L’INSOLENT DE DIEU

 

L’Insolent, premier roman du jeune Maxence Caron résonne déjà comme une bombe. Philippe Sollers et Marc Fumaroli l’ont adoubé. Portrait de ce trublion catholique qui ne jure que par Heidegger et Dante. Une sorte de François Meyronnis avec plus de cheveux.

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 Arnaud Viviant
pour Transfuge

 

A 35 ans, Maxence Caron avoue se sentir seul. Sur sa droite, son catholicisme éhonté, teinté qui plus est d’« anarchisme de droit divin » (à la façon d’un Jacques Ellul ? sans doute pas), inquiète – cela peut s’admettre. Sur sa gauche, on le repousse du fait de ce même christianisme flamboyant, qui lui a déjà fait écrire un début de système philosophique d’un petit millier de pages, La Vérité captive, fondé sur l’acceptation, enfin tranquillisée, si cela est envisageable, de la transcendance. Pourtant, dans sa solitude extrême, Caron peut se vanter d’avoir obtenu pour son premier roman, L’Insolent, des blurbs (petites phrases publicitaires, dans le jargon de l’édition américaine) signés Philippe Sollers ou Marc Fumaroli. Qui dit mieux ? Le premier écrit : « Virtuose et musical, Maxence Caron ouvre des angles nouveaux et remarquables. » Le second, de l’Académie française, va encore plus loin, avec une once de lyrisme presque inquiétante : « Maxence Caron n’a peur de rien, ne doute de rien, il suit son chemin de lumière comme si les ténèbres n’avaient pas de prise sur lui. Il a écrit un livre qui dévoile quand et comment il a pris ce chemin qui nous conduit dans son sillage. » Voilà de bien grands Maîtres, de bien grandes phrases, pour un si petit jeune, se dit-on…


L’enfer du génie

Certes, le CV du garçon a de quoi impressionner. Agrégé de philosophie à 22 ans, il se lance bientôt dans une « synthèse » de 2 000 pages sur l’œuvre de Heidegger qui sera saluée par… l’Académie française. Décidément, des créatures vertes le suivent à la trace. Viendra ensuite le système philosophique déjà évoqué, puis – nul n’étant exactement parfait – la direction d’un ouvrage collectif sur Philippe Muray. Là-dessus, un peu de poésie et un mini-roman vite oublié, avant de se lancer dans les cinq-cents pages touffues et toutes folles de L’Insolent, qui font qu’on trouve raison de le rencontrer aujourd’hui. Soyons clairs : sans doute soucieux de gommer son image de génie même pas autoproclamé, Maxence Caron se présente de la façon la plus modeste qui soit. Ses mouflettes coupées aux doigts le font passer pour un nonce gothique. Insomniaque, migraineux, il carbure au thé vert et à l’aspirine saturée de codéine. Il dit : « Les seuls catholiques qui m’acceptent, ce sont les plus intellectuels, à savoir les dominicains. Les « Domini Canes », comme on les surnommait, les chiens du Maître », rigole-t-il un peu tristement. Maxence a été éduqué dans un pensionnat : « Avec des curés qui font tout pour vous rendre athée. Mon seul refuge, c’était la bibliothèque. C’est là qu’à quinze ans, je me suis entiché de philosophie. J’ai dit à mes parents : je veux devenir philosophe. Ils se sont demandé quelle nouvelle lubie m’agitait encore. » Ils envisageaient en effet un tout autre destin pour lui. Car très vite, on a diagnostiqué chez le jeune enfant ce qu’on appelle « l’oreille absolue », cette capacité rare (elle toucherait une personne sur 10 000) d’identifier une note musicale en l’absence de référence. Le voilà rapidement exhibé sur les estrades comme un enfant prodige, un petit Mozart. Il ne supporte pas. Toujours, peut-être, ce goût pour la solitude… Il reste de cette vocation rentrée, de longues pages, dans L’Insolent, sur la musique – notamment Liszt et Schubert – aux accents volontiers nietzschéens : « Qui ne peut écouter les rythmes et les harmonies où, pour l’âme attentive, s’enveloppe éloquemment en silence la feutrée surabondance du Sens, qui ne le peut ne sera jamais qu’un narcissique de la plume s’il a d’écrire l’impudence. » Voilà chacun prévenu.

