occasion d’un peu de noblesse en médisant de l’époque qui le rend possible. 

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Un opulent volume des œuvres de Ionesco paraît dans la collection Quarto de Gallimard : l’on y trouve son théâtre, des textes autobiographiques, un scénario, des illustrations… L’affaire est cohérente, brillante, élégante. Inutile de démontrer l’évidence, ainsi disons-le tout net : acquérir un tel livre est un devoir d’honnête homme. Voudrait-on se dispenser des impressionnantes vocalises dont Ionesco dote ses scrupuleux clowns, ou de sa généreuse peinture des gesticulations humaines ? Mais depuis sa disparition il y a 30 ans, l’auteur des Chaises et de Jeux de massacre ne reçoit plus l’onction des modes. Ionesco fut naguère au cœur des succès populaires, et il dut traverser après sa mort une nécessaire métamorphose. Contrairement à tous ces scribes dont le babil a réuni cent mille clients de leur vivant mais ne parvient pas à en retenir un seul après leur mort, Ionesco a désormais les véritables lecteurs dont jouissent les œuvres impérissables. Son accession à l’intemporel a paisiblement eu lieu, mais ce qui est assuré et serein est silencieux aux foules. La même illusion qui fait croire aux gogos que la plénitude est un vide leur fait dire que son œuvre a décliné alors, au contraire, qu’elle est entrée dans la vie de ceux qui en ont une. Au sommet il y a moins de monde, mais on voit mieux les cieux. 

Laissons au gros public la fable du « théâtre de l’absurde » : cette notion dérisoire fut inventée par les thuriféraires du progrès pour dévaloriser la portée apocalyptique de la dérision. Ionesco y est étranger : enracinons son art dans la vérité de ses généalogies littéraires. Tout est dit dans ses Notes et contre-notes : face aux phrases creuses des méthodes « Assimil anglais », l’auteur explique la genèse de son œuvre : « M. Smith mange des pommes de terre », « Mme Smith est chez le coiffeur… », de ces vacuités il fait un cadavre exquis, dans la pure tradition surréaliste. C’est le début des années 50 et Breton a depuis longtemps étouffé le surréalisme sous sa toge de consul rébarbatif. Malgré des encouragements, l’humour tragique dont use virtuosément Ionesco n’est pas de nature à recevoir la bénédiction plénière du censeur hiératique, et d’autant moins que les racines poétiques de l’auteur de La Cantatrice chauve, par-delà le surréalisme, vont au céleste tellurisme de Dada : à 35 années de distance, le chef-d’œuvre du jeune Ionesco ressemble au théâtre de Tzara, à telle enseigne qu’on croirait parfois lire Les aventures de M. Antipyrine. Les deux itinéraires sont distincts mais l’humus est le même. L’inflammation des mots met ici en scène une humanité indigne de sa parole, indigne de la richesse qu’elle reçoit du Verbe. L’humain fomente la monnaie de la communication pour tuer l’or de la communion au Logos. Comme dans le diagnostic établi par la révolte dadaïste, l’homme que dessine Ionesco bouche le ciel et s’entend à détruire dans de violentes formes d’aliénations la lumineuse munificence dont il naît. L’humain brise la force du Verbe quand il en devrait être l’épiphanie. Ce péché originel, Dada le conjure par une réconciliation des choses au sein d’un fusionnel éclat de mots. Mais utilisant les ressources dialectiques de la scène et de ses affrontements, Ionesco y projette d’immenses dialogues de sourds en un fracas de personnages ahuris. Avant que ce ne soit notre tour, ils subissent les conséquences de mutations abominables auxquelles nous ne désirons si ardemment de demeurer aveugles que parce que nous en sommes coupables. Le théâtre que dresse Ionesco est cette conflagration qu’embrase, dans le mépris du Logos, la croissante complaisance de l’humanité envers ses bassesses. 

Maxence Caron

Service Littéraire, n° 181, mai 2024

Le Bloc-notes de Maxence dans le « Service Littéraire » (avril 2024)

Bloc-notes de Maxence Caron paru dans le numéro 180 du Service Littéraire

La peinture est l’effort auquel est soumise la matière pour devenir lumière. Et les couleurs sont les différents chemins et les différents moyens que cet effort emprunte.

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Pendant que je subissais de devoir gésir chez Grasset où avait lieu un grotesque cocktail et où gloussaient quelques êtres télévisibles, socialistes, fats et salissants, me revint cette pensée de Delacroix : « Ces philanthropes de profession sont tous gras et bien nourris. Ils vivent tout heureux du bien qu’ils sont chargés de répandre. » (Journal, juin 1854) 

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« Il ne faut pas augmenter les jours de fête pour le peuple, il s’en acquitte mal. » C’est ce que l’on peut lire dans la sublime Josephina de Gerson (au Ve livre, v. 1394). Si l’on ne prend garde au diagnostic de Gerson, arrive ce jour où celui de Muray se constate, qui décrit « la fête » comme autocélébration de la destruction. Afin de s’en mieux convaincre, qu’on se réjouisse ici de la ductilité des choses puisque ces auteurs sont tous deux publiés aux Belles Lettres. 