 
Catholicisme
« Les seuls catholiques qui m’acceptent,
ce sont les plus intellectuels,
à savoir les dominicains. »

 

L’Insolent est publié chez NiL, dans la collection « Les Affranchis » dirigée par Claire Debru, qui n’hésite pas à qualifier son poulain comme « l’une des figures montantes de l’avant-garde littéraire ». Il y avait belle lurette qu’une telle expression n’avait plus été utilisée en France… Le principe de cette collection est simple : il s’agit d’écrire une lettre « pour s’affranchir d’une vieille histoire » sur le modèle de la « Lettre au père » de Kafka. Maxence Caron décide alors d’écrire à Alceste, le misanthrope de Molière. En quatrième de couverture, il le prévient toutefois : « Souffrez, vous l’atrabilaire amouraché, que j’objecte un mépris considérable à la plainte que vous m’adressiez dans votre lettre. Je ne répondrai à aucune de vos questions : elles sont idiotes. Vous avez donc le choix entre mon silence ou la radicalité de ma parole. » Voilà Alceste, c’est-à-dire tout lecteur, prévenu à son tour. Mais comment ne pas entendre dans cette dernière phrase l’écho de ce que Barbey d’Aurevilly prédisait à Huysmans (après l’avoir, rien ne se perdant, susurré déjà à Baudelaire) : « Vous aurez à choisir entre les pieds de la croix ou la bouche d’un revolver » ? La non structure de la lettre permet à Maxence Caron de divines divagations. Avalant une goulée de codéine effervescente, lui dit : « Mon livre suit la structure de la Divine Comédie : Enfer, Purgatoire, Paradis. »


Vers le Paradis

 L’Enfer, ce sont par exemple des pages méchantes sur Virginie Despentes, ici affublée de tous les prénoms, considérée comme un type : « Platon refusait le bavardage trompeur, Joseph de Maistre refusait la barbarie, Descartes refusait la confusion de l’esprit, Flaubert et bloy refusaient la bêtise, Baudelaire la laideur, Rimbaud la relativité, mais Zélie Despentes, elle, elle refuse le Zizi. » Ce sont, à peine masquées, des caricatures des penseurs de ce qu’on a appelé « le tournant théologique de la pensée française » : Jean-Luc Marion et Jean-Louis Chrétien en tête, comme si Caron s’affolait d’abord à taper sur ceux qui lui sont proches. Le Purgatoire, c’est la musique. Elle fait monter, s’élever. Le Paradis, enfin, c’est la littérature : Chateaubriand (« le génie du christianisme est le christianisme du génie », Claudel, et bien sûr Dante. Mais le véritable Paradis, chez ce lecteur déclaré de Jacques Lacan, c’est surtout « lalangue ». Après tout, qui oserait aujourd’hui commencer un roman par cette phrase : « Mon pauvre et cher Ami… Vous voilà donc de toutes les passables et contumélieuses humeurs… Et vous les éployez en d’inquiètes coles… Et vos biles tournent décidément à toutes les âcretés… » Branchez Maxence Caron sur « lalangue » et il en oublie ses migraines, sa parole se déploie, fuse, booste : « Il faut regarder l’avivement du futur », lance-t-il au beau milieu du café de Flore qui en retient sa respiration. « Le feu est devant nous, il est là, il requiert notre parole. Nous sommes dans la symphonie ! Il faut trouver notre instrument ! Il faut toujours mobiliser un nouvel orchestre pour une nouvelle pensée. La langue est tombée dans un effet d’auto-lassitude. Je pense que nous sommes à la Renaissance, quand la langue revenait foisonnante de néologismes, dans un dynamisme et un amour entier. Nous ne pouvons pas nous servir de Dieu car il ne demande pas la loi mais la foi. Mon anarchie linguistique vient alors de la conscience d’une Essence imposant une différence totale. Je dois créer mon propre langage, je suis Glenn Gould trafiquant son clavier. Je refuse de n’être que philosophe, poète ou romancier : j’essaie d’informer un esprit de renaissance gouldienne ! » Lisez Maxence Caron.•

 

BIOGRAPHIE

 

1976 : Naissance

Octobre 1991 : Renonce à la carrière musicale et découvre la philosophie à laquelle il se voue ainsi qu’à la littérature. Rencontre Jean-Pierre Zarader.

Fin 98 : Après des années d’athéisme virulent, conversion au christianisme.

Novembre-décembre 2005 : Rédaction en huit semaines de La Vérité captive, ouvrage d’un millier de pages qui lui apparaît comme le système final de la philosophie.

18 novembre 2006 : « Nuit du Mémorial » (Pascal), forte expérience mystique après laquelle ses poèmes, ses romans, sont pris au sein, dit-il, d’une « croissante ivresse verbale et spirituelle ».

Janvier 2010 : Long poème, Le Chant du Veilleur, celui qu’il préfère parmi ses quinze livres. Il vit en ermite depuis des années.