La magnifique édition de Gerson est parue en 2019. Cependant pas un seul des « humanistes » califourchonnant l’échine de notre temps n’a su ne fût-ce qu’en évoquer la publication capitale. Comprenons-les ! Ils sont si pressés de nous parler de Gide, Beauvoir, Exupéry, Paulhan, Proust et Vian, ou même, après avoir achevé leur tournée des exorables, de raconter le destin de tel défunt voisin de palier dont ils se flattent d’avoir recueilli, en bande d’amitié organisée, l’humble « génie » silencieux… Ainsi font. Car un articlier pisseux journaligaud n’aime que les auteurs à côté de qui il est aisé de rester ce qu’on est, de demeurer tout petit saligaud modeste. La masse encriarde ne se conjouit qu’à côté de qui il est aisé de se grandir. 

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Tous les maux de ce siècle, toutes ses errances et aberrations ont pour origine cette cause aux conséquences radicalement destructrices : les hommes ont condamné Dieu pour assurer leur droit. Numquid condemnabis me, ut tu justificeris ? (Job 40, 3) Et dire que de surnaturels imbéciles courent toujours qui sont à la recherche de « solutions politiques »… À la « république » qui occupe la France, à la gentaille de ses mythographes, à la nécrogène smala de ses zélateurs, à l’anthracite plancton de ses spectateurs – nous demandons avec le prophète Jérémie : « Où sont-ils les dieux que tu t’es fabriqués ? Qu’ils se lèvent donc s’ils peuvent te sauver ! » (Jr 2, 28) Et quel silence… 

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Par le gracieux effet de tous ces spectres modernes qui s’accouplent sans générosité puis unissent la nullité de leurs sentiments fantomatiques, l’amour, qui était naguère vécu à deux, brille aujourd’hui sous l’astre égalitaire, et le voilà partagé en deux. 

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Dieu est ineffable, absolument différent, et sublime : Dieu est Celui que l’on ne saurait dire et que cependant l’on ne peut taire. C’est juste assez pour enflammer la joie de ses enfants et nourrir le cauchemar des apostats – pour exciter la sainteté des élus et abandonner les réprouvés à leur damnation.

Le Bloc-notes du « Service Littéraire » (février 2024)

Bloc-notes de Maxence Caron paru dans le numéro 178 du Service Littéraire (février 2024)

L’élyséenne stratégie du Pdt. Maquereau pour 2027 n’a pas encore fait l’objet d’une analyse lucide. Les choses sont pourtant claires aux yeux du non-rééligible aigrefin. Lorsqu’il aura tout accompli pour abaisser sa fonction au caniveau et se rendre imbuvable à son peuple, ce à quoi s’emploie et se surpasse la bassesse de son naturel, lorsqu’il aura provoqué cette victoire électorale des héritiers du fascisme, qu’il prévoit et prépare, alors, en un instant, les « insoumis » de la gauche totalitaire lanceront leurs milices contre le parti tout juste élu ; ils ont en effet ce marxiste espoir que naisse une conscience de classe et que les communautés allogènes les rejoignent afin de leur offrir la prise du pouvoir. Cette atmosphère de coup d’État qu’espère la gauche de gauche, commencera à l’annonce des résultats du scrutin, alors même que l’ancien mandat est actif et que la passation de pouvoir est lointaine. La Présidence de la République n’aura donc plus qu’à invoquer « l’intérêt supérieur de la nation » pour que l’article 16 de la Constitution apparaisse comme un moindre mal, et que soient ainsi votés les pleins pouvoirs au sortant. Parmi les soupirs de soulagement et le plus légalement du monde, voici finalement désigné dictateur extraordinaire celui même qui n’avait plus droit à l’exercice de l’autorité. 
La situation de tension entre les deux extrémités de « la droite » et de « la gauche » étant installée pour longtemps par la tyrannie centriste même qu’est devenu l’État occidental, il n’existera jamais aucun motif suffisant pour que les institutions entendent dispenser le pays de la nécessité d’une tyrannie. Au peuple on dira que c’est pour son bien et pour le salut de la république : « Lorsqu’un mauvais coup se mijote, il y a toujours une république à sauver », explique Le Président de Simenon joué par Gabin. 
C’est beau comme un mois de juillet 1940, et ce ne sera qu’un mois de mai 2027. L’humanité a-t-elle entre-temps appris quelque chose ? Non. Mais moi j’ai appris ceci : à quoi bon laisser aux peuples le vote s’ils n’en usent qu’à élire des dictateurs afin d’être protégés des despotes. 

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Scène de la vie romancière : « C’était la nuit. Avant de se travailler à gicler sa cendre dans un ventre rempli d’ovules morts, sur les bords de Seine le gentil Boucleglabre promenait l’irrésistible Porcella. » 
Quand les effondrés se servent de la pudeur c’est pour mieux dissimuler l’obscénité. 

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L’homme nomma « progrès » de commander à la matière, mais il ne prit pas garde de s’y obnubiler.

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« Ils l’attachèrent avec une double chaîne d’airain, et il tournait la meule dans la prison. » (Jg 16, 21) Cette charmante allégorie du couple gynocrate est l’état où fut décrit Samson après qu’il eut cédé à Dalila. La Bible est le livre de tant de prophéties… C’est le livre de l’année et des suivantes. Curieusement, l’auteur n’a jamais gagné aucun prix. Et l’on crucifia son Verbe. 
J’en sais combien dont le verbe est si accommodant qu’ils sont, pour ainsi dire, incrucifiablement lisibles. Oh ! ils sont aimés, ces tout lisses culs ! On leur dit du bien d’eux, ils ont une place dans le cœur des majorités, ils soignent leurs relations. « En vérité je vous le dis : ils ont leur récompense. » (Mt 6, 2) 

Maxence Caron

Bloc-notes de Maxence Caron (décembre 2023)

L’inaltérable grandeur du peuple juif vient de ce qu’il est le seul peuple surnaturel de l’histoire, le seul qui soit absolument « méta-physique ». C’est la raison pour laquelle les autres nations, qui de l’immanence se sont fait une religion, persécuteront jusqu’à la fin cette différence capitale du peuple hébreu. Elles persécuteront la pureté de la vérité transcendante que porte le peuple de l’élection, et dont le christianisme, qui est ce qu’il y a de plus puissamment juif, contient la plénitude d’expression.

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Au nom des bons sentiments qu’on leur connaît et sans le moindre regret pour ce dont l’histoire leur doit les conséquences, des gens « de gauche » battent le pavé de France en hurlant contre les Juifs. À quel satrape ne voteront-ils pas bientôt les pleins pouvoirs ! Car de Robespierre à Vichy, ce n’est pour eux, finalement et factuellement, que retour aux sources. À l’inverse d’à peu près tout le monde, je ne m’étonne point, toutefois, que dans le matérialiste pays d’une république athée tout spécialement bâtie pour désaltérer la revanche des gueux, le sentiment exprimé par la grasse éthique de ces déambulants grégaires soit à l’image de l’immanentisme sur quoi il est exactement fondé.

Quant aux fameux devoirs imposés aux mémoires par la gent républicaine, ils forment les consciences aux réflexes conditionnés, mais pas à la conscience. Quel que soit en effet le contenu de la déploration collective (génocide, esclavage…), aux yeux de l’État l’important est que ce contenu soit collectif : dans l’équation de cette organisation malsaine, ce contenu n’est qu’une variable indifférente, tandis qu’indépendamment de lui la constante est l’obligation de ne penser qu’uniformément, selon un formaliste ensemble d’opinions déclenchées par réflexe, quand on vous le demande. On ne juge là des choses que soviétiquement, sous injonction, en houraillis : comme le chien de Pavlov on ne bave qu’au bruit du métronome. Et le paradoxe surgit : malgré des années d’éducation républicaine et d’incantations diverses (« plus jamais ça », et cætera), des masses infâmes butissent encore leurs clameurs antisémites. Dans la nature de la république athée rien n’interdit cette ignominie, bien au contraire : le mot tellement laid de « laïque » a pour sens originel « ordinaire, vulgaire, commun » (cf. le latin laicus). Un État laïc se veut ainsi structurellement populaire, violent et grossier : il marche vers le fascisme comme vers sa vérité. Et c’est un fait, le fascisme n’est jamais né du droit divin. La « basse république » – traduction de respublica laica – ne veut jamais regarder vers le haut, elle n’est pas faite pour l’humanité de l’homme car il est celui qui, anthropos, se tourne vers le ciel (ana-tropos). Cet État athée ne rend pas impossible le crime contre l’humanité, mais il le couve et le nourrit : l’histoire contemporaine en est la suffocante démonstration. Rien n’a changé, donc rien ne change : sur les boulevards un peuple de possédés vocifère contre les Juifs. Évidemment : on leur a enseigné la théophobie laïque comme seule institution possible. Comment comprendraient-ils le caractère sacré du peuple méta-physique par essence, comment aimeraient-ils la singularité du peuple juif ? On leur a appris « la république ordinaire ». Ces braillements immondes n’auraient pas lieu si l’on enseignait la Torah ou l’Évangile. Aussi, tandis qu’à l’époque les laïcs avaient internationalement fait litière des promesses de Balfour, Pie XI, déployant la force déjà incluse dans le Concile de Trente, rappelait que les catholiques étaient spirituellement sémites, avant de publier en 1936 l’encyclique Mit brennender Sorge contre le nazisme et l’antisémitisme.

J’ai l’archet en main, je termine. Face à ce taudis de morale dont, accroupis dans leur youpala de vertus rhétoriques, les républicains athées font un cirque ambulant qui ne recule devant aucun processionnement antisémite, je propose la beauté de la raison : je propose la voie des Sémites spirituels, je propose le catéchisme de l’Église catholique. Son dernier éditeur se nomme saint Jean-Paul II.

Maxence Caron

Service Littéraire n° 176, décembre 2